mardi 11 mars 2008

The Keys to the Streets - Jangling Jack's

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Ruth Rendell est un grand écrivain, éternellement mésestimée pour cause de polaritude trop affirmée. Associée de loin à la compagnie des grandes dames du crime elle n’a pourtant qu’un rapport très périphérique avec ce non-courant, s’illustrant dans un registre autrement plus noble et passionnant qu’elle a elle-même conçu à partir des théories de Boileau & Narcejac : le crime-novel. Soit donc des histoires ne contenant pas de réelle intrigue policière, basées sur des climats oppressants et des personnages ambigus et/ou torturés. Une variante plus polie mais non moins sombre du fameux roman noir américain, dont elle est par ailleurs l’une des plus farouches admiratrices (en témoigne sa série Chief Inspector Wexford, plus proche du roman procédural à la McBain que de Miss Marple). Et si son œuvre récente semble tourner un peu en rond, sa bibliographie des années soixante jusqu’au milieu des années quatre-vingt dix ne contient pour sa part pas beaucoup de ratages, et même quelques livres incontournables : A Demon in My View, A Judgement in Stone ou encore The Tree of Hands.


Comme souvent chez cette auteure, The Keys to the Street raconte une histoire somme toute assez simple, aux allures de fait-divers un brin sordide et où l’on s’aperçoit à la fin qu’il ne s’est finalement pas passé grand-chose. En l’occurrence celle d’une jeune femme fuyant un ex à baffer pour vivre seule dans le quartier de Regent’s Park, donnant un organe pour sauver un inconnu et finissant évidemment par tomber sous le charme de ce dernier. Rien que du très ordinaire – voire même de l’archi-rebattu dans nombre de mauvais téléfilms. Histoire de mettre un peu de piment dans la sauce, Rendell a donc eu l’idée d’ajouter à son roman un serial-killer de SDF (car les serial-killers, c’est connu, ont un goût prononcé pour les clochards – sauf s’ils peuvent tuer une prostituée évidemment), qui histoire de se montrer un peu plus original que la moyenne se débarrasse de ses victimes en les empalant sur les grilles de Regent’s Park le susnommé (qui d’ailleurs donne son juste titre au livre dans l’édition francophone). Cela dit de là à faire du bouquin un thriller… il reste une sacrée marge.
 
Parce que très franchement tout ça… on s’en fout un peu. On suit avec une relative attention les meurtres et compagnie, mais l’intérêt n’est pas là. Plutôt dans un quotidien qui se détraque jusqu’aux limites du fantastique. Plutôt dans une ville bizarrement angoissante, peuplée de zones d’ombres, de personnages énigmatiques ou de peurs indicibles. Et bien sûr dans ce parc sombre et gothique, qui n’en finit plus de révéler ses secrets, cachettes, pièges invisibles à l’œil du simple visiteur. La balade est aussi lancinante qu’oppressante, à la manière de… « Red Right Hand » ! Comparaison pas si idiote qu’il y semblera de prime abord pour un peu qu’on y prête attention. Si l’on ajoute à cela des passages dans la tête d’un tueur dont on ne sait quasiment rien, façon caméra subjective à la De Palma… il n’en faut pas plus pour sortir l’artillerie lourde : The Keys to the Street, qui plus est écrit dans une langue de plus élégantes, est un de ces grands thrillers capables de donner tout son sens au terme hitchcockien. Une relecture tout à fait enthousiasmante.


👍👍👍 The Keys to the Street [Regent's Park] 
Ruth Rendell | Dell, 1996