vendredi 1 février 2008

Promesses de l'aube

[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - N°80]
The Clash - The Clash (1977)

Joe Strummer a toujours été là.

Quand j’ai découvert le punk, dans la foulée du grunge, j’étais à peine sorti de l’enfance. Je ne m’en souviens même plus très bien, comme beaucoup de gosses de cette génération j’ai tout pris de plein fouet, sans avoir ni les moyens ni l’envie de faire un tri. Il m’a fallu des années pour comprendre et ce qu’était le punk et ce qu’était le Clash, des années pour comprendre ce que tout cela signifiait et encore un peu plus de temps pour comprendre pourquoi cela me parlait autant. A l’époque, je me suis juste contenté de morfler, de prendre la proverbiale baffe dans la gueule et d’apprendre chaque morceau par cœur.

Je possède absolument tout du Clash, et j’ai une facheuse tendance à perdre toute objectivité à son sujet. Je peux dire que je préfère tel album à tel autre, mais globalement j’aime quasiment tout sans véritable distinction ni discernement. Sans doute parce que ce groupe, de par l’immense éventail des genres qu’il a abordés durant sa carrière, m’a quasiment tout amené sur un plateau. Le Clash m’a évidemment ouvert la porte du punk-rock… mais il m’a aussi ouvert celle du reggae, du funk, du dub, voire même du rap (dans une moindre mesure). Après quoi en solo Strummer m’ouvrit les portes de la folk…etc. Goûter au Clash c’est bien plus que goûter au punk (ça n’en est déjà plus à partir du second album). C’est une manière comme une autre (parmi les meilleures à mon sens) d’apprendre la musique, par l’émotion plus que par la théorie, de s’ouvrir au monde aussi bien musicalement que spirituellement parlant. C'est ça : L’Ouverture – terme ô combien galvaudé de nos jours. Voilà ce dont le Clash a fait la promotion durant moins d’une décennie. Il n’y a pas de mauvais genre – juste de mauvais artistes, écris-je souvent. C’est avec le Clash que je l’ai appris.


Il y a deux versions de ce premier album. L’originale anglaise de 77, et la réédition américaine de 79 – agrémentée de quelques titres phares sortis entre temps en 45 tours. Les puristes préfèreront toujours la première ; les gens de bonne foi noteront que « Clash City Rockers », « Complete Control » et « (White Man) in Hammersmith Palace » (sur la seconde) comptent parmi ce que le Clash enregistra de mieux durant cette première période. L’idéal reste de posséder les deux – c’est mon cas. Il y a bien longtemps que je les ai fusionnées sur le même CD-R, revendus les originaux et juste conservé, symboliquement, le vinyle UK.

On a sans doute tout écrit sur cet album, et pour la première fois depuis très longtemps je ne suis pas certain d’avoir quoi que ce soit à ajouter. Je pourrais vous dire que c’est un des trois ou quatre disques punk qu’il faut absolument posséder, rappeler que c’est un monument du rock et qu’à mes yeux c’est l’album de révolte ultime. Je pourrais, oui… mais je ne vois pas l’intérêt. D’autant qu’assez bizarrement le principal sentiment que je ressens quand j’entends Action Joe entonner « London’s Burning » n’a rien à avoir avec de la révolte ni même de la colère.

Non… quand j’entends ça je ressens une incroyable envie de vivre. Une envie de danser, de chanter ou de gueuler – et Dieu que ça fait du bien de gueuler ! Quand d’autres entendent un mec prônant la révolution, j’entends un homme chantant l’espoir… l’un ne va pas sans l’autre, on a souvent tendance à l’oublier – peut-être parce que les révolutionnaires n’existent plus ou tout simplement parce que les gens n’ont plus d’espoir. Mais moi j’entends ces chœurs, ceux de « Remote Control », et ça me fait frissonner. J’ai l’impression que tout est possible, le don de soi comme un lendemain qui chante. J’adore d’ailleurs écouter ce disque en voiture, en partant au boulot. Je sais que je vais me faire chier, et je mets The Clash… et soudain, le temps du trajet… non pas que j’oublie, mais je relativise. La rage communicative de « White Riot » ou l’énergie brute de « Protex Blue » (qui parle pourtant de... capotes) ne me font pas m’évader : elles me renvoient à moi-même, m’imposant d’aller chercher dans mes derniers retranchements de quoi vivre la journée qui commence – qui commence oui… forcément : je ne peux même pas concevoir qu’on écoute cet album le soir ! Pour moi ses promesses sont celles de l'aube, sans conteste.
..
Voilà le genre de chose que j’avais envie d’écrire aujourd’hui. Plutôt que de me perdre en inutiles conjectures : analyser un album aussi profondément viscéral relèverait du contresens – voire même de l’escroquerie pure et simple. Ce ne serait pas faux… de souligner par exemple que si Never Mind the Bollocks a eu un violent impact esthétique son impact musical est bien moindre que celui de The Clash. Ce ne serait pas faux de le disséquer en évoquant la descente d'accords de « London’s Burning » et le côté pré-post-punk de « What's My Name ? », ou de le théoriser sur quatre pages en le replaçant dans le contexte de l'époque.

Ce ne serait pas faux et ça ne serait pas forcément inintéressant… ce serait juste absolument inutile. Parce que The Clash est un disque poignant, vivant et profondément humain. Et qu’en dépit de ses textes revendicateurs il ne s’adresse pas à l’intellect. Le genre plus que vital, de nos jours...


Trois autres disques pour découvrir The Clash :

Give ’em Enough Rope (1978)
London Calling (1979)
Sandinista! (1980)