Près de trente ans après son assassinat, c’est devenu un pléonasme que de dire que Lennon a littéralement gaspillé son talent dans les années 70. Entre ses histoires de cœur et ses engagements politiques confinant vers la fin au n'importe quoi moralisateur, Lennon n’était franchement plus dans le coup au moment de son come-back avorté de 1980 – étonnant comme l’inconscient collectif (hors spécialistes) a totalement gommé cette longue traversée du désert. Quitte à sembler un brin teigneux, force est de reconnaître à l’écoute de son œuvre solo qu’elle contient franchement plus de disques mineurs que de chefs-d’œuvre, et qu'on en retiendra principalement que deux très grands disques dont on n’aura jamais fini de faire le tour (Imagine et Mind Games) plus une poignée de quarante-cinq tours grandioses. Pas si mal, soit. Mais si l’on reprend la discographie du bonhomme après 1973, l’honnêteté intellectuelle oblige à noter un déclin réel, oscillant entre l’incompréhensible (Wall & Bridges) et le médiocre (Rock’N’Roll, album de covers dont la légende voudrait que Lennon l’ait enregistré pour payer ses dettes à la mafia). Lennon a pété sa boussole, indéniablement, pire encore : il ne sent plus le vent tourner, on poussera même jusqu’à supposer qu’il est complètement déconnecté de son époque. S’arrêter pour pouponner au moment où le punk déferle sur le monde puis revenir en 1980 avec « Woman »… qu’y a t’il de plus décalé ?
(ceux qui ont répondu Paul McCartney publiant sa réponse au punk, Press to Play, en… 1986 ! ont gagné une photo dédicacée de Julian Lennon)
Ok : certains gros malins essaieront d’exploiter son retour aux sources du rock’n’roll originel de 1975 pour faire de lui un parrain des punks parmi d’autres – on rigole. La vérité est que tandis que Johnny Rotten gueulait Plus jamais de Beatles, de Who ni de Rolling Stones, Lennon pionçait, pouponnait le petit Sean et venait d’entrer dans une période de léthargie créative qui dura cinq longues années. Lui qui n’avait manqué aucune bataille musicale ou esthétique depuis 1962 torchait son mioche plutôt que de laver l'affront, c’est tout à fait respectable… mais artistiquement sinistre. Pire : cela donnait mille fois raisons aux punks : c'est donc lui, l'incarnation vivante du rock'n'roll, le rocker ultime de son temps ? Quelle vaste blague !...
Et voilà donc Lennon qui revient en 1980 avec (enfin) un nouvel album (son premier composé de morceaux originaux depuis six ans)… et Yoko Ono dans sa besace. Les deux n’ont plus rien publié ensemble depuis l’inégal mais efficace Some Time in New York City (1972) et la presse n’aura pas le temps de saluer ce retour gagnant puisque Lennon mourra trois semaines plus tard. La Mort en Rock, donc ? Bah en fait… non : si l’on était cynique (on ne l’est pas) on dirait que Lennon est mort un tout petit peu trop tôt pour que Double Fantasy devienne complètement culte. Ce qui fait que vingt-huit ans après cet objet bizarroïde mais réellement passionnant demeure son album mal aimé, celui que la plupart des gens ont tôt fait d’envoyer aux oubliettes pour se rabattre sur les classiques.
Il y avait pourtant une nouvelle de taille planquée dans Double Fantasy : Lennon non seulement s’était réveillé, mais en plus il s’était réveillé en 1980 (rappelons que la dernière fois qu’on l’avait croisé il était bloqué en 55). Le punk, ma p’tite dame ? Bah non : ça faisait déjà deux ans que ça n’existait plus. Non, le post-punk, la cold-wave, la new-wave… voilà ce qui compose le meilleur de l’ultime album de John Lennon…
…de Lennon, vraiment ? En fait non : de Yoko ! Et c'est ça, qui le rend vraiment passionnant. Double Fantasy n’est pas un album, mais deux (c’est pourtant dit dans le titre, mais il est probable que peu de gens aient alors réellement eu conscience d’à quel point c’était vrai). Autrefois en grande partie centré autour de Lennon, le duo s’est métamorphosé en hydre à deux têtes, comme un dommage collatéral de leur rupture de 73 (qui aura quand même duré presque deux ans). Ce n’est même plus vraiment un duo d’ailleurs, tant les deux suivent des chemins séparés et diamétralement opposés par instants.
D’un côté Lennon, donc. Qui fait… du Lennon, ou à peu près : le son est par moment typé eighties, mais globalement la révolution n’a pas eu lieu. « (Just Like) Starting over » a un côté rétro qui n’aurait pas dépareillé sur Rock’n’Roll, le songwriter demeure le piqueur de plans génial qu’on connaît (recyclage pimpant du riff de « Fame », son duo avec Bowie, pour « Cleanup Time »), verse dans la folk-pop beatlesienne pour « Beautiful Boy (Darling Boy ») (un résumé aussi fidèle que consternant de ses années de silence placées sous l’égide de la gâtification), claque un hymne imparable (« Woman »)… pas de problème, il fait le taff. Simplement on a un peu l’impression qu’il a surgi d’une faille spatio-temporelle pour squatter un album de Yoko tellement tout cela semble terriblement décalé par rapport aux compos de cette dernière, barrées comme on aime, soniquement nettement plus produites et tout simplement : modernes – ou du moins contemporaines.
Plus périssables aussi, de fait, diront les mauvaises langues. Pas sûr du tout, parce que la diva a quelque chose qui manque cruellement à son compagnon (cela dit ça ne date pas d’hier) : la folie, la déjante. « Kiss Kiss Kiss » a peut-être pris un petit coup de vieux, mais c’est typiquement le genre de morceau nerveux, péchu et tubesque (au sens noble du terme) que John n’a jamais été foutu d’écrire dans les années 70 – trop occupé à verser de le préchi-pracha. Barrée dans son trip, dénuée du moindre complexe, elle impose vraiment une marque personnelle (qu’elle développera l’année suivante sur son très réussi Season of Glass) et fait passer par moments (« I’m Moving on », les décadents « Yes, I’m Your Angel » & « Hard Times Are over ») Lennon pour un jeune vieux aussi doué mélodiquement que planplan en terme de vision artistique. Un comble pour celle qu’une majorité des fans des Beatles considéra toujours comme illégitime aux côtés de son conjoint. Et alors que Lennon bascule dangereusement vers la caricature avec « Watching the Wheels », on se rend compte, un peu perturbé quand même, que ce n’est peut-être pas un hasard si les deux pires albums de Lennon sont sortis non seulement à une époque où ils ne travaillaient pas ensemble… mais aussi (surtout) à une époque où ils n’étaient plus ensemble du tout ! Bizarre, comme coïncidence.
Au final si l’on ajoute les pépites de Yoko (sans doutes ses meilleures chansons toutes périodes confondues) et les quelques fulgurances dont l’ex-Beatle était (heureusement) encore capable (« I’m Losing You »), voilà un album singulier et tout à fait recommandable. Un album d’amour fou, absolument fusionnel… aboutissant à un résultat totalement schizophrénique – ce n’est pas le moindre des paradoxes. Sans doute pas le meilleur de Lennon, mais peut-être bien l’idéal… pour découvrir Yoko. Qui n’a jamais été aussi nulle que les machos de la critique l'ont laissé croire.
Il y avait pourtant une nouvelle de taille planquée dans Double Fantasy : Lennon non seulement s’était réveillé, mais en plus il s’était réveillé en 1980 (rappelons que la dernière fois qu’on l’avait croisé il était bloqué en 55). Le punk, ma p’tite dame ? Bah non : ça faisait déjà deux ans que ça n’existait plus. Non, le post-punk, la cold-wave, la new-wave… voilà ce qui compose le meilleur de l’ultime album de John Lennon…
…de Lennon, vraiment ? En fait non : de Yoko ! Et c'est ça, qui le rend vraiment passionnant. Double Fantasy n’est pas un album, mais deux (c’est pourtant dit dans le titre, mais il est probable que peu de gens aient alors réellement eu conscience d’à quel point c’était vrai). Autrefois en grande partie centré autour de Lennon, le duo s’est métamorphosé en hydre à deux têtes, comme un dommage collatéral de leur rupture de 73 (qui aura quand même duré presque deux ans). Ce n’est même plus vraiment un duo d’ailleurs, tant les deux suivent des chemins séparés et diamétralement opposés par instants.
D’un côté Lennon, donc. Qui fait… du Lennon, ou à peu près : le son est par moment typé eighties, mais globalement la révolution n’a pas eu lieu. « (Just Like) Starting over » a un côté rétro qui n’aurait pas dépareillé sur Rock’n’Roll, le songwriter demeure le piqueur de plans génial qu’on connaît (recyclage pimpant du riff de « Fame », son duo avec Bowie, pour « Cleanup Time »), verse dans la folk-pop beatlesienne pour « Beautiful Boy (Darling Boy ») (un résumé aussi fidèle que consternant de ses années de silence placées sous l’égide de la gâtification), claque un hymne imparable (« Woman »)… pas de problème, il fait le taff. Simplement on a un peu l’impression qu’il a surgi d’une faille spatio-temporelle pour squatter un album de Yoko tellement tout cela semble terriblement décalé par rapport aux compos de cette dernière, barrées comme on aime, soniquement nettement plus produites et tout simplement : modernes – ou du moins contemporaines.
Plus périssables aussi, de fait, diront les mauvaises langues. Pas sûr du tout, parce que la diva a quelque chose qui manque cruellement à son compagnon (cela dit ça ne date pas d’hier) : la folie, la déjante. « Kiss Kiss Kiss » a peut-être pris un petit coup de vieux, mais c’est typiquement le genre de morceau nerveux, péchu et tubesque (au sens noble du terme) que John n’a jamais été foutu d’écrire dans les années 70 – trop occupé à verser de le préchi-pracha. Barrée dans son trip, dénuée du moindre complexe, elle impose vraiment une marque personnelle (qu’elle développera l’année suivante sur son très réussi Season of Glass) et fait passer par moments (« I’m Moving on », les décadents « Yes, I’m Your Angel » & « Hard Times Are over ») Lennon pour un jeune vieux aussi doué mélodiquement que planplan en terme de vision artistique. Un comble pour celle qu’une majorité des fans des Beatles considéra toujours comme illégitime aux côtés de son conjoint. Et alors que Lennon bascule dangereusement vers la caricature avec « Watching the Wheels », on se rend compte, un peu perturbé quand même, que ce n’est peut-être pas un hasard si les deux pires albums de Lennon sont sortis non seulement à une époque où ils ne travaillaient pas ensemble… mais aussi (surtout) à une époque où ils n’étaient plus ensemble du tout ! Bizarre, comme coïncidence.
Au final si l’on ajoute les pépites de Yoko (sans doutes ses meilleures chansons toutes périodes confondues) et les quelques fulgurances dont l’ex-Beatle était (heureusement) encore capable (« I’m Losing You »), voilà un album singulier et tout à fait recommandable. Un album d’amour fou, absolument fusionnel… aboutissant à un résultat totalement schizophrénique – ce n’est pas le moindre des paradoxes. Sans doute pas le meilleur de Lennon, mais peut-être bien l’idéal… pour découvrir Yoko. Qui n’a jamais été aussi nulle que les machos de la critique l'ont laissé croire.
👍👍 Double Fantasy
John Lennon & Yoko Ono | Geffen, 1980