mardi 5 février 2008

Philippe Djian - Treize ans après...

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C’est marqué juste en dessous du titre de mon édition :

Par l’auteur de « 37°2 le matin »

… je crois bien que tout est dit dans cette accroche promotionnelle qui ferait doucement se bidonner aujourd’hui (mais pas méchamment hein : peut-être juste parce que les romans à devenir des références sont de plus en plus rares). Serait-on étonné d’apprendre que Maudit manège , présenté comme la suite du hit susnommé, est sorti la même année que le film ? Si j’avais eu l’âge que j’ai maintenant en 1986, j’aurais sans doute été assez mesquin pour le noter et m’y attarder, heureusement ou malheureusement je n’ai lu Maudit manège qu’en 1995. Le prenant de plein fouet, électrochoc logique quand vous avez quatorze ans et que vous rêvez d’être écrivain. Maudit manège a ce talent merveilleux de vous y faire croire encore après, alors même que Djian y explique par le menu à quel point la vie d’un écrivain peut être d’une banalité désarmante.

C’est le premier grand livre de l’auteur, qui apparaît assez vite comme une gigantesque (presque cinq-cents pages) et hilarante somme de tous les précédents (à savoir le fameux 37°2 , donc, ainsi que Zone érogène et Bleu comme l’Enfer ). Recyclant le narrateur du plus gross succès littéraire de la décennie, le projetant cinq ans après la mort de l’amour de sa vie et quatre ans après la publication de son livre, Djian y affine son style (plus que jamais au scalpel) et son univers (qui sent bon la cendre froide et la bière tiède). De réflexions douces amères sur l’existence en situation burlesques, de dialogues jubilatoires en errances contemplatives, il ne perd guère de temps à chercher où va son histoire, se laisse porter comme à son habitude mais cette fois tient la baraque : si Zone Erogène partait un peu dans tous les sens, si 37°2 le matin déviait parfois vers un lyrisme post-adolescent un brin fâcheux… Maudit manège la joue plus fine, plus distanciée, un peu plus réfléchie. Le succès, ma brav’dame : en 1985 Djian est passé du statut d’écrivain prometteur à celui de star littéraire du moment, on n’a pas spécialement l’impression qu’il goûte la plaisanterie et on ne sera donc pas du tout surpris de le voir bien plus ironique et bien plus mordant que par le passé. Du point de vue suitographique on se dira que c’est plutôt normal, qu’après la mort de Betty notre narrateur ne pouvait guère demeurer aussi candide et gentiment casse-burnes que dans 37°2 . Oui et non : Maudit manège se suffit en fait largement à lui-même, Betty n’étant pas ici un souvenir mais un marqueur temporel – La mort de Betty. Logique : cinq années ont passé entre les deux récits (une seule dans notre temporalité de lecteur), et l'on peut raisonnablement considérer que c'est précisément pour garder une cohérence tout en évitant le pathos que Djian décida de faire un tel bon dans le temps. Du coup, changez le prénom de Betty en Simone et vous avez un livre à part entière, bien plus intéressant du reste que la simple perspective d’une suite. Un livre qui dit beaucoup de choses tout en racontant très peu, qui dit la vie et qui dit l’ennui, qui rit plus qu’il ne pleure et qui rêve plus qu’il ne vit.
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Alors à la simple question : Est-ce que c’est aussi bien que quand j’avais quatorze ans ?, une seule réponse : Non, c’est mieux.


👍👍👍 Maudit manège 
Philippe Djian | J'ai lu, 1986