mardi 12 février 2008

Cropper's Cabin - Acide sulfurique

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Petit avertissement préalable : si vous ne connaissez pas Jim Thompson (c’est fort probable, hélas pour vous) et que vous êtes une âme sensible (je ne vous le souhaite pas), notre rédaction vous conseille vivement de vous éloigner de cette chronique. Il serait même d’ailleurs plus raisonnable de vous éloigner de Jim Thompson tout court, à plus forte raison si vous aimez les petits polars plan plan, les intrigues bien faites, les histoires cohérentes, les plumes lisses ou tout ça à la fois (bref : si vous aimez Harlan Coben). Thompson, lui, ne rigole pas. Ou alors il ne fait que ça. Faut voir.

Toujours est-il que Jim Thompson est un doux-dingue dont la principale caractéristique, outre d’être pourvu d’une plume trempée dans l’acide le plus sulfurique, est d’être incapable d’écrire un roman normal. Bâtisseur d’un univers garanti 100 % Amérique profonde et principalement peuplé de barges, d’allumés notoires ou plus simplement de paumés, Thompson a ceci d’assez surprenant au premier contact qu’avec lui on ne sait jamais trop où on va – il est même possible qu’on aille nulle part. Que ce soit le classique Pop 1280, l’incontournable The Killer Inside Me (auquel j’avais par ailleurs rendu hommage dans cette chronique) ou l’oppressant The Getaway… ses meilleurs livres ont pour trait commun de se barrer en sucettes arrivés à la moitié, de partir totalement en vrille, de changer de ton ou de personnages ou d’intrigue principale (voire des trois en même temps) en cours de route… mieux vaut être prévenu avant de s’y lancer, parce que ça fait parfois tout drôle, même quand on connaît le bonhomme.


Dans celui-ci tout commence presque normalement, avec la petite vie forcément médiocre de Tom, étudiant pauvre et blanc fou amoureux de Donna – sang-mêlée et riche. Les Romeo & Juliette de l’Oklahoma n’ont pas de bol : leurs pères respectifs se détestent cordialement, celui de Donna étant de surcroît le patron de celui de Tom. Qui d’ailleurs n’est pas vraiment son père. Pas plus que sa sœur Mary n’est sa sœur. Non. Pas plus que Tom n’est aussi lisse et blanc (comme neige) qu’il en a l’air. Pas plus que…
 
… bon, arrêtons-nous ici : en gros, dans Cropper’s Cabin comme dans tout bon Jim Thompson (à savoir euh… quasiment tous, en fait) les apparences ne sont pas du tout ce qu’elles semblent être, enfin si, ce sont évidemment des apparances, mais mêmes les apparences qu’on croit qu’elles recèlent autre chose eh bah en fait, elles recèlent encore quelque chose d’autre.
 
Ok, dit comme ça ça peut sembler compliqué. Rassurez-vous c’est d’une fluidité incroyable, porté par une écriture à se damner. Ça cogne fort, vite (deux-cents pages) et bien, ça secoue un peu mais c’est sans doute un des plus grandioses voyages au bout de l’Enfer de l’Amérique profonde de ces illuminés de prêcheurs évangélistes… auquel il vous sera jamais donné d’être conviés Certes du point de vue l’œuvre de Thompson, c’est presque décevant tant la structure est… peut-être pas normale, mais disons : plus linéaire qu’à l’accoutumée. En contre-partie on a sans doute ici la charge sociale la plus violente à laquelle il se soit jamais livrée, ou comment ceux qui ont été humiliés durant trop d’années prendront une revanche si hallucinante qu'imprévisible sur leurs bourreaux.
 
A noter que ce livre a reçu le label Golb This! dans notre (déjà longue) série : Splendeurs & Misères Des Petits Patelins Paumés Où Les Gens Sont Cons Et Intolérants Et même Que C’est Pour Ca Qu’On Ecrit Sur Eux Parce Que Ca Nous Venge Un Peu.


👍👍 Cropper's Cabin [Deuil dans le coton] 
Jim Thompson | Mulholland Books, 1952