...
Voici donc le Goncourt en titre. Un livre assurément ambitieux, signé d’un auteur peu connu mais tout à fait estimable (Grandir était un très joli roman), pour lequel on frôle de très près le consensus… à tel point que c’en devient presque suspect. Car, justement, les partis pris de Gilles Leroy sont tout sauf consensuels.
L’argument de départ, tout d’abord, fait gentiment sourire : la réhabilitation de Zelda Fitzgerald, en tant que femme (soit), mais aussi en tant qu’écrivain. Tiens donc. Rien de moins original que ce vieux marronnier traînant depuis au moins trente ans et voulant que Zelda ait été un grand écrivain étouffé par son ogre de mari – dont elle aurait pourtant composé une partie de l’œuvre. C’est aujourd’hui reconnu, pour autant que personne n’aille lire l’unique roman de Zelda en espérant y trouver l’équivalent d’un inédit de Scott – il n’a recyclé de l’œuvre de son épouse que quelques nouvelles. Pas de quoi casser trois pattes à un canard, donc : Francis Scott Fitzgerald est bel et bien l’auteur des chefs d’œuvres qu’on connaît (ou pas : Gatsby, Tender Is the Night, This Side of Paradize…), le reste oscillant entre le ragot et la désinformation. Mais bref : ça s’en va et ça revient, c’est presque cyclique – depuis sa mort en 1948, Zelda en est au moins à son troisième revival. Et si aucun n’a jamais réellement duré c’est sans doute, tout simplement, parce que Save Me the Walz (le seul texte dont on soit sûr à deux 100 % qu'elle l'a écrit toute seule) n’a rien de bien extraordinaire. Telle est donc la première grosse prouesse de Gilles Leroy : avoir réussi à créer un engouement et un élan de redécouverte autour d’une auteure très moyenne dont le lecteur comme l’histoire littéraire peuvent parfaitement se passer. Pour ça au moins : chapeau !
Lisant ceci d’aucuns se disent sûrement déjà que si ça, c’est pas un a priori négatif, ça y ressemble quand même beaucoup. C’est juste… et en même temps bizarrement je n’y ai plus pensé une fois le livre commencé. Le moins qu’on puisse dire est que la barque de Gilles Leroy est plutôt bien menée et que je m’y suis laissé prendre de bon cœur, sincèrement impressionné par la reconstitution opérée pour l’occasion. C’est qu’il y avait un risque majeur en s’attaquant dans un roman aux années folles américaines… celui, tout bêtement, de taper dans le sous-Scott Fitzgerald – tant l’image que l’imaginaire collectif a retenu de cette époque est en prise directe avec l’œuvre du mari de Zelda. Or de ce point de vue, force est de reconnaître que Leroy a esquivé tous les écueils avec un indéniable talent : on y est et l’on s’y croit. Ca marche d’autant mieux que la construction évite le banal défilement chronologique, se déroulant sous forme d’ellipses plutôt que comme une ennuyeuse (fausse) autobiographie linéaire.
Et pourtant un truc cloche, qu’il m’a fallu quelques temps pour pointer du doigt. Doit-on oublier le paratexte et le contexte lorsqu’on lit un livre ? Aucune idée. Ce qui est certain c’est qu’il est des cas où c’est bien difficile à faire, or j’avoue avoir personnellement un réel problème avec le fait de vendre une fiction comme la réalité. Ce n’est sans doute pas l’idée initiale de Leroy – je veux bien le reconnaître. Le problème c’est que c’est tout de même comme ça qu’on a vendu le livre partout et que c’est globalement ce que tous les gens en auront retenu : Alabama Song, le faux livre de la vraie Zelda – on imagine très bien ce genre de slogan (je ne serais même pas surpris d'apprendre que quelqu'un l'a déjà employé). Que ceux qui ne me croient pas relisent toutes les critiques sur la question : c’est précisément pour aller chercher Zelda-La-Méconnue qu'une grande majorité de gens a lu ce livre, pour la découvrir, elle, et pas pour découvrir l’œuvre d’un Gilles Leroy presque trop en retrait. Or justement, la vraie Zelda m’a semblé loin, très loin de la Zelda qui s’exprime au travers la plume de l'auteur. Au fil des pages je me suis de plus en plus dit : Ce n’est pas Zelda ! Et effectivement, j’ai eu un mal fou tant avec la langue (pas du tout proche de celle qu’elle emploie dans son roman) qu’avec ma propre cohérence de lecteur : impossible de faire cadrer tout ce que je savais de la personne avec tout ce que j’étais en train de lire du personnage. C’est d’autant plus fâcheux que je ne me serais évidemment pas posé la question si Leroy avait écrit la fausse autobiographie de Simone Cambridge, ce qui n’aurait du reste retiré à Alabama Song aucune de ses qualités de mise en scène ou de narration. Réflexion qui recoupe évidemment un sujet ancestral et parmi les plus glissants qui soient : peut-on considérer un personnage historique comme une matière romanesque comme les autres ? Il serait pour le moins réac de répondre par un ferme NON. Il serait tout aussi bête de répondre clairement OUI, parce que déjà à la base lorsque Gilles Leroy (ou un autre) s’attaque à une figure historique, il ne la traite pas de la même manière qu’un personnage de fiction – preuve en est qu’il prend la peine d’accomplir un travail documentaire monumental. Quant à la réception du lecteur… il est tout simplement impossible pour lui de recevoir un livre sur Zelda Fitzgerald sans penser à Zelda Fitzgerald (ainsi qu’à son époux, par extension, d'autant qu'on doit à ce dernier les plus belles pages jamais écrites sur la dame en question). Faudrait voir à pas trop en réclamer ; je me suis même demandé si finalement le plus gros défaut d’ Alabama Song n’était pas justement d’utiliser le nom et la légende de Zelda (au sujet de laquelle existe déjà une bibliographie impressionnante) alors qu’il n’aurait été ni plus ni moins intéressant avec une Helga…
…jusqu’à ce que finalement j’en note un autre (de gros défaut), du genre rédhibitoire : c’est toujours un peu dur à dire, mais bon… il y a des passages qui sont assez mal écrits. Au fur et à mesure que Zelda avance dans la vie, et donc dans les crises et donc dans la dépression et donc dans la folie… le style verse un peu plus dans le lyrisme pompier, et j’ai fini par chercher en vain la poésie et la beauté que tout le monde m’avait vantées. Ca m’a presque rassuré : tant que c’étaient mes conceptions littéraires qui buguaient à la lecture, j’avais mauvaise conscience de devoir dire du mal d’ Alabama Song. Mais là, l’honneur est sauf : une écriture si ampoulée (surtout dans le dernier quart), je n’aurais aimé ça nulle part – même pas dans la fausse autobiographie de Simone Cambridge.
Ouf !
Voici donc le Goncourt en titre. Un livre assurément ambitieux, signé d’un auteur peu connu mais tout à fait estimable (Grandir était un très joli roman), pour lequel on frôle de très près le consensus… à tel point que c’en devient presque suspect. Car, justement, les partis pris de Gilles Leroy sont tout sauf consensuels.
L’argument de départ, tout d’abord, fait gentiment sourire : la réhabilitation de Zelda Fitzgerald, en tant que femme (soit), mais aussi en tant qu’écrivain. Tiens donc. Rien de moins original que ce vieux marronnier traînant depuis au moins trente ans et voulant que Zelda ait été un grand écrivain étouffé par son ogre de mari – dont elle aurait pourtant composé une partie de l’œuvre. C’est aujourd’hui reconnu, pour autant que personne n’aille lire l’unique roman de Zelda en espérant y trouver l’équivalent d’un inédit de Scott – il n’a recyclé de l’œuvre de son épouse que quelques nouvelles. Pas de quoi casser trois pattes à un canard, donc : Francis Scott Fitzgerald est bel et bien l’auteur des chefs d’œuvres qu’on connaît (ou pas : Gatsby, Tender Is the Night, This Side of Paradize…), le reste oscillant entre le ragot et la désinformation. Mais bref : ça s’en va et ça revient, c’est presque cyclique – depuis sa mort en 1948, Zelda en est au moins à son troisième revival. Et si aucun n’a jamais réellement duré c’est sans doute, tout simplement, parce que Save Me the Walz (le seul texte dont on soit sûr à deux 100 % qu'elle l'a écrit toute seule) n’a rien de bien extraordinaire. Telle est donc la première grosse prouesse de Gilles Leroy : avoir réussi à créer un engouement et un élan de redécouverte autour d’une auteure très moyenne dont le lecteur comme l’histoire littéraire peuvent parfaitement se passer. Pour ça au moins : chapeau !
Lisant ceci d’aucuns se disent sûrement déjà que si ça, c’est pas un a priori négatif, ça y ressemble quand même beaucoup. C’est juste… et en même temps bizarrement je n’y ai plus pensé une fois le livre commencé. Le moins qu’on puisse dire est que la barque de Gilles Leroy est plutôt bien menée et que je m’y suis laissé prendre de bon cœur, sincèrement impressionné par la reconstitution opérée pour l’occasion. C’est qu’il y avait un risque majeur en s’attaquant dans un roman aux années folles américaines… celui, tout bêtement, de taper dans le sous-Scott Fitzgerald – tant l’image que l’imaginaire collectif a retenu de cette époque est en prise directe avec l’œuvre du mari de Zelda. Or de ce point de vue, force est de reconnaître que Leroy a esquivé tous les écueils avec un indéniable talent : on y est et l’on s’y croit. Ca marche d’autant mieux que la construction évite le banal défilement chronologique, se déroulant sous forme d’ellipses plutôt que comme une ennuyeuse (fausse) autobiographie linéaire.
Et pourtant un truc cloche, qu’il m’a fallu quelques temps pour pointer du doigt. Doit-on oublier le paratexte et le contexte lorsqu’on lit un livre ? Aucune idée. Ce qui est certain c’est qu’il est des cas où c’est bien difficile à faire, or j’avoue avoir personnellement un réel problème avec le fait de vendre une fiction comme la réalité. Ce n’est sans doute pas l’idée initiale de Leroy – je veux bien le reconnaître. Le problème c’est que c’est tout de même comme ça qu’on a vendu le livre partout et que c’est globalement ce que tous les gens en auront retenu : Alabama Song, le faux livre de la vraie Zelda – on imagine très bien ce genre de slogan (je ne serais même pas surpris d'apprendre que quelqu'un l'a déjà employé). Que ceux qui ne me croient pas relisent toutes les critiques sur la question : c’est précisément pour aller chercher Zelda-La-Méconnue qu'une grande majorité de gens a lu ce livre, pour la découvrir, elle, et pas pour découvrir l’œuvre d’un Gilles Leroy presque trop en retrait. Or justement, la vraie Zelda m’a semblé loin, très loin de la Zelda qui s’exprime au travers la plume de l'auteur. Au fil des pages je me suis de plus en plus dit : Ce n’est pas Zelda ! Et effectivement, j’ai eu un mal fou tant avec la langue (pas du tout proche de celle qu’elle emploie dans son roman) qu’avec ma propre cohérence de lecteur : impossible de faire cadrer tout ce que je savais de la personne avec tout ce que j’étais en train de lire du personnage. C’est d’autant plus fâcheux que je ne me serais évidemment pas posé la question si Leroy avait écrit la fausse autobiographie de Simone Cambridge, ce qui n’aurait du reste retiré à Alabama Song aucune de ses qualités de mise en scène ou de narration. Réflexion qui recoupe évidemment un sujet ancestral et parmi les plus glissants qui soient : peut-on considérer un personnage historique comme une matière romanesque comme les autres ? Il serait pour le moins réac de répondre par un ferme NON. Il serait tout aussi bête de répondre clairement OUI, parce que déjà à la base lorsque Gilles Leroy (ou un autre) s’attaque à une figure historique, il ne la traite pas de la même manière qu’un personnage de fiction – preuve en est qu’il prend la peine d’accomplir un travail documentaire monumental. Quant à la réception du lecteur… il est tout simplement impossible pour lui de recevoir un livre sur Zelda Fitzgerald sans penser à Zelda Fitzgerald (ainsi qu’à son époux, par extension, d'autant qu'on doit à ce dernier les plus belles pages jamais écrites sur la dame en question). Faudrait voir à pas trop en réclamer ; je me suis même demandé si finalement le plus gros défaut d’ Alabama Song n’était pas justement d’utiliser le nom et la légende de Zelda (au sujet de laquelle existe déjà une bibliographie impressionnante) alors qu’il n’aurait été ni plus ni moins intéressant avec une Helga…
…jusqu’à ce que finalement j’en note un autre (de gros défaut), du genre rédhibitoire : c’est toujours un peu dur à dire, mais bon… il y a des passages qui sont assez mal écrits. Au fur et à mesure que Zelda avance dans la vie, et donc dans les crises et donc dans la dépression et donc dans la folie… le style verse un peu plus dans le lyrisme pompier, et j’ai fini par chercher en vain la poésie et la beauté que tout le monde m’avait vantées. Ca m’a presque rassuré : tant que c’étaient mes conceptions littéraires qui buguaient à la lecture, j’avais mauvaise conscience de devoir dire du mal d’ Alabama Song. Mais là, l’honneur est sauf : une écriture si ampoulée (surtout dans le dernier quart), je n’aurais aimé ça nulle part – même pas dans la fausse autobiographie de Simone Cambridge.
Ouf !
👎 Alabama Song
Gilles Leroy | Mercure de France, 2007