mercredi 20 février 2008

Ce serait donc ça. La France.

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Secrétaire d’Etat délégué à la Connerie Humaine  

Nicolas Sarkozy est un type extraordinaire. Reconnaissons-lui au moins ça. Vous pensiez le connaître ? Eh bien non : neuf mois après son élection, quinze ans après ses premières fonctions gouvernementales… il arrive encore à surprendre. N'était-ce si pathétique pour le pays c’en serait presque émouvant. Sarkozy est l’anti-AC/DC. Il se renouvelle en permanence, il se renouvelle tellement qu’on a sans doute tous fini par oublier qui il était il y a encore deux ans. La rupture étant expédiée fallait bien continuer à vivre, on imagine la dépression du mec arrivé au sommet - alors voilà : Nicolas S. a décidé de pratiquer l'auto-rupture permanente. Sa capacité à brouiller les pistes est tellement développée qu’une seule véritable conclusion me vient : le bonhomme œuvre jour et nuit pour ses biographes. Lesquels seront assurément des biographes d’ouverture. Si si : ne sont-ce pas les journalistes de feu la presse de gauche qui passent leur temps à essayer d’expliquer l’inexplicable, de psychanalyser le Président au lieu de combattre sa politique ? Qui passent le plus clair de leurs journées à essayer de comprendre des contradictions incompréhensibles, comme s’il y avait une complexité profonde derrière – là où dans les contradictions de Chirac on n’a jamais vu que de l’inconséquence ? Combien d’éditoriaux Jean Daniel et ses copains vont-ils encore mettre avant de se dire que le mec de l’Elysée est juste un opportuniste ne croyant en rien et qu’il vaudrait mieux parler de sa politique plutôt que de ses neurones ?…
 
Prenons le Rapport Attali… hein ? Mais si, voyons : pour libérer la croissance. Le programme politique français du mois de février… rappelez-vous, c’était y a deux, trois semaines. Comment ? Pardon ? Ah si si, je vous assure : c’était seulement y a trois semaines, grand max. Et ç’avait remplacé la politique de civilisation… hein ? quoi ? MAIS SI ! Rappelez-vous : c’était le programme politique français du mois de janvier. Qui avait remplacé lui-même…
 
… mouais bon, ok : abandonnons ces questions. Vous avez raison : on n’y comprend rien. C’est même fait pour. Les professionnels de la profession parlent d’écran de fumée – c’est l’expression consacrée. Ils oublient que Sarkozy est fan du PS-G ; il me fait plutôt penser à un joueur de foot qui au lieu de dégager en touche se baisse et change de ballon en cours de partie (lorsqu’il ne change pas de maillot). En ce sens sa dernière trouvaille est tellement magnifique que ma première réaction a juste été d’arrondir les yeux, de surprise mêlée d’admiration. Ce coup de faire porter la mémoire d’enfants déportés à des gosses de CM2 d’aujourd’hui… je dirai juste : WAOUH. Quel talent ! Quel génie ! Vous aviez cru, avec cette histoire de mariage discret, que c’était bon, qu’il avait compris le message ? Que dalle mes enfants : Sarkozy ne changera jamais. C’est aussi pour ça qu’on l’aime, je ne sais pas vous mais durant les deux semaines où il s’est (relativement) tenu à carreaux je me suis emmerdé comme un rat crevé (heureusement qu’il y a eu cette histoire de SMS pour obliger Nico à revenir sur le devant de la scène, qu’est-ce qu’on se faisait chier !). Je ne bouderai donc pas mon plaisir de retrouver un Sarkozy en grande forme après une trop longue éclipse. Fassent les cieux qu’il ne décide pas subitement de devenir un vrai président et de prendre de la hauteur… ce serait un désastre pour la bonne marche de ces éditoriaux et pour la bonne santé de l’engagement citoyen dans ce pays. Vous avez bien lu : Sarkozy, je trouve, a plein de bons côtés. Chirac était trop sympathique, on avait du mal à s’opposer. Et Villepin ? Comment détester foncièrement un lettré, un amoureux de la littérature et de la poésie ? Avouez qu’avec Sarkozy, qui prétend "lire Céline sans être antisémite et lire Proust sans être homosexuel" (!!!), premier président à n’avoir aucun attrait pour l’art et la culture (passés Bigard et Sardou)… c’est quand même vachement plus facile.
 
Je sais, je sais : je vous déçois un peu sur ce coup. Vous vous attendiez sûrement à ce que je gueule, à ce que je m’insurge, à ce que… mais très honnêtement : j’ai plus la force. Sarkozy est usant, et c’est à l’usure qu’il nous aura tous. A quoi bon se révolter ? De toute façon les trois quarts du temps ses effets d’annonce ne sont suivis de rien (la création d'une commission pour chaque micro-problème de société ne pouvant décemment pas être considéré comme quelque chose). Sa vraie politique c’est celle qui se passe en coulisses, dont on ne parle que très peu, celle qui par exemple organise des rafles sur les immigrés – comme celle du foyer des Terres-au-curé la semaine dernière (plus d’une centaine de sans-papiers interpellés au petit matin par un escadron, on conviendra que c’est moins palpitant que de savoir qui baise qui – n’est-ce pas ?). Rafle, oui. Il n’y a pas d’autre mot. On comprendra que je me bidonne de voir le bonhomme se faire l’apôtre du Devoir de Mémoire le plus intégriste. A quoi ça sert, dites-moi, un Devoir de Mémoire… sinon à éviter que l’histoire se répète ? Comment les gens du bien-pensant CRIF, devant lesquels le Président déballa sa lumineuse idée sur l’enseignement de la Shoah, ont-ils pu applaudir quelqu’un autorisant (encourageant !) une rafle, en France, en 2008 ? J’ose croire que c’est une plaisanterie. Que l’info a été manipulée. Je suis naïf, je sais.
 
Admettons cependant que Sarkozy est, tout de même, un génie de la subversion. Réussir à diviser avec quelque chose d’aussi consensuel que le Devoir de Mémoire… la vache ! Ça force le respect. Dommage que ce soit à des fins bassement politiques (voire mercantiles) plutôt que pour ouvrir un débat intéressant… qu’importe ! Oserais-je le dire ? Juifs ou communistes morts dans les camps ne m’en voudront pas d’écrire que n’en déplaise au Président… il y a des choses autrement plus importantes que l'enseignement du Devoir de Mémoire dans la France d’aujourd’hui. Autrement plus importantes au sens : autrement plus de son ressort. Le sujet a donné lieu à moult essais captivants, à pléthores de mauvais romans… il est quasiment inépuisable, que son enseignement soit une des priorités number one du gouvernement est pour le moins... déconcertant. Les expulsions ignobles (arrivé au quota foudroyant de 26 000 ça relève presque de l’abstraction), le pouvoir d’achat en chute libre, le chômage, les SDF, les banlieues, la faillite de la recherche… ce sont des sujets autrement plus urgents à régler, autrement plus dans ses attributions et c’est assurément pour cela que quelques naïfs l’ont élu. Pas pour qu’il parte faire du prêchi-prêcha. Au-delà de la polémique en elle-même il est déplorable de voir un type censé être un homme d’état se disperser dans des problèmes aussi périphériques que la suppression de la pub sur le Service Public ou, oui, l'enseignement du Devoir de Mémoire – qui semblent lui prendre beaucoup de temps mais dont les mises en chantier n’auront a priori aucun effet sur le quotidien des français qui souffrent de l’exclusion ou de la précarité.
 
On m’excusera donc de ne même pas avoir envie de commenter le projet en lui-même : il n’est pas abject – juste absurde. Ne repose sur aucune justification ni aucun besoin profond (sinon celui de flatter quelques lobbies dans le sens du poil, couplé à la nécessité de clore l'épisode du SMS), et m’a même plutôt fait rigoler. Ça m’a rappelé que quand j’étais en CM2 (j’avais donc… neuf ans) un camarade m’a dit au milieu d’un cours : J’ai la peste noire. En rentrant j’ai demandé à ma mère ce que c’était. Ses explications m’ont terrifié. Pendant une semaine j’ai cru que j’allais mourir, j’ai même fait mes adieux à mes camarades dans la cours de l’école ! Il a fallu que mes parents me traînent chez un médecin pour me rassurer – et encore après ça ai-je conservé quelques doutes. Vous croyez peut-être que ça n’a rien à voir, mais ç’a tout à voir : en CM2 on est encore impressionnable, fragile – friable. En CM2 on n’est encore qu’un tout petit bonhomme. Et Louis Sarkozy, il est en quelle classe ? CM2 ? Sixième ? On suppute, bien sûr, que chaque week-end son père l’emmène sur la tombe du petit Simon – mort à Auschwitz en 1943. Évidemment. Ah… sacré Président ! Ce n’est pas même insoutenable, comme a dit Simone Veil. C’est juste grotesque. Quand bien même si ce projet passait en l’état (c'est inconcevable, ils reculent déjà et n'ont pas fini de marcher à reculons), il y aurait une hausse brutale du pouvoir d’achat. Des pédopsychiatres.

Hasards des calendriers  

Bon. Ceci dit, il y a quand même, heureusement, quelques bonnes nouvelles. Tenez : la mort d’Alain Robbe-Grillet. Quelques mois après Julien Gracq. C’est quand même super, non ? Ca veut dire que des places vont se libérer dans le Club des Plus Grands Ecrivains Français Vivants Autproclamés – on va tout de même pas s’en plaindre. Espérons juste que Queffélec et d’Ormesson ne postuleront pas.
 
Sacré Alain, va. C’était un foutu farceur, un sacré faussaire. Punk qui s’ignorait, qui publia avec Les Gommes l’équivalent littéraire du premier album de Suicide – mention faisons table-rase. Certains y ont vraiment cru (plus souvent ses détracteurs que ses supporters, paradoxalement), la littérature française ne s’en est jamais vraiment remise. Ce qui est sûr c’est qu’il aura bien fait marrer ceux qui eurent l’idée folle de ne pas trop le prendre au sérieux. Ah ça ! il était autrement plus drôle que Salvador. Je ne comprends vraiment pas pourquoi personne n’insiste sur ce point alors que tout le monde nous a gavé les portugaises la semaine dernière avec le rire de Salvador. Mais enfin voyons : c’est pas parce qu’un mec rit qu’il est drôle ! C’est quand même bizarre, de faire ce genre d’amalgame. Enfin bref : la coïncidence de ces deux décès tout aussi tristes l’un que l’autre (je déconne, mais Salvador était un grand) a tendance à les faire se confondre dans mon esprit, à tel point que j’en viens à relever des détails curieux. Par exemple : tout le monde trouve formidable que Salvador ait chanté et joué jusqu’à quatre-vingt-dix ans. Moi aussi, même si je n’ai jamais compris que l’âge du capitaine soit considéré comme une qualité à mettre à son actif (c’est un peu comme pour les Stones : Non mais vous vous rendez compte, ils tournent encore autour du monde, à leur âge ! – bah euh… ouais… m’enfin il était quand même un peu pourri le concert, non ?). Non vraiment, c’est chouette. Cela dit Robbe-Grillet, lui, il a écrit jusqu’à presque quatre-vingt-six ans – mais alors ça tout le monde s’en fout. Pourtant c’est vachement bien aussi, non ? Bah non : dans l’imaginaire collectif écrivain sera sans doute éternellement un boulot de glandeur, ni fatigant ni vraiment prenant. Un mec qui écrit un truc aussi fantastique que La Reprise à l’aube du quatrième âge… c’est apparemment moins fascinant qu’un vieux bonhomme qui enregistre les chansons des autres en forçant pas trop sur la voix de peur qu’elle se brise.
 
En tout cas je ne peux pas être triste de la mort d’Alain Robbe-Grillet, auteur captivant que j’ai découvert (je l’avoue) sur le tard. Les médias m’en empêchent, avec leurs putains de commémorations qui fleurent bon le C’était tellement mieux avant. Mon Zola : Gracq et Robbe-Grillet sont morts ! C’est la littérature française qui agonise ! Comment va-t-on faire – ce n’est pas avec les auteurs d’aujourd’hui qu’on retrouvera des artistes de ce calibre. Bah tiens. Tout ceci est bien rance, et rend franchement mal hommage à l’enthousiaste Robbe-Grillet, lui si ouvert sur le monde, sur la littérature, si à l’écoute de ce qui se faisait aujourd’hui. Lui qui refusait ces théories déclinistes fumeuses et voulait toujours croire que le meilleur restait à venir. Il était l’inverse absolu de cela, qu’on aime ou déteste son œuvre il serait bon de le lui reconnaître – on parle ici d’honnêteté intellectuelle. Mais il est vrai qu’un télexe m’annonce à l’instant qu’à part une poignée de journalistes, Sandra et moi-même… personne ne lit les livres de Robbe-Grillet. Mais vraiment personne. On murmure même que tout le monde s’en fout. Tout le monde de chez tout le monde. Bon. A la limite tant mieux : c’est aussi à ça que sert la mort. Pourquoi croyez-vous que j’ai tué mon double littéraire ?

C’est une vie de galérien  

Bon… je reconnais que l’édito de la semaine n’a rien de très folichon. Quand on n'y parle pas de mort on y parle de politique de manière frontale (une rareté dans ces pages)… je suis d’accord, faut aérer. Parlons donc d’un truc plus léger.
 
Vous avez vu que Cauet a arrêté son émission quotidienne ? Merde alors… j’ai appris ça hier par mon cousin. Ça m’a estomaqué. Cauet avait donc une émission quotidienne ? A la télé ? Rassurez-moi : c’était sur TF1 ? Non par ce que moi, je suis tellement snob… que je ne regarde jamais la télé. Sérieusement. Y en a qui disent ça pour poser mais qui se repaissent d’émissions à la con, ceux-là sont faciles à identifier parce qu’ils vous disent que la télé c’est de la merde mais connaissent tous les jurés de la Starac. Sans parlez de ceux qui arrivent encore à tomber dessus par hasard, avec qui vous pouvez tout de même discuter normalement, or ça, quand on regarde pas la télé, c’est juste pas possible. Je parle d’expérience : quand comme moi on ne regarde vraiment pas du tout la télé on vit presque dans un monde parallèle, il y a une espèce de décalage permanent en terme de références « culturelles » (vous comprendrez que je mette des guillemets). Quand je bossais avec des mômes, qu'il y en avait autour de moi… j’arrivais à rester dans le vent. Là, je suis complètement déconnecté de ce qui intéresse la plupart des gens dans mon entourage. C’est peut-être pour ça d’ailleurs que ce débat sur le financement de la télé publique m’emmerde : je connais pas une seule émission de France 2 ! Je sais qu’il y a Drucker, Sebastien – parce qu’ils y sont depuis des années et que j’ai quand même un peu regardé la télé dans le temps (quand j’étais dépressif). Mais alors les autres…j’ai aucune idée ni de leur nom ni de leur job. En réalité je n’ai quasiment rien regardé d’autre que le journal d’i-télé depuis la fin de mon arrêt pour dépression (septembre 2006). J’ai été absolument stupéfait de découvrir que Marc-Olivier Fogiel était passé sur M6 ! Que Laurent Ruquier avait toujours une émission – et même deux ! Que Campus n’existait plus ! Que Pierre Lescure présentait maintenant Ca balance à Paris que Qui veut gagner des millions passait encore que Nagui était toujours vivant que Les Enfants de la télé existaient en 2008 que personne ne s’était encore rendu compte que Carole Rousseau était une pétasse… merde alors ! En rallumant la télé ces derniers jours, j’ai vraiment été pris d’un vertige : c’est qui cette fille qui présente le journal à la place de Claire Chazal ? Christophe Dechavanne refait de la télé ? Téléfoot c’est plus sur la un ? Mais rassurez-moi… : Amour Gloire et Beauté est toujours diffusé ?
 
Ah mes amis… je vous jure, ce fut une expérience terrifiante. Je ne savais plus du tout qui étaient tous ces gens que je voyais défiler dans mon poste. La plupart j’en avais jamais entendu parler, ceux que je connaissais avaient disparus (mais où est passée Flavie Flament ?), j’ai juste rien compris. Même les personnages de Plus belle la vie , ils ont tous changé ! Et le plus grave, c’est qu’en parlant avec mon cousin tout en zappant… je me suis senti inculte. Ma virée télévisuelle a tourné court : Sébastien Folin, Anne-Sophie Lapix, Nikos, Jean-Luc Reichmann, Cauet… il semble que ces gens (dont pour certains j’ai retrouvé le nom grâce à google – j’en aurais sinon été incapable), aussi dingue que cela puisse paraître, appartiennent à la culture de notre pays. Ils sont connus d’une grande majorité de français, qui les regardent, qui en parlent. Ils comptent pour eux ! Putain… finalement je comprends mieux que Sarkozy soit Président. Il me manquait une donnée essentielle pour percer le mystère ! Je comprends mieux que personne ne lise les livres de Robbe-Grillet ou de Gracq ou de n'importe qui - d'ailleurs. Les gens regardent la télé. Ils regardent d'autres gens... qui jusqu’à il y a quelques jours n’existaient même pas pour moi.
 
Je tenais donc à rectifier au plus vite ce que j’ai écrit la semaine dernière : finalement, oui, je suis élitiste. A mort. Et vous savez quoi ? J’en suis fier ! Venez, fondons d'urgence la Ligue Elitiste Révolutionnaire ! On fera des trucs de oufs, on discutera de choses intéressantes, on fera des sorties culturelles, on rigolera sans pour autant être des crétins. On ira voir des films où y aura ni Samy Naceri ni Guillaume Canet. On regardera des jeux télés avec des concepts originaux et des questions qui en sont vraiment. On écoutera de la musique qui passe même pas sur NRJ ! On adoptera tous un enfant traumatisé par l'enseignement de la Shoah en CM2 et on l'aidera à se réinsérer dans la société. Je vous assure : Another world is possible. Un monde où on pourrait même - soyons fou - lire des livres.

Avouez que ça fait envie...