dimanche 2 décembre 2007

Philippe Djian - Oh we're so pretty oh so pretty... vacant...

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On en parle rarement, mais il est probable que beaucoup d’auteurs aimeraient voir leur œuvre évoluer comme celle de Philippe Djian au court des vingt cinq dernières années.

Entamé sous les ombres tutélaires de Hemingway, Fante ou Bukowski, son travail n’a eu de cesse de se renouveler, de se réinventer, de se transformer. Romans largement autobiographiques à la première personne (summum de cette période : Maudit Manège), introduction de la troisième à la fin des années 80 (Echines), fictionnisation de plus en plus importante dans les années 90 (de Lent dehors jusqu’à Sainte Bob)… et voici qu’à l’orée des années 2000, Djian devient un véritable caméléon tâtant de tous les genres avec un égal bonheur – dit-on. Car dans le fond Djian n’a jamais fait que du Djian. C’est juste qu’il a su donner différentes facettes à son talent. Et aussi que le magnifique essai Ardoise l’a libéré.

Fort logiquement Impuretés , son dernier roman en date si l’on excepte la série des Doggy Bag, ressemble beaucoup sinon à une œuvre-somme du moins à une forme d’accomplissement. Richard est certes un écrivain sur le retour, et ma foi ça faisait un bail qu’on n'en avait pas vu un dans un bouquin de l’auteur. Mais ce n’est pas lui le personnage central, ni sa femme l’actrice en fin de carrière. Non, le véritable antihéros de ce livre c’est Evy, leur fils. Un jeune tout ce qu'il y a de plus ordinaire, c'est à dire : absolument largué, désoeuvré, rageur comme on l'est tous à quatorze ans et obsédé comme on l'est tous à... euh... n'importe quel âge ! On suit l'errance de cet ado déjà tellement désabusé, et la magie opère, incroyablement : on s'identifie à lui. On ressent sa solitude, on épouse son mutisme. Surtout, on se noie avec lui dans l'affliction.

Car la clé de cette histoire aussi glacée que sa couverture c'est le silence qui suit la mort. En l'occurrence celle de Lisa, la soeur d'Evy, noyée dans des conditions pour le moins mystérieuses. Un drame macabre venu déchirer le vernis de la petite communauté bourgeoise où tous ces êtres se croisent sans jamais réellement se voir. Ce synopsis vous rappelle quelque chose ? Bien vu : Djian n'a pas attendu sa série à succès pour rendre hommage à son feuilleton favori : Twin Peaks, dont il reprend déjà certains éléments dans ce livre (impossible de ne pas penser au pilote de la saga lychienne, où tous les personnages tournent en rond, ébranlés par la mort de Laura Palmer - même ceux qui ne l'aimaient pas ou la connaissaient à peine... parce que la réalité pénètre subitement le quotidien de la communauté), y ajoutant une mesure d'étude de moeurs au scalpel.

Satire sociale, Impuretés ? Non : plutôt roman noir sans concession, Goodis débarquant en pleine France d’en bas et dressant un constat des plus désolés. D’aucuns parlèrent à propos de ce livre de « retour aux sources » de l’auteur… mais rien n’indique vraiment l’attrait du passé. Le Djian des années 80, s’il développait un univers relativement proche de celui-ci, savait rire… et ce rire se teintait toujours d’espoir. Pas de ça ici : les paumés d’ Impuretés avancent vers un futur morne et inéluctable ; lorsqu’ils rient ce n’est pas pour se rappeler qu’ils sont vivants mais pour oublier qu’ils sont morts. Et que Philippe Djian, fossoyeur-poète, est le seul à pouvoir encore toucher à la pureté. Celle de l’écriture, bien entendu.


👑 Impuretés 
Philippe Djian | Gallimard, 2005