mardi 20 novembre 2007

Erekosë - Les Risques du métier

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Être un héros, c’est bien connu, n’a rien de très reposant.

Néanmoins s’ils savaient ce que c’était qu’être Le Champion Eternel, les X-Men se plaindraient certainement beaucoup moins. C’est un métier tout aussi peu reposant, mais en plus interminablement crevant puisque vous ne pouvez pas mourir… euh… non, d’ailleurs, c’est encore pire que ça : vous pouvez mourir dans d’atroces souffrances, et vous vous réincarnerez après en ayant très très mal partout. Ce pour l’Eternité. Avouez que ça ne fait pas envie, d’autant qu’en plus quand vous vous embarquez pour une nouvelle mission ça ne se fait pas vraiment dans la douceur. Les gens qui vous sollicitent ne prennent pas rendez-vous avec votre secrétaire avant de venir vous expliquer de quoi il retourne, non non : ils vous appellent de l’autre bout de l’univers (ou de l’espace ou du temps ou des trois) et là CRAC ! Vous vous évanouissez et vous réveillez dans ce monde où on a besoin de vous, sans possibilité de refuser ni de revenir en arrière.

Le plus bel exemple de tout ça, c’est quand même ce brave Erekosë, aka John Daker et plein d’autres trucs encore. Même pas deux siècles qu’il s’est installé auprès de sa douce Ermizhad (deux siècles ça peut vous sembler énorme, évidemment, mais pour un mec qui va vivre jusqu’à la fin des temps c’est rien du tout – un mois de vacances tout au plus) que déjà on l’appelle, et tel Scott Bakula dans cette série que je regardais tout gosse notre ami se retrouve propulsé à travers l’espace-temps pour se retrouver dans la peau d’un autre que lui-même (cela dit lui-même, ça fait déjà deux millénaires qu’il a oublié ce que ça voulait dire). Devenu Ulrik Skarsol, il constate alors que cette fois-ci le Destin l’a encore moins gâté que la dernière fois (à noter que la dernière fois le Destin avait fait de lui le génocideur de l’humanité) : non seulement cette nouvelle terre où il débarque est complètement gelée et à moitié vide, mais en plus l’a-t-on affublé d’un nouveau look pire que ringard, à mi-chemin entre un viking post-punk et un figurant dans un clip de Hammerfall.

Pas découragé pour autant, notre ami va essayer de découvrir pourquoi il est arrivé sur place (enfin… pourquoi… : il se doute bien que c’est pour de la baston, hein… il se demande juste qui il doit bastonner). Il faut bien dire aussi qu’il n’a pas grand chose d’autre à foutre. Là, bingo : il tombe sur un peuple très sympathique et savant, il se dit Chouette, ils doivent avoir besoin que je les sauve ces braves gens. Oui, mais non : les habitants de Rowenarc n’ont absolument pas besoin de lui, personne ne les menace et d’ailleurs ils sont tous seuls sur cette terre. Croient-ils, parce qu’évidemment tout cela va s’avérer bien plus compliqué que prévu – sans quoi y aurait pas d’histoire…

Certains m’ont demandé à plusieurs reprises pourquoi je lisais Moorcock, moi qui avait pourtant l’air de quelqu’un de sérieux. Je vais donc profiter de l’occasion pour m’expliquer un peu.

Je n’ai jamais pu comprendre pourquoi le prog-rock et l’héroïc-fantasy s’entendaient si bien, ce qui est certain c'est que ces deux sous-genres musical et littéraire ont un remarquable point commun : ils comptent tous deux parmi les plus méprisés qui soient tout en étant paradoxalement de très loin les plus prétentieux (la prétention s’évaluant évidemment sur le ratio moyens/ambitions). En toute objectivité, il n'est pas rare que l’heroïc-fantasy soit le sous-genre littéraire le plus con du monde, tout en ne se prenant franchement pas pour de la merde : grandes thèses ésotérico-philosophiques fumeuses rendues caduques par une vision du monde totalement binaire, influences mythologiques mal digérées, références foutraques et souvent hors sujet (on pense notamment à Blake, à T.S. Eliot, les pauvres), stéréotypes en veux-tu en voilà, misogynie prépubère et imagerie grotesque, sans oublier des qualités littéraires souvent plus que limitées… très franchement, une grosse partie de l’heroïc-fantasy ne vaut pas tripette, son inventivité se limitant aux noms des personnages (genre la même histoire aurait moins de sens avec Michel Le Guerrier à la place de Gergobiconn)... et les pauvres Chrétien de Troyes ou Lord Dunsany, immenses stylistes avant tout, auraient sans doute bien honte de tous ces nerds se prétendant en toute modestie leur progéniture.

Pourtant l’heroïc-fantasy, comme tout sous-genre qui se respecte, possède ses génies. Michael Moorcock est l’un deux, qui écrit admirablement et propose un univers particulièrement affûté (plus punk que prog pour revenir à la comparaison initiale). The Eternal Champion est en ce sens un de ses cycles les plus aboutis, parce qu’à des années lumières des clichés du genre. Chez Moorcock les demoiselles en détresse se révèlent bien souvent être les pires salopes, les artefacts induisent inévitablement un pacte avec les forces obscures, les victoires sont presque toujours des défaites et la majeure partie du temps on a bien du mal à différencier les gentils des méchants. Bien sûr il y a de la démesure, du grandiose, de la bravoure et des batailles. Mais il y a surtout un second degré permanent rappelant que tout ceci n’est qu’une vaste blague, et cet auteur-ci réussit bien souvent à écrire des œuvres extrêmement abouties avec un degré d’ambition des plus modestes, ce qui ne peut que forcer le respect.

Ceci posé Phoenix in Obsidian, quoique moins génial que le premier volet de la trilogie, ne pouvait être qu’un excellent livre. Dont acte : Erekosë est bien entendu largué la moitié du temps, tout le monde lui en veut – même le Destin qui lui joue mauvaise blague sur mauvaise blague, et au final on peine quand même à le plaindre vu que c’est un assassin de première catégorie. Moins populaire qu’Elric et moins connu que Corum, John Daker demeure pourtant l’un des héros les plus adultes de Michael Moococks, les plus malins, et sans doute le plus captivant de tous – puisqu’en tant que Champion Eternel attitré il les contient littéralement tous. Voici pourquoi je me passionne autant pour ses aventures, et voici surtout pourquoi je vous recommande plus que chaudement cette trilogie, y compris si vous ne goûtez que très moyennement l’heroïc-fantasy. Dans le fond : moi aussi.


👍👍 Phenix in Obsidian 
Michael Moorcock | Mayflower, 1970