jeudi 22 novembre 2007

Make Them Your Own

[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - N°77]
Take Them on, on Your Own! - Black Rebel Motorcycle Club (2003)

2001 était chouette, 2002 vachement excitante. En 2003, tout les choses se sont gâtées. Le revival rock a commencé à soûler tout le monde. Ses leaders se sont presque tous viandés. La chanson de l’année avait beau être « Seven Nation Army », le dernier White Stripes n’en était pas moins sensiblement moins bon, moins frais et moins original que De Stijl et White Blood Cells. Il était néanmoins tout à fait intéressant, ce qu’on pouvait difficilement dire du très attendu second Strokes (Room on Fire). En somme tandis que la hype redoublait d’intensité, le « mouvement » (si on peut dire) s’essoufflait passablement – et n'aurait de cesse d’ailleurs de s’essouffler : si le revival rock continue de cartonner aujourd’hui, il n’aura échappé à personne que la plupart des groupes qui l’initièrent sont désormais has-beenés ou splittés.

Alors, la délivrance vint du seul groupe qu’on n'attendait pas vraiment. Enfin bien sûr les critiques et auditeurs avertis avaient repéré le premier album de Black Rebel Motorcycle Club, aimable collection de pastiches de Nirvana et des Jesus & Mary Chain. Un titre avait même marqué ceux qui l’avaient entendu, on comprendra sans peine pourquoi : « Whatever Happened to My Rock’n’roll? ». Néanmoins rares étaient ceux à considérer BRMC (pour les intimes) comme un groupe de première main dans son genre. Tout ceci était encore bien trop sous-influence pour être honnête. C’est en tout cas ce que je me disais, comme beaucoup de gens. Jusqu’à ce que je tombe, presque par hasard, sur Take Them on, on Your Own!. Qui fut par bien des aspects le premier grand disque de cette vague revival – probablement l’un des seuls qu’on écoutera encore quand tout ça sera fini (dans moins de cinq ans, donc).


Il y a d’abord « Stop », morceau fort sympathique :


We don’t like you
We just want to try you…

J’ai oublié de vous dire que les BRMC n’étaient pas spécialement des rigolos, comme le laissent supposer leur nom et pochettes. Et qu'ils ne sont pas totalement des vrais revivalers garage-post-punk, puisque leur véritable premier album (autoproduit et très bon), US Government, date de 1999…et surtout parce qu’ils sont américains. Comme les autres, me direz-vous. Oui, mais ils sont aussi américains dans leur musique : il ne vous aura pas échappé que tous ces jeunes groupes semblent ne s’intéresser (en gros) qu’à Cure, aux Smiths et à tous les fleurons du brit-rock du début 80's. Si la formule BRMC (grosse basse qui tache, guitares en acier trempée, réverb sur la voix et pédale fuzz) n’a rien que de très classique, elle est par bien des aspects bien plus ricaine et bien plus moderne. Ce n’est pas parce qu’on intitule un titre « Heart + Soul » qu’on n’est qu’un succédané de Joy Division, n’est-ce pas ?

Dans Take Them on, on Your Own, il y a donc surtout du rock plombé très zeppelinien (« In Like the Rose »), de l’embardée grunge sinueuse (« We’re All in Love » n’aurait pas dépareillé sur l’album éponyme d’Alice In Chains). Le tout donne l’impression d’avoir été compassé par un producteur bloqué dans un trip à l’octogen, les anaphores sont de rigueur (« Ha Ha High Babe »), les vestes en cuir noir aussi (« Six Barrel Shotgun »). Œuvre d’un genre nouveau de bikers existentialistes, Take Them on, on Your Own! est franchement un album détestable dans son refus systématique de la mélodie. Peter Hayes  et Robert Turner donnent l’impression de n’avoir jamais trouvé que trois riffs entre 2001 et 2003 et de les exploiter jusqu’à plus soif, leurs paroles sont la plupart du temps incompréhensibles (ou inaudibles ou les deux) et au final on a la sensation de n’avoir entendu que cette section rythmique ébouriffante du début à la fin du disque. C’est moche, c’est sale, c’est clairement intello… mais qu’est-ce que ça le fait ! Quelle maîtrise ! Quel coup de génie !

Assommé, on cherche en vain à comprendre : comment peut-on enchaîner le très psyché « Generation » avec l’espère ce heavy-cold-wave de « Shade of Blue » ? Comment peut-on à la fois évoquer le Velvet, le shoegaze et le stoner sans jamais casser les oreilles ? Comment peut-on exhumer des compos de jeunesse aussi brillantes que « US Government » ou « Going Under » ? L’expérience, sans doute : en dépit de leur relatif anonymat d’avant les années 2000, Peter Hayes et Robert Turner ne sont pas tout à fait des perdreaux de l’année, ayant œuvré au sein d’une poignée de combos archi-cultes (Brian Jonestone Massacre pour le premier, Pussy Galore pour le second). Dopé par un jeune inconnu possédé par le feu sacré des batteurs de la Bonzo Family (Nick Jago), leur duo avait de grandes chances de ruer dans les brancards d’un heavy-rock qui groove, pète les enceintes et appuie sur le champignon. Il n’est pas interdit de penser à des petits neveux de Mudhoney : chez Black Rebel Motorcycle Club on retrouve, délivré dans un style différent, le même amour fuzzy pour les Stooges, Led Zep et Gun Club – bref pour le rock dur des trois générations précédentes. Avec en sus un soupçon de new-wave découlant plus de l'ère du temps que d'une véritable conviction ; il était probable que cet aspect disparaîtrait totalement d’ici à deux disques – et effectivement sur l’excellent Baby 81 de cette année on entend plus tellement l’influence curienne. D’ailleurs, quand on réécoute Take Them on, on Your Own! avec quelques années de recul, force est de reconnaître que cette œuvre dense et torturée n’a que très peu d’accointances avec la scène revival à laquelle on l’a rattachée. Osons la formule provoc : c’est juste le meilleur album grunge qu’on ait entendu depuis l’ultime chef-d’œuvre d’Alice In Chains…

… QUOI ????? N’IMPORTE QUOI, L’AUT’ !!! … s’écrient déjà quelques empêcheur de rocker en rond. N’importe quoi, vous croyez ? Je ne sais pas : il y a le heavy, le punk, le rock et les affinités alternatives. Il y a les thèmes, le son sur un ou deux titres (« Suddenly »). C’est du grunge d’aujourd’hui. Ça évoque les premiers Screaming Trees, les premiers Mudhoney, Bleach… c’est très fort, très sombre, très puissant. Et c’est un très grand disque de rock ténébreux se complaisant dans la noirceur et la dépression :

We’re gonna make it…
We’re gonna suffer !

… quel délicieux programme !


Trois autres disques pour découvrir Black Rebel Motorcycle Club :

US Government (1999)
B.R.M.C. (2001)
Baby 81 (2007)