lundi 19 novembre 2007

Joy Division - Night Shift

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A chaque automne sa litanie morbide, qui verra au choix le fan désespérer ou bien se réjouir. Après Cash il y a un an, voilà donc que le cinéma fait redécouvrir Joy Division à une horde de jeunes gens en délire. On les comprend : rencontrer un monument comme celui-là a quelque chose de particulièrement délectable, parfois on les envierait presque, ces gosses, d’avoir encore autant de choses à découvrir. Quel bonheur quand on y pense : découvrir Joy Division…

Nos deux litanies ont cependant quelques choses fondamentalement différentes : tout d’abord Control est un grand film, dont le seul intérêt n’est pas de raconter Ian Curtis et dont les qualités esthétiques sont réelles, là où Walk the line n’était qu’un biopic détestable ; ensuite la discographie de Joy Division, nettement moins touffue (deux albums, une poignée de singles, une pincée de compiles) n’avait pas réellement besoin – contrairement à celle du Man in Black – d’un réel lifting, puisque rééditée maintes fois avec des bonus presque toujours anecdotiques (et pour cause : les derniers inédits sont parus en 1997 sur le coffret Heart + Soul). Il serait néanmoins idiot de ne pas parler de ces nouvelles sorties, à plus forte raison quand on a une rubrique des ses cent disques préférés qui nous pose le traditionnel (mais grave) problème de conscience : quel disque de Joy choisir ? Dans la mesure où nous allons évoquer aujourd’hui Closer il n’y aura guère de suspens, cependant je vous demanderai lorsque j’évoquerai Unknown Pleasures de faire semblant d’être surpris.

Merci d’avance.


Dire que Closer est un chef-d’œuvre serait sans doute en-dessous de la réalité. Dire qu’il est un des meilleurs disques de tous les temps serait un gros mensonge. La vérité c’est que Closer appartient à ces disques rarissimes qui inventent la musique, qui créent les sons… ces disques qui tels un Sgt Pepper’s…, un Revolver ou un The Velvet Underground with Nico explosent toute notion de valeur, de qualité ou de notation. On peut tout à fait ne pas l’aimer, être réfractaire à la voix si particulière de Curtis ou trouver ça trop déprimant pour avoir envie de l’écouter très souvent. Peu importe : on ne peut en revanche, en aucun cas, en diminuer la portée. Closer est juste une œuvre monumentale, de celles dont vous avez tout à fait le droit dire humblement qu’elles ne vous parlent pas mais dont vous seriez tout bonnement chtarbés de dire que c’est pas bien. On ne dit pas que Closer n’est pas bien, c’est interdit, ça ne se fait pas. C’est comme pour les Beatles, Mozart et une dizaine de trucs dans l’histoire de la musique.

La principale qualité de ce disque réside, outre dans sa puissance émotionnelle à ce jour inégalée chez les groupes contemporains (Radiohead mis à part, mais Radiohead ne vit ni dans notre époque ni notre dans monde), dans son intemporalité absolue. Closer n’a pas d’époque, pas de contexte, pas d’histoire, pas d’influences, pas de genre. Il ne ressemble à rien de ce qui se faisait avant, et tout ce qui se fera après dans le style lui sera inférieur. Certains vous expliqueront bien sûr, croyant sans doute faire les malins, que ce disque est sorti en juin 1980, qu’il a été enregistré dans la douleur, qu'Ian Curtis s’est suicidé deux semaines avant la sortie, que c’est la pierre angulaire de la cold-wave.

Ils auront tort. Closer est bien plus que cela, et l’on peut réfuter toutes ces remarques en quelques secondes :

1/ l’année, l’époque, le genre n’ont aucun intérêt : contrairement à peu près n’importe quoi qui soit sorti en 1980, Closer n’a pas pris la moindre ride, ni dans les thèmes ni dans le son (encore moins dans le style, totalement en phase avec la mode actuelle).

2/ pas besoin de savoir que Curtis s’est pendu pour trouver qu' « Atrocity Exhibitions » est un truc totalement suicidaire.

Mieux vaut donc prendre Closer tel qu’il est aujourd’hui, et tel que le groupe avait tout fait pour qu’il soit (en supprimant notamment les notes de pochette, épure totale, juste le disque, une illustration apocalyptique et basta). Comme un objet hors du temps ou de l’espace, sur lequel ni les modes, ni les revivals ni même les rééditions foireuses n’ont jamais eu la moindre prise. Le seul disque au monde où vous aurez l’impression que le chanteur est en train de crever en ayant raison de le croire. Le seul disque au monde où vous entendrez jamais des riffs de basse. Le disque le plus effrayant jamais publié.

Longue méditation sur la mort, le suicide ou plus généralement la souffrance, l’album contient seulement neuf chansons mais on conviendra qu’il n’en fallait pas plus. Dans le lot, on ne sait que choisir… l’idéal serait sans doute de le prendre comme un seul grandiose morceau, comme une pièce de musique classique ou quelque chose de ce genre… car Closer se prête assez mal au zapping (c’est sans doute pourquoi le groupe ne sortit aucun de ses titres en 45 tours). De toute façon une fois surmontées les six minutes démoniaques d’ « Atocity Exhibitions », je connais assez peu de gens qui n’aient pas été happés par la suite, ne redressant la tête qu’au cliquetis (de gâchette ?) de « Decades ».

Entre les deux, on aura assisté à la première utilisation intelligente du séquenceur, entendu un hymne disco-zombie (« Isolation »), un autre (« Passover ») concentrant en quatre minutes quarante-six l’intégralité de la trilogie glacée de Cure (gain de temps précieux), un troisième sur lequel le guitariste s’électrocute avec son ampli (« Colony »), un chef-d’œuvre d’urgence romantique (« A Means to an End » et son imparable I put my trust in you!), une ballade bizarroïde (« Heart & Soul »), une pluie d’électricité acide (« 24 Hours ») et un requiem aussi somptueux que réfrigérant (« The Eternal »). Il est probable qu’on n'ait pas beaucoup ri, et je déconseille personnellement le disque pour égayer vos soirées entre amis (enfin sauf si vous êtes des goths, of course). Pour tout le reste, il vous le faut.

Pourquoi ?...

… bon, attendez, je vous explique : à chaque automne sa litanie morbide qui verra au choix le fan désespérer ou bien ce réjouir…


👑 Closer 
Joy Division | Factory, 1980