jeudi 15 novembre 2007

Jean-Louis Murat - On achève bien les poètes

...
Une musique lounge à se flinguer…

… une nana qui gémit en imitant vaguement le thème de Rosemary’s Baby

… un mec qui annône un texte sur les arrangements de L’Enfer s’écrit avec L de Christophe…

… mais qu’est-ce que c’est que ça ?

Eh bien ce truc atroce, c’est "Madrigal Triste", extrait du nouveau Murat. Un morceau absolument catastrophique et tragiquement représentatif de l’album dont il est extrait.

Nous parlions dans un précédent Top of The Flops des albums de reprises. Ce mois-ci, pour le grand retour de la rubrique phare du Golb, abordons un nouveau chapitre de notre série Concepts A La Con Et Autre Idées Lumineusement Ineptes.

Episode 2 : Les Adaptations de poètes

L’adaptation de poète consiste en une manipulation délicate visant à obtenir un morceau de musique encensé par la critique du fait de la caution intellectuelle inhérente au genre poétique. Elle s’adresse principalement à un public éclairé (snob ou bobo), et touche un vaste spectre de la population musicale, du chanteur en perte de vitesse à la star populiste désirant acquérir un peu de crédibilité auprès de Télérama.

Pour bien réussir l’adaptation d’un poète, seuls trois éléments sont nécessaires :
  • un poète (de préférence un qui nous a traumatisé durant notre scolarité plutôt qu’un innocent qui ne nous a rien fait)
  • un instrument de musique (de préférence un synthé new-ageux pour figurer le côté évanescent de la poésie)
  • une indécence naturelle doublée d’un ego de la taille d'un yacht de Bolloré (car adapter un poète sous-entend qu’on se croit capable d’apporter quelque chose à son œuvre, ce qui est rarement le cas – et au passage vous noterez que cet exercice est un des rares à ne pas supporter la réciproque : de leurs côtés les poètes et écrivains n’adaptent pas les musiciens, à croire qu’ils les respectent)

… comme vous le voyez, faut vraiment pas grand chose pour bien réussir son adaptation d’un poète.

Une fois que vous avez choisi votre poète, et au passage faites bien attention à ce qu’il soit mort et ne puisse plus se défendre (sans quoi c’est moins rigolo), vous avez deux possibilités : soit vous essayez maladroitement de transformer ses poèmes en chansons, ce qui s’avère souvent assez compliqué (contrairement à ce que pensent même des gens très cultivés, la métrique et les pieds sont totalement différents entre poème et chanson) et vous oblige à honteusement charcuter le texte (vous me direz : si vous en êtes arrivés à ce stade il est probable que vous n’ayez plus honte de rien depuis trrrrrrrrrès longtemps) ; soit vous vous contentez d’adapter littéralement, à savoir que vous brodez juste de l’accompagnement sur le texte, ce qui donnera à votre morceau la structure d’une compo du Genesis de la grande époque (!) mais respectera la versification initiale. Quel que soit votre choix, gardez à l'esprit que vous trahirez l’œuvre. Un peu comme quand les cinéastes veulent adapter intelligemment les écrivains (qui eux n’adaptent jamais les cinéastes… mais pourquoi les écrivains sont-ils toujours ceux qu’on viole, d’ailleurs ? cela sous-entend t'il que les autres artistes considèrent la littérature comme un genre incomplet auquel on peut aisément apporter sa touche ?).

Ceci posé sachez qu'à moins que vous ne vous appeliez Gainsbourg et que vous enregistriez entre 1958 et 1962, il y a de fortes chances que vous foiriez totalement votre entreprise. Car à part le Grand Serge, seul mec au monde qui fit jamais swinguer Musset, la plupart de vos collègues qui s’y sont essayé se sont juste ridiculisés…

… comment ? Léo Ferré ?

Minute, minute : on y vient.


Léo Ferré, donc, s’y est attelé avec plus ou moins de bonheur (plutôt moins que plus, d'ailleurs, même si la légende prétendra le contraire), c’est juste. Y compris à Baudelaire, sans toutefois publier son travail sur ce poète… pourquoi ? A vrai dire je n’ai pas pris la peine de chercher à le savoir, je dirais même que je m’en fous complètement. Je préfère me dire que c’est parce qu’il était tétanisé à l’idée d’adapter Baudelaire après que Gainsbourg ait littéralement transcendé Le Serpent qui danse, arrachant la poésie à Charles pour la noyer dans une bossa-nova étourdissante. Le genre de coup de génie que personne d’autre n’aurait pu avoir, par conséquent on se doutait depuis quelques décennies déjà que le travail de Ferré sur Baudelaire serait lugubre, austère, pour tout dire : clichesque.

Car c’est le premier truc qui pèche dans l’entreprise de Jean-Louis Murat : le travail « préparatoire » de Ferré, qu’il entend reproduire avec une relative fidélité, est déjà assez médiocre à la base. Il suffit d’écouter les mélodies pour s’en convaincre : "Madrigal triste" en est un excellent exemple, qui sonne comme douze morceaux de Ferré avant lui. Murat a collé au truc initial, résultat on a l’impression qu’il cherche à imiter la scansion inimitable du Poète. Ce qui, avec sa voix de crooner bourré, ne pouvait que donner un résultat absolument ridicule. Autre exemple tout aussi fou : "La Fontaine de sang". On aimerait vraiment bien avoir accès aux notes de Ferré pour répondre à cette question pour le moins troublante : est-ce l’immense chanteur qui s’est lui-même audiocopié sans se rendre compte que la mélodie de son couplet était celle de "Tu ne dis jamais rien", ou bien doit-on en blâmer un Murat trop obsédé à l’idée de ne pas vouloir trahir Ferré pour ne pas se rendre compte qu’il le parodiait ? Impossible à dire, néanmoins la balance penche en faveur de la première hypothèse, dans la mesure où déjà Ferré lui-même avait écrit une simili-reprise de ce titre – un morceau un peu obscur répondant au titre d’"Avec le temps".

Murat pourtant semblait le mieux placé pour mener à bien cette entreprise d’exhumation, ce qui la rend d'autant plus triste. N’avait-il pas fait des merveilles avec 1829, superbe album adapté de Pierre-Jean de Béranger et passé honteusement inaperçu il y a deux ans ? Las ! Depuis 1829, la qualité du répertoire muratien a chuté en flèche (Cf. le dispensable Taormina l’an passé), et Charles & Léo suit la même pente douloureuse. Celle d’un mec qui a complètement pété sa boussole et ne rougit même pas de coller un orgue d’église sur « L’Examen de Minuit » ! Celle d’un type qui n’a même pas honte de dérouler au bout d’une minute d’ « Avec ses vêtements » la rythmique de… « Optimistique-moi », de Mylène Farmer ! Laquelle Mylène avait à la limite beaucoup mieux réussit sa propre adaptation de Baudelaire (« L’Horloge », en 1988). C’est dire le niveau de ce disque.

On ne pourra sans doute jamais expliquer ce qui s’est passé tant cet album accumule les fautes de goûts ou les contresens. Murat a certes parfois pataugé dans la semoule, publié des disques moins bons, voire même pas terribles du tout. De là à toucher le fond de la sorte (il n’y a qu’un seul bon morceau sur celui-ci)… il est probable qu’il se soit pris les pieds dans le tapis d’une entreprise trop grande même pour un mégalo dans son genre. Se heurter au spectre de Baudelaire, c’est en soi violent. Alors se heurter en plus simultanément à la statue de Ferré, c'est assurément trop pour un seul homme. Finalement, peut-être bien que tout est déjà dit dans ce titre sonnant au mieux comme un aveu d’impuissance – au pire comme une accroche publicitaire : Charles & Léo.

Qu’importe : ce n’est pas une excuse pour publier ce qui est assurément le plus mauvais disque que j’aie entendu en 2007.


👎👎 Charles & Léo 
Jean-Louis Murat | V2 Music, 2007