vendredi 23 novembre 2007

The Great American Novel - Yankee Go Home!

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Dans l’émouvant My Name Is Joe, Ken Loach mettait en scène une bande de chômeurs passant le temps en jouant dans le club de foot de leur quartier pourri. C’est un peu le même ressort qu’utilise Philip Roth dans The Great American Novel, sauf qu’il s’agit d’une histoire vraie... ou pas : celle des Ruppert Mundys, équipe de baseball de seconde zone rendue SDF suite à la confiscation de son stade par le département de la Défense, qui finira dans les années 50 par jouer les premières places du championnat national (The Big League). Et qui bien sûr se verra littéralement broyée, sportivement et humainement. Par le succès, par les jalousies, par les mauvaises rencontres…

Tout ceci ne semble pas très Philip Roth de prime abord. Dans ce roman méconnu, on ne trouvera pas un seul intellectuel, pas un seul écrivain, même pas un Juif. Une bonne partie des obsessions rothiennes y passent à la trappe, les influences sont quasi inexistantes et le seul livre dont on pourrait éventuellement rapprocher celui-ci c’est Pylon, de Faulkner (dans lequel le grand auteur américain délaisse ses thèmes habituels pour raconter sa fascination pour l’aviation).

Pourtant cette simili-comédie sociale s’inscrit pleinement dans l’œuvre du Roth des débuts seventies. Petit rappel des faits : en 1969, alors que le sulfureux Portnoy’s Complaint passe progressivement du statut de succès d’édition à celui de phénomène de société, le sinistre Richard Nixon devient le trente-septième Président des États-Unis. Précurseur de l’idéologie aujourd’hui baptisée néo-conservatrice, il fera campagne en stigmatisant les hippies, les artistes et les gauchistes - responsables selon lui de tous les maux de la société américaine. Est-il nécessaire de nommer sa tête de turc favorite ? Nixon citera régulièrement Portnoy’s Complaint comme l’exemple le plus parlant de la décadence des mœurs américaines. Et Philip Roth ne va pas, mais alors pas du tout aimer ça. Au point que durant la première moitié des années soixante-dix il se métamorphosera en espèce de génie provocateur et dissident, balançant dans la foulée une satire ultra-violente de l’administration en place (Our Gang) dont il dénonce les abus et la corruption bien avant le Watergate, un conte philosophique hautement sulfureux (The Breast) dont le but avoué est de choquer les réacs… et donc The Great American Novel, titre ô combien paradoxal puisque si la destinée des Ruppert Mundys a tout du rêve américain de base… elle se finira dans la misère et la haine.

Car cette bande de bras-cassés magnifiques va rapidement déranger le pouvoir en place. Pensez donc ! Des losers fauchés ne représentant rien ni personne tenant la dragée haute aux stars de la Big League, en pleine chasse aux sorcières… c’est donner bien trop de grain à moudre aux communistes qui gangrènent la société, ma pauv’dame. Le pouvoir va donc s’en mêler, et ce pouvoir est incarné par un type qui rappelle beaucoup… Richard Nixon, dont les premières actions politiques (fin 40’s – début 50’s) furent des prises de positions plus anticommunistes encore que celles des plus farouches maccarthistes. On pouvait difficilement faire plus d’actualité en 1973, puisque c’est précisément à cette époque que ledit Nixon, devenu Président, tente de lancer une nouvelle chasse aux sorcières à l’encontre des opposants à la Guerre du Viêt-Nam…

N’en jetons plus : The Great American Novel porte décidément très bien son nom. Car c’est tout à la fois une remarquable comédie de mœurs, un magnifique chant d’espoir, un hymne au sport libérateur de toutes les pulsions sociales refoulées et un brûlot de haute volée. C’est également le premier roman où Philip Roth s’intéressera à l’impact de la Destinée Collective sur les destins individuels, utilisant la stratégie du détournement historique qui culminera dans I Married a Communist ou The Plot Against America. Et c’est en prime une jolie introduction au baseball, sport vachement intéressant quand on lit ça. Vous me direz : c’est peut-être juste l’effet Roth. Il n’empêche : c’est la première fois que je réussis à m’intéresser à une œuvre sur le baseball en en comprenant les règles. Peut-être tout simplement parce que l’auteur lui-même n’y connaissait rien avant ce livre…


👍👍 The Great American Novel 
Philip Roth | Vintage, 1973