lundi 24 septembre 2007

Bad Religion - This Is Not a Top of the Flops

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Certains albums prennent de la valeur avec les années quand d’autres en perdent.
 
C’est hélas dans cette seconde catégorie qu’il faut ranger le pourtant multiplatiné The Gray Race, album qui fit de Bad Religion des stars mondiales et tourna en rotation lourde sur MTV au milieu des années 90. Un disque très largement surestimé par les critiques, montrant un groupe en fin de course et qui mit bien des années avant de se remettre en selle (il faudra en fait attendre 2002 pour le retour en grâce ; 2004 et The Empire Strikes First pour réentendre une galette de Bad Religion qui soit plaisante de bout en bout).
 
Lorsqu’on pose une oreille sur cette réédition, deux constats viennent presque immédiatement à l'esprit : on a l’impression d’écouter un truc antédiluvien et (plus emmerdant) on n’arrive à reconnaître ni le Bad Religion de la belle époque (1982 – 90 environ) ni celui d’aujourd’hui. Ne fût-ce la voix si personnelle de Greg Graffin on douterait même sérieusement que ce soit un disque de BR.
 
Attention cependant : le problème de The Gray Race n’est absolument pas d’être raté. Au contraire, il est totalement réussi – et c’est là ce qui le rend si triste. C’est un album terriblement calibré qui aura recueilli un succès énorme… quoi de plus naturel ? Ses auteurs avaient un but précis, ils ont mis dans le mille. Le fait que ce soit Bad Religion n’a finalement qu’une importance secondaire puisque ça ne sonne jamais comme du Bad Religion – mais comme toute la daube revival punk qui sévissait en 1996. Un chroniqueur pervers pourrait même aller jusqu’à le trouver excellent, puisque donnant une image extrêmement fidèle de ce qui se faisait à l’époque.


De fait on y voit sur la moitié des titres les vétérans punks courir de manière un peu pathétique après les succès phénoménaux de Rancid, Green Day et The Offspring, avec quelque chose de presque touchant dans cette envie de bouffer à tous les râteliers et de clamer : Eh oh ! On veut notre part du gâteau, nous ! C’est quand même nous qu’on a tenu bien haut l’étendard du punk pendant toutes les années où le mot faisait rigoler !!! Ok, les gars, mais sur ce disque (sauf le respect dû à votre statut) vous n’avez ni la rage salvatrice des premiers ni la concision pop des seconds… par contre c’est clair, vous avez récupéré toutes les lourdeurs metal des troisièmes. Car oui, globalement, The Gray Race tape dans le sous-Offspring. De tous les groupes punk-revival il aura fallu que Bad Religion décide de ressembler aux moins bons ! On en rirait presque si l’on ne se rappelait pas qu’il s’agit des auteurs des quasi classiques Into the Unknown (1983) et No Control (1990). Ouch…
 
A la production Ric Ocasek assure l’essentiel, à savoir faire sonner le groupe comme les autres (franchement mais quelle idée). Son choix n’est pas un hasard : l’ex leader des Cars est l’un des producteurs phare de cette scène, avec à son C.V. les très mauvais No Doubt et les excellents weezer (sauf que l’excellence de ces derniers ne vient pas spécialement de leur producteur). Il a également produit autrefois les Bad Brains, influence majeure de tous les jeunes créteux californiens. Bref : il est l’homme de la situation, le mieux placé pour servir de cache-misère à des chansons franchement pas à la hauteur de leurs prédécesseuses. Le simple fait d’avoir intitulé un single 200 % MTV « Punk Rock Song » pourrait même être considéré comme une hérésie de la part des auteurs de l’antique « 21st Century Digital Boy » ! Tout dans ce morceau est ridicule, du titre à la musique en passant par le texte… textes qui étaient justement jusqu’alors le point fort du groupe. Et qui ici sonnent terriblement mal, se vautrent dans le cliché de l’ado rebelle (« Cease », « Empty Causes ») alors que Greg Graffin était parvenu à se démarquer de cela depuis douze ans (et avait par ailleurs largement dépassé l’âge d’écrire « Come Join Us » en 1996). On hésite au choix entre le rire et la colère, malgré un ou deux titres relevant un niveau plutôt médiocre : sur « Spirit Shine » ou « The Streets of America » Bad Religion montre dans quelle direction il va aller quelques années plus tard.
 
Pour l’heure néanmoins, on a surtout l’impression d’écouter le disque d’un groupe qui a totalement pété sa boussole, entre tentations FM décalées par rapport au discours qu’il a toujours défendu (« Drunk Sincerity ») et rythmiques évoquant plus souvent Iron Maiden que les Dead Kennedys (« Nobody Listens »). L’ensemble reste meilleur que du Sum 41, mais loin de ce qu’on peut attendre d’un groupe culte censé être le chef de file d’un mouvement…
 
A l’époque on attribua ce ratage au départ du guitariste Brett Gurewtiz, légende californienne qui plaqua Bad Religion en 1995 (pour mieux revenir en... 2002 ! Bah tiens). C’est oublier cela dit un peu vite que la tendance de ce neuvième album était déjà présente (quoique moins marquée) sur le précédent, Stranger than Fiction – disque principalement composé par ledit Gurewtiz. Certes, sans son artificier, il est évident que Bad Religion a perdu beaucoup de sa hargne et de sa spécificité. Les chansons de Gurewitz étaient à l’évidence bien meilleures, et qui plus est il était le principal dépositaire de la vision artistique et politique du collectif. Cependant la médiocrité de The Gray Race, rétrospectivement, paraît plus découler de cette curieuse règle régissant chaque courant musical : quand un courant explose, on voit inlassablement ses parrains et autres précurseurs tenter de prendre le train en marche en essayant d’imiter leurs héritiers, pour un résultat au mieux moyen. On pense à Lou Reed bandant les muscles à la Parrain des Punks sur Rock’n’Roll Heart, à Sonic Youth essayant de sonner comme le groupe qu’ils ont quasiment découvert (Nirvana) sur Dirty, à The Cure publiant sous son nom un mauvais album de My Bloody Valentine (Wish)… la liste est longue, et The Gray Race est à inscrire dessus (à l’instar de son successeur, encore plus mauvais et fort justement intitulé... No Substance !). Tout en haut ou tout en bas, selon qu’on estime que c’est moins grave parce que Bad Religion n’est pas non plus le plus grand groupe de tous les temps... ou bien que ça l’est plus dans la mesure où c’est encore plus prononcé que chez les autres. A vrai dire la seule chose que je puisse affirmer sans me tromper à l’écoute de cette réédition, c’est que je n’ai plus treize ans.
 
Rassurés ?


👎 The Gray Race 
Bad Religion | Atlantic, 1996