mardi 3 juillet 2007

Lou Reed - Paradoxe Live

...
Il y a un certain paradoxe à retrouver pas moins de quatre lives de Lou Reed dans cette sélection, et pour cause : récemment KMS exprimait de manière laconique mais on ne peut plus claire son sentiment après un atroce concert de Lou Reed. Je ne manquai alors pas de glisser ma blague la plus célèbre à ce sujet (et aussi la plus foireuse) : "Concert de Lou Reed / atroce, ça fait un peu pléonasme, non ?"
 
Le fait est que les concerts de Lou Reed sont régulièrement atroces et presque systématiquement chiants. On a souvent tendance à dire que c’est parce que le Lou s’entête à chanter n’importe comment ses standards, mais je crains que ce soit une fausse excuse : depuis le début des années 2000 il a beau chanter on ne peut plus normalement « Walk on the Wild Side » et compagnie, ça n’en demeure pas moins assez lénifiant.
 
Comment expliquer alors que Lou Reed ait a contrario publié autant de lives, et pas des mauvais ? Difficile de répondre… peut-être sait-il tout simplement très bien choisir ses prestations…

 
Évidemment Rock’n’Roll Animal est LA référence depuis plus de trente ans. On ne sait pas trop pourquoi, car ce n’est pas forcément le meilleur… l ’histoire est connue, ou comment le Lou, frustré par l’insuccès de son Berlin (qui fila dans les bacs à soldes deux mois après sa sortie), décida d’embaucher une bande de quasi hardos pour aller écumer les scènes américaines à coups de classiques revisités à la sauce metal. Pourtant même en connaissant l’histoire l’auditeur découvrant pour la première fois ce curieux objet verra ses cheveux se dresser sur la tête, en entendant l’interminable intro sursaturée d’un Steven Hunter qu’on a connu franchement plus inspiré (sur le Welcome to My Nightmare d’Alice Cooper, voire le Rendez-vous in Angels City de Little Bob - par exemple), ou la métamorphose de « Heroïn » en… prog-metal ! Non pas que votre serviteur ait quoi que ce soit contre ce genre musical (n’y revenons pas, voulez-vous ?), mais de là à aimer l’entendre appliqué à l’un des morceaux les plus grandioses des dix derniers siècles il y a une marge.
 
Cependant loin de moi de l’idéed e cracher sur ce disque (sans quoi il ne serait pas ici) : il faut être de mauvaise foi (ou alors allergique aux musiques heavy) pour ne pas trouver jouissif de voir Hunter et son copain Dick Wagner charcuter « Sweet Jane » ou « White Light/White Heat ». Ces deux titres se prêtant à la base parfaitement bien à l’exercice hard-rock, leurs interprétations sont absolument renversantes. Seul titre relativement sobre, « Lady Day » passe plutôt bien, mieux sans doute que « Rock & Roll », vrai / faux final assez dispensable (mais il est vrai que c’est loin d’être la plus grande chanson de Lou Reed).

 
Vrai / faux car comme le sait tout amateur de rock qui se respecte la suite du concert est présentée sur Lou Reed Live, sorti un an plus tard et régulièrement mésestimé au profit de son prédécesseur, alors qu’il est franchement supérieur. Soit, il s’agit de la même prestation, de fait le côté métallique n’en est pas moins omniprésent. En revanche l’ensemble s’avère nettement plus relevé (meilleur répertoire) et beaucoup moins bavard (hormis « Oh Jim », aucun titre ne s’étale au-delà du raisonnable comme c’était le cas sur Rock’n’Roll Animal). Le puriste n’y trouvera décidément pas son compte (gageons que « Satellite of Love » façon power-ballade à la Aerosmith lui restera en travers de la gorge), mais l’auditeur occasionnel en revanche ne pourra qu’être séduit par « I’m Waiting for the Man » (très proche des différentes versions live du Velvet) et bien sûr la magistrale « Sad Song », qui n’aura jamais été mieux servie sur aucun disque du Reed. En fait au fil des écoutes, on s’aperçoit d’un truc très bête auquel on ne peut pas grand-chose : Lou Reed a tout à fait le droit de faire subir les pires outrages à son répertoire. S’il a envie de réduire en bouillie « Vicious », grand bien lui fasse : on supportera ou au pire on zappera sans rien dire. Par contre pour ce qui est du Velvet, pas touche !
 
Pourtant au fil des décennies Lou Reed ne se sera jamais abstenu de revisiter le Velvet à toutes les sauces, ce qui laisse pour le moins perplexe : contrairement à un Iggy Pop (dont le répertoire stoogien a toujours constitué quatre-vingt à quatre-vingt-dix pour-cents du répertoire scénique) voire même à un McCartney (disons soixante pour-cents en moyenne pour les chansons des Beatles jouées en concert), le prince new-yorkais a composé suffisamment de chefs-d’œuvre en solo pour ne plus jamais avoir à faire appel à son glorieux passé. Pourquoi un tel acharnement ? Sans doute parce que Reed a toujours considéré que le Velvet Underground était sa propriété – à lui et à lui seul. Dans The Dark Stuff, Nick Kent narre cette anecdote édifiante : alors que Lou Reed était venu un soir de 1968 faire écouter aux autres le titre qu’il venait de composer (« Ocean », devenu plus tard « Here Come the Waves » sur son premier album solo, puis ressorti en version Velvet sur la compile VU), John Cale se mit à improviser un incroyable solo de violon qui força le respect de ses collègues, au point que Morrison et Tucker s’empressèrent d’aller le féliciter. Vexé et jaloux, Lou Reed se tourna vers Cale : Je te félicite, tu as fait exactement ce que je voulais ; j’avais entendu ton solo dans ma tête avant que tu le joues, je l’avais deviné et j’ai prévu le morceau pour.
 
Tel est le sympathique Lou Reed – et encore ce jour-là il était de bon poil.
 
Par la suite Lou Reed ne rechignera jamais à publier un live, pour le meilleur comme pour le pire. Survenu juste après l’un des pires albums de sa carrière (Rock’n’Roll Heart), Take No Prisoners est un désastre total dans lequel le déjà plus tout jeune New York City Man se la joue parrain des punks de manière on ne peut plus ridicule. Tragique : on raconte souvent que Reed, Bowie et Iggy furent les parrains du punk… ce n’est pas faux, mais en 1977 les deux derniers avaient autre chose à foutre que de s’en préoccuper, trop intéressés qu’ils étaient par la révolution kraut. Lou Reed fut le seul à tenter de surfer sur la vague, avec une impudence n’ayant d’égale que la médiocrité d’un album et d’un live dont certains crurent qu’ils sonnaient le glas de sa carrière. Il fallut les années 80 et une poignée de disques vitaux (The Bells et The Blue Mask, voir Growin’up in Public qui ne m’a jamais paru aussi mauvais que le prétendent les biographes) pour le voir revenir au top (avant de re-chuter, mais c’est une autre histoire).
 

C’est à cette époque qu’il enregistre un concert en Italie rapidement devenu célèbre – puisque quasiment introuvable en l’état. Réédité sous le titre de Live… in Concert à la fin des années 90, l’objet a rapidement rejoint les bacs à soldes en dépit de sa qualité (je me souviens l’avoir acheté quelques semaines après sa sortie pour à peine quarante francs !).
 
Au moment du concert près d’une décennie s’est écoulée depuis Rock’n’Roll Animal… on aurait logiquement pu croire que le répertoire aurait évolué entre temps… or : pas tellement. La différence majeure, c’est que Lou Reed apparaît ici encadré par le meilleur groupe de scène qu’il ait jamais eu : le génial ex-Voidoids Robert Quine, l’ex-Heart Fernando Saunders à la basse, ainsi que Fred Malher, le méconnu batteur de Material. Hormis Quine aucun n’est vraiment un surdoué de son instrument, en revanche tous réunis autour du Lou ils affichent une belle cohérence rendant nettement plus captivante la prestation. C’est sans doute à cela qu’on reconnaît les grands groupes : sur Rock’n’Roll Animal et Lou Reed Live, Hunter et Wagner réussissaient par moment à faire du mauvais avec du génial. Ce backing-band de 1983, lui, parvient à faire de l’excellent avec du moyen : « Martial Law », désastreuse sur album, est tout à fait digeste ici… surtout, les titres du mal aimé Sally Can’t Dance sont ici revisités de manière absolument somptueuse, notamment « Kill Your Sons », impressionnante de rage contenue. Il faut dire aussi que Lou tient la baraque, rayonne sur presque tous les titres (« Satellite of Love », « Walk on the Wild Side », « Average Guy »…), là où sur les deux classiques susnommés il s’était contenté de chanter (ce qui n’est déjà pas si mal) et de poser sur les pochettes, laissant ses deux sous-fifres en roue-libre. C’est de toute autre chose qu’il s’agit ici : un vrai beau moment de rock’n’roll, conclu d’ailleurs par une version enfin convaincante de…  « Rock & Roll » ! 
 
Il y aura d’autres lives par la suite, mais rien de vraiment sublime alors qu’il s’agit paradoxalement la période la plus prolifique et la plus courageuse de Lou Reed… étonnant, et en même temps de la part d’un mec qui a enregistré son meilleur live durant sa pire période, c’est presque logique.
 

Au début des années 2000 pourtant se produit quelque chose de pour le moins inattendu : Lou Reed se réconcilie avec son classique Transformer et les succès qui vont avec. Il accepte à nouveau de les évoquer en interviews et les chante même correctement sur scène… ça n’aura qu’une courte durée, mais ç’aura été suffisant pour que dans un moment d’égarement il accepte de laisser paraître son meilleur live à ce jour (il devait être vraiment défoncé pour laisser son label publier un bon enregistrement de lui !). Non, vous n’avez pas rêvé : j’ai écrit à propos de deux albums différents qu’ils étaient son meilleur live… c’est qu’American Poet (puisque c’est de lui qu’il s’agit) a été tellement attendu par les fans (dont je suis, comme vous l’aurez remarqué) qu’il était quasiment devenu mythique avant que qui que ce soit l’ait entendu. On dira qu’il représente quelque chose de particulier, un truc à part que beaucoup furent persuader de ne jamais entendre : un concert de Lou Reed en 1972, au sommet de sa gloire, réussissant à proposer des chansons du Velvet différentes sans pour autant être massacrées (les mêmes que d’habitude d’ailleurs : « Sweet Jane », « Heroin », « Waiting for the Man »…etc.) ainsi que des classiques solos rarement interprétés sur scène et absolument flamboyants. Et pour cause il s’agit pour certains des choses les plus baroques qu’il ait jamais couché sur disque : « Berlin », « I’m So Free »…fichtre, voilà qui fout le frisson. Car pour la première (et unique) fois sur un disque live, Lou Reed parvient à interpréter « Vicious » en ayant l'air réellement… vicieux. Il aura fallu attendre trente ans, mais ça valait vraiment le coup…

👍 Rock'n'Roll Animal | RCA, 1974
👍👍 Lou Reed Live | RCA, 1975
👍👍 Live... in Concert | RCA, 1997
👍👍👍 American Poet | Burning Airlines, 2001