jeudi 21 juin 2007

Plasticines - Français, encore un effort pour être rock'n'roll

...
Il faut bien dire ce qui est, mes amis : la France va mal. La droite s’est décomplexée, le sarkozysme se fait triomphant… heureusement, c’est dans ces moments là que le rock’n’roll retrouve toute sa dimension contestataire. Jeunesse, rage, adrénaline… ainsi donc tandis que les rappeurs tentent de surnager au-dessus de la vague bleue un groupe, un seul, ose la Révolte-avec-un-grand-R :
 
Méfie-toi, loser,
Trop d’arrogance en toi, loser […]
Prends garde à toi-ah-ah-ah !...
 
… comment ne pas y voir rétrospectivement un message directement adressé à Nicolas Sarkozy ? Ça, ça nous dit : "Fais gaffe, la gauche va avoir plus de sièges que prévu". Je vous assure : sous ses dehors niais, le premier album des Plasticines pourrait bien être le grand disque rebelle de l’année…
 
… ou bien le grand disque comique, faut voir. J’avoue personnellement n’avoir pas compris comment quatre gamines directement évadées du foyer socio-éducatif de leur lycée ont pu se retrouver à signer un contrat. Qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit : les groupes de lycéens, c’est vachement bien. J’en connais des centaines, et des meilleurs. Il est certain que tous n’ont pas une plastique irréprochable, mais il paraît que ce n’est pas important.
 
Pas sectaire, j’ai quand même décidé de poser une oreille attentive sur ce disque encensé partout, de Rock & Folk à Elle en passant par… euh, tout le monde, en fait. Sauf les copains des blogs, mais c’est des neuneus. Bah oui, c’est Philippe Manœuvre qui l’a écrit dans un récent édito, c’est donc fatalement vrai. Quand on voit commesont rédigés ses articles et ses bouquins, ce français absolument irréprochable qu’il utilise et ce style à lui et rien qu’à lui, on imagine qu’il sait de quoi il parle. Mais ne soyons pas mesquins : Philippe Manœuvre, le Maître, est sorti de ses gonds à force de voir son journal honteusement mis en cause. Quoi ? Comment ? Figurez-vous qu’il y a des lecteurs, les fous, qui ont osé écrire au magazine pour se plaindre de la sur-médiatisation d’une flopée d’ados parisiens sans grand intérêt (Plasticines en tête)… remarquez : vu comme ils ont été accueillis dans le courrier des lecteurs, moqués et humiliés par le connard qui répond aux lettres, y a peu de chances qu’ils réécrivent un jour. D’autres, encore plus retors, ont eu l’idée saugrenue d’écrire ce qu’ils voulaient sur leurs blogs – à savoir qu’ils pensaient l’inverse de Rock & Folk. Là aussi les gens du vénérable magazine ont réagi avec aplomb, insultant les trois quarts des blogrockeurs sans le moindre scrupule – mais les journalistes n’aiment généralement pas trop les blogueurs (c’est toujours désagréable de voir que des amateurs sont régulièrement meilleurs que vous)… en somme, c’est à ce genre de petits détails qu’on se rend compte qu’on a réellement basculé dans l’ère sarkozyste : Rock & Folk, tu l’aimes ou tu le quittes ; il faut lutter contre la pensée unique… sans parler de la marotte de Manœuvre et consorts : le Ministère de l’Identité Rock Nationale ! Assez ironiquement, je n’aurais sans doute pas écrit toutes ces méchancetés si le magazine s’était contenté de tenir sa ligne, voire juste de râler un peu… seulement voyez-vous je suis un lecteur très (trop) attentif, qui quand il achète un canard le lit de la première à la dernière page, petites annonces comprises. J’ai donc pu noter ce que d’autres ont peut-être laissé passer, à savoir que dans le numéro mettant en couverture les White Stripes le mois dernier, les journalistes de Rock & Fuck (finalement je vais adopter ce nom) ont cordialement insulté leurs propres lecteurs à trois reprises. Entre nous si c’est ça Être rock en 2007, j’ai la ferme intention d’adopter dès cet été la lambada attitude.

 
Voici une bien longue intro qui me paraît plus que nécessaire… pour deux raisons confondues : de tous les groupes de cette scène, Plasticines sont assurément et de très loin les plus mauvaises ; surtout, j’ai rarement vu un tel décalage entre avis de critiques (quasiment tous dithyrambiques) et avis de consommateurs (je n’ai à ce jour rencontré qu’un passionné de musique sur des centaines qui apprécie le groupe – et encore juste en live). Ceci explique sans doute les réactions épidermiques de certains lecteurs de R&F, et on les comprendra sans peine : au prix d’un disque en 2007, faudrait quand même pas trop prendre les gens pour des buses. On nous dit que c’est super bien, on nous couvre ça d’étoiles et de superlatifs, trop bon trop con on fonce (quand on me dit qu'un truc est génial j'y vais sans a priori, c'est quand même à ça que sont censées servir les critiques), on se dit que comme c’est un petit groupe français on va acheter le disque au lieu de le télécharger, après tout il le vaut bien, c’est quand même les Slits du vingt-et-unième siècle… et au final on se retrouve à avoir déboursé quinze euros qui auraient pu être bien plus avantageusement placés (dans l'excellent dernier Eiffel, le très bon No One…), tout ça pour quoi ? Un ersatz des Donnas !
 
Parce qu’à un moment même le chroniqueur touché par la Grâce de la Mauvaise Foi que je suis doit bien se montrer objectif : les Naast, pour ne citer qu’eux, on aime tous bien les tacler au détour d’un bon mot, mais ce n’est jamais très méchant… parce qu’en réalité leur album est pas mal. Sans doute pas transcendant, et sans doute pas l’album français de l’année – on est d’accord. N’empêche que c’est un disque de qualité, avec une ou deux bonnes chansons, un truc plutôt sympa que j’ai cessé d’écouter au bout d’un mois mais que je ressortirai sans doute avec plaisir à l’occasion. Les Plasticines, c’est autre chose. C’est absolument nul, c’est du vol, et il va bien falloir à un jour que quelqu’un d'autre qu'un blogueur l’écrive noir sur blanc.
 
Vous le savez, Le Golb est un endroit plutôt enthousiaste. On se moque souvent de ma dent dure, mais tous ceux qui font gaffe savent qu’en réalité je dis beaucoup plus souvent du bien que du mal. Par conséquent l’idée de cette nouvelle scène rock parisienne, pendant aux scènes anglaise et ricaine, je n’étais pas du tout contre. Bien au contraire, j’en ai marre de tous ces groupes français aux rythmiques lourdingues et aux paroles pseudos intellectuelles, incapables de groover, de bouger… tous ces trucs où on peut juste secouer la tête de haut en bas et de gauche à droite mais jamais remuer, danser, délirer… sauf qu’avec les Plasticine, en dépit d’un ou deux riffs plaisants (« Shake » et un autre morceau dont j’ai oublié le nom), c’est précisément à cela qu’on a affaire. La faute à une section rythmique presque aussi nulle que l’accent anglais de la chanteuse… j’ai bien vu dans les notes de pochettes qu’il y avait une bassiste, mais je ne sais pas où elle joue à part sur « Mister Driver » - le pire morceau de l’album… c’est peut-être pour ça qu’on ne l’entend pas ailleurs, remarquez. Après ça, elles ont voulu arrêter les frais.
 
Dans ses moins-pires-moments (« Alchimie » et « Rake », mignon pastiche des Strokes qui eux-mêmes pastichaient… etc.), LP1 est juste insipide, entre une chanteuse imitant plutôt pas mal Debbie Harry (sauf l’accent : Forguette ouate you si and louque at mi raïght no – une horreur) et des compositions déjà entendues dix mille fois mais pas bien méchantes… à moins que justement ce ne soit ça le problème : c’est jamais méchant, ni sale ni teigneux. Le son est faussement crade (c’est à dire que c’est un son débraillé, quoi – genre les jeans que vous achetez déjà délavés), les paroles absolument inoffensives lorsqu’elles ne sont pas tout simplement quiches (ok : les paroles ne sont pas le plus important dans le rock’n’roll, le problème c’est que 1/ en France contrairement à l’Angleterre on les écoute et jusqu’à preuve du contraire les Plasticines n’ont de public qu’en France 2/ de toute façon ce n’est pas du rock’n’roll), les guitares ne tranchent pas, les titres les moins pourris sont de la pompe. Là, on se dit qu’ils sont balèzes à R&F, pour nous rebattre les oreilles à  longueur d’années avec les Ramones sans reconnaître, excusez du peu, un plagiat éhonté de « We’re a Happy Family » dans le refrain d’ « Alchimie » ! Cela dit le mal vient de là aussi… non pas des Ramones (paix à leurs âmes) : de R&F. D’où mon intro. Pendant des années, voyant l’effervescence revival rock (pourtant pas bandante dans la plupart des cas), ses journalistes se sont plaints à longueur de colonnes qu’on ne signe pas les groupes français dans la même mouvance… et de fil en aiguille, avec un festival plutôt sympatoche d’abord et une pléthore d’articles ensuite, ont fini par créer un mouvement de toutes pièces. Y avait-il réellement une demande ? Sans doute, quand bien même le rock ne fait pas partie intégrante de la culture française. L’idée était-elle louable ? Très certainement. Le hic, et il va bien falloir un jour l’admettre, c’est qu’on est en France bordel ! Les bons groupes de rock'n'roll dans ce pays ont toujours représenté environ 3 % de la production nationale, et on aura beau adresser des prières au cieux pour que ça change il ne suffit pas de claquer des doigts pour inventer une scène de qualité. Favoriser les tournées de grands groupes ailleurs que dans les trois grandes villes du pays pour donner envie aux gamins de s'y mettre, ça, ça pourrait être un début. Impossible de ne pas noter que les gosses de seize ans d’aujourd’hui ont une culture rock absolument déplorable. Or sans une solide culture rock, on n’a jamais vu de grands groupes (même les Pistols, sous leurs airs blaireaux, étaient des collectionneurs). Là, la scène va sans nul doute perdurer… mais en général dans un mouvement ce sont les bons qui débarquent en premier, et les clones après. En somme il va falloir se fader d’ici à deux ans de jeunes groupes inspirés par les Plasticines – autant dire que ça ne risque pas de hausser le niveau. Alors oui, bien sûr, il y a une demande pour de grands groupes de RNR hexagonaux. Dommage qu’à l’exception notables des Hush Puppies il n’y ait quasiment pas d’offre. Fin du débat.


👎👎 LP1 
Plasticines | Virgin, 2007