lundi 9 avril 2007

Sarah Waters - Tipping the Perfection

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Si vous n’avez jamais vraiment su ce qu’était une histoire glauque, je vous recommande instamment de lire le fantastique troisième roman de Sarah Waters. Je vous le recommande tout autant si vous savez que c’est qu’une histoire glauque, évidemment, mais vous serez moins surpris. Vous serez peut-être surpris, par contre, si vous ne connaissez pas très bien Sarah Waters… car à côté du seul autre roman que j’ai lu de cette remarquable auteure (à savoir Tipping the Velvet, qui n’était pourtant pas le truc le moins glauque du monde), Fingersmith est intouchable.

Sarah Waters a une touche personnelle immédiatement reconnaissable, surtout lorsqu’elle évoque l’Angleterre Victorienne (ce qu’elle fait d’ailleurs dans tous ses romans à l’exception du dernier en date). Avec elle vous avez la sensation que l’Angleterre Victorienne était une période totalement trash et déjantée alors que les livres d’histoires vous en parlent comme d’une époque guindée… considérons d’ailleurs qu’aucune des deux assertions n’est totalement fausse : toute société régie sur une base d’interdits entraîne une frange minoritaire violemment transgressive. Ces deux aspects antagonistes de la même société du même pays sont d’ailleurs parfaitement représentés par les deux grands chefs-d’œuvre de l’époque : Past & Present, nostalgie rénovatrice selon Carlyle, d’un côté ; Oliver Twist, démesure et fantaisie façon Dickens, de l’autre. C’est précisément au carrefour de ces deux classiques que se situe l’œuvre victorienne de Sarah Waters, sorte de ligne à haute tension qui tremperait dans un lac… le tout agrémenté d’une touche totalement personnelle, le style étant celui non pas d’une nostalgique de cette époque littéraire bénie (et souvent surestimée) mais bel et bien d’une grande auteure du vingt-et-unième siècle.

Dans Fingersmith, un dandy au doux nom de Gentleman, directement évadé de chez Dickens embauche une orpheline, Sue, pour jouer la femme de chambre de Maud, jeune héritière qu’il a pour dessein de séduire puis d’arnaquer. C’a l’air machiavélique présenté comme ça, mais vous n’imaginez certainement pas à quel point ! L’intrigue commence donc à se dérouler, plutôt lentement, au bout de cent pages on se demande comment Waters va faire pour en tenir sept cents. Car si ces premières pages sont remarquablement écrites et absolument captivantes, elles n’en demeurent pas moins convenues, battues et rebattues dans trois douzaines de films en costumes pour la plupart ratés. Sauf que voilà : Sarah Waters n’est pas n’importe quelle écrivain, elle le prouve peu après en exécutant un retournement tout simplement sensationnel, un coup de poker magique, de ceux qui laissent sur le carreau le lecteur le plus blasé. Moi, comme un con, ça faisait quelques pages que je me demandais pourquoi Gentleman avait engagé Sue, dans le fond, parce qu’à part faire un bisou à Maud et se lamenter, elle n’avait pas foutu grand-chose… cette simple interrogation aurait dû me faire me douter de ce qui m’attendait, mais, par fatigue bêtise ou paresse, non : je n’ai pas vu venir la pirouette incroyable de l’auteure, qui métamorphose les deux cents premières pages en vulgaire mise en bouche, en banale introduction, les remettant totalement en perspective : l’impression de déjà-vu était volontaire. Une parodie, ou tout le moins un pastiche habile, trop habile, tellement habile que j’y ai vu bêtement un manque d’inspiration !

A partir de là, c’est carrément un second roman qui commence, que je ne vous raconterai évidemment pas. Je puis vous dire en revanche qu’on a encore moins envie de le lâcher que le premier, que c’est sombre, rapide (pourtant ça dure cinq cents pages – on ne les voit pas passer), sarcastique, enlevé, furieux… c’est tout simplement fascinant et irrésistible… sex, drugs et rock’n’roll dans l’Angleterre Victorienne, rien que ça.


👍👍👍 Fingersmith [Du bout des doigts] 
Sarah Waters | Virago, 2002