samedi 7 avril 2007

Boileau & Narcejac - Continents à la dérive

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Pierre Boileau et Thomas Narcejac ont été des auteurs révolutionnaires, et je vous renvoie à l’index des livres pour plus ample informé concernant certains titres très recommandables… pourquoi ? Tout simplement parce que celui-ci n’est pas très réussi. En dépit de l’immense admiration que j’ai pour ce duo d’écrivains, je n’ai pas pu entrer dedans… en fait si, j’y suis entré, très facilement, mais dès les premières pages j’ai compris que L’Ingénieur aimait trop les chiffres était typiquement le genre de ratage qui, rarissime en 1958, allait devenir légion durant la seconde moitié de leur carrière.

On commence à feuilleter distraitement (parce qu’il n’y a pas grand-chose de captivant là-dedans) cette histoire de scientifique assassiné dans son labo… il y a des personnages secondaires qui parlent de partir en vacances, un directeur d’usine humain trop humain, un commissaire un peu grotesque… au bout de trois chapitres on se demande si c’est du lard ou du cochon ; au bout de quatre on baille. On cherche désespérément la marque des "maîtres horlogers du crime", leur touche personnelle généralement immédiatement reconnaissable… mais non. Rien. Pas de ces études de caractères dont ils ont le secret, nulle atmosphère lugubre comme on les a aimées ailleurs… et surtout une intrigue d’une incroyable banalité, totalement cousue de fil blanc, ce qui dans un Boileau-Narcejac a de quoi surprendre – autant que choquer. Les deux auteurs ayant totalement réinventé le roman criminel, posé les bases du thriller et fait exploser la littérature policière en plaçant le coupable au cœur du récit signent ici un petit bouquin moitié polar moitié espionnage sur fond d’après-guerre… comme on a en lu plein (et vus, au cinéma). L’enquête est d’ailleurs menée de manière tout ce qu’il y a de plus traditionnelle, à savoir que justement elle est menée ! Il y a un enquêteur qui interroge des gens et cherche un coupable, autant vous dire que chez Boileau & Narcejac, ensemble ou séparément, ce n’est pas courant.

Remarquez : si le but du roman était de prendre leur lectorat habituel à contre-pied, on peut considérer en étant indulgent que L’Ingénieur aimait trop les chiffres est une réussite totale, qui fonctionne encore cinquante ans après. Tout le problème étant, bien sûr, qu’ils avaient tout à fait le droit de prendre le lecteur à contre-pied en proposant un roman parfaitement réussi. Ici, ils donnent surtout l’impression d’être mals à l’aise dès lors qu’ils s’évadent de leur petit univers habituel, celui qui fait réfléchir et trembler. Et livrent donc un petit roman jamais totalement mauvais mais dénué de la moindre envergure (c’est le moins qu’on puisse dire), et à la limite de l’arnaque si on considère qu’un Boileau-Narcejac sans suspens, sans personnages torturés et sans ambiance a à peu près autant d’intérêt qu’un Bukowski sans alcool.


👎 L'Ingénieur aimait trop les chiffres 
Pierre Boileau & Thomas Narcejac | Robert Laffont "Bouquins", 1958