vendredi 12 janvier 2007

Saturday - Le Jour le plus long...

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Comme son titre le laisse supposer, ce roman de Ian McEwan se déroule le temps d’un samedi presque ordinaire. C’est même un samedi totalement normal durant la grande majorité du texte. A ceci près que de temps en temps, un élément totalement angoissant apparaît furtivement puis disparaît tout aussi vite. Un mot, une phrase totalement décalée par rapport au reste de son paragraphe… plein de petits détails qui ne sautent pas forcément aux yeux mais laissent une impression désagréable au lecteur…

Pourtant tout commence de la manière plus ordinaire qui soit : Henry Perowne, personnage central et réceptacle des angoisses de l’auteur, mène peinard une petite vie bourgeoise et sans anicroche. Sa vie se détraque, mais progressivement, par petites touches subtiles : ici une discussion houleuse avec un proche, là cet avion en feu qu’il aperçoit filant droit vers Heathrow au milieu de la nuit, là encore une défaite cuisante au squash… et tout autour un contexte politique étouffant : angoisse du terrorisme (le roman a pourtant été composé avant les attentats de Londres, c’est dire son impact), menace de guerre imminente en Irak figurée par ces manifestations pacifistes auxquelles participe le fils de Henry…

L’intrigue ne va en réalité pas beaucoup plus loin, car l’intrigue n’existe pas. Ou peu. Le suspens, en revanche, est partout, ce qui a de quoi surprendre : comment un roman aussi statique peut-il contenir une telle charge en adrénaline ? Une telle tension ? Un roman où il ne passe quasiment rien mis à part un empilement de détails successifs ? Tout cela semble tenir à l’écriture de McEwan, que ses lecteurs connaissent déjà et qui n’a sans doute jamais été aussi bien exploitée : phrases longues et tortueuses qu’on a fait rentrer au forceps dans des paragraphes tassés, style principalement descriptif, discours la plupart du temps rapporté (comme un écho ?)… une telle équation garantissait en soi un climat terriblement lourd, parfois à la limite du supportable.

Ian McEwan a réussi à faire encore mieux : il a bâti un roman totalement poisseux, effrayant – de loin son plus noir. Et est parvenu à démontrer avec presque rien (dix évènements et 300 pages) à quel point l’univers environnant, qu’il soit social, politique ou culturel, détient une influence déterminante sur notre sphère intime.

Après une lecture si brillante et si secouante, il est probable que plus personne n’ose nier ce que beaucoup pensent depuis déjà longtemps : Ian McEwan est sans aucun doute le plus grand écrivain anglais vivant.


👍👍👍 Amsterdam 
Ian McEwan | Jonathan Cape, 2005