jeudi 14 décembre 2006

Kiss - Bisou baveux

...
Sex, drogue, rock n’roll, looks décadents, changements de line-up incessants, génie improbable et médiocrité sidérante… si l’on considère que ces éléments sont l’essence même du rock, Kiss est sans aucun doute le groupe qui cristallise le mieux tous les fondements de cette musique – ou ses clichés selon que l'on aime ou pas les quatre superhéros.

Vu de France, évidemment, cela peut faire marrer. Sembler un peu concon voire carrément disproportionné… il faut dire que Kiss est un peu LE groupe americano-américain par excellence. Le genre de truc qui cartonnera éternellement outre-Atlantique mais ne manquera pas de laisser de marbre un public européen souvent plus cérébral et moins friand d’excentricité… normal : autant Kiss repose sur un concept rock baroque (ou grandiloquent) totalement encré dans la culture US, autant c’est pour le reste du monde, et ce depuis le premier album en 1974, un genre d’aberration de la nature. Pourtant il n’existe quasiment aucun musicien américain qui n’aime pas ce groupe. Pourquoi ? Personne ne le sait vraiment, car il y a eu cent fois mieux à quasiment toutes les époques. D’un autre côté personne ne sait non plus pourquoi même des musiciens français sérieux adorent Johnny… c’est comme ça, et puis c’est tout : le jour où Gene Simmons mourra, l'Amérique sera en deuil.


Objet de multiples moqueries (souvent fondées), le quatuor new-yorkais (en dépit de ce que laisse entendre son classique « Detroit Rock City ») peut être vu comme une synthèse de l’évolution du rock – et de la société occidentale – depuis trente ans. Un peu comme Pink Floyd (mais en plus souriant), Kiss est à sa manière à la fois le meilleur et le pire du rock'n’roll.

Le meilleur, c’est la déjante totale, le fun et rien que le fun, des riffs hallucinants, des chansons puissantes et légères jamais complètement connes, une absence de complexes forçant l’admiration et une certaine conception de cette musique – à savoir que justement dans ROCK'N’ROLL il y a le côté ROCK mais aussi le côté ROLL (le délire, la débauche... la fête, quoi).

Le pire hum… disons que si on voulait faire court, on dirait que c’est à peu près tout ce que le groupe a fait ces dernières années. Ce qui est très méchant, mais pas totalement faux dans la mesure où depuis Carnival of Souls (sorti il y a moins de dix ans mais enregistré en 1994) Kiss est artistiquement mort et enterré. Plus précisément, le pire c’est le rock de stade, la forme qui prend le pas sur le fond, le fric qui devient roi et une musique qui a fini par devenir fantomatique au fil d’albums de plus en en plus indigents… Car tout le problème de Kiss, c'est que c'est un groupe rigolo constitué de rigolos produisant une musique rigolote pour les gens rigolos... que certains ont eu la folie prendre au sérieux.


Le coffret Kiss Alive! (très moche au demeurant... enfin, très kissien, quoi !), s’avère logiquement entre les deux (le pire et le meilleur). Il réunit les trois premiers disques la série Alive, plus un troisième prétendument inédit que tous les fans possèdent déjà depuis trois ans sous le titre de The Lost Concert.

Les deux premiers disques, parus respectivement en 1975 et 1977, sont bien évidemment les meilleurs, et de très loin. Le numéro un, avec seize titres imparables dont le génial « Cold Gin » et un « 100,000 Years » exceptionnel de plus de onze minutes, compte parmi les neuf ou dix meilleurs albums lives de tous les temps. C’est à dire que par instant, la puissance de feu du groupe rivalise sans rougir avec celle des Stones sur Get Yer Yaya’s out ou des Ramones sur It’s Alive (sans atteindre évidemment celle du Live at Leeds des Who, number one probablement pour l’éternité). Sans rire. Profitez-en, car Kiss est tellement mal vu que cette vérité objective, vous ne la lirez sans doute nulle part ailleurs.

Alive II se révèle à peine moins bon : en effet, entre temps Kiss a publié trois albums dont deux chefs-d’œuvre (Destroyer et Love Gun), le répertoire est donc plus qu’à la hauteur et propose quelques classiques pas encore écrits à l’époque du premier volume : « Detroit Rock City », « Christine Sixteen », « Beth », « I Stole Your Love »… n’écarquillez pas les yeux, vous les connaissez, surtout « Beth » - simplement vous ne savez pas que c’est Kiss. La prestation, elle, est assez différente de celle contenue sur Alive! tout simplement parce qu’en trois ans le groupe a totalement changé de statut, joué dans des salles plus grandes des shows plus spectaculaires, heavy et bruyants.


Après 1977, évidemment, le groupe va connaître un peu le tumulte, changer au moins quinze fois de personnel, se démaquiller, se remaquiller, se redémaquiller… et il faudra attendre 1993 pour voir débarquer un Alive III qui malheureusement n’intéressera pas grand monde. Normal : en plein ouragan grunge, qui aurait bien pu avoir envie d’acheter le troisième live du groupe anti-grunge par excellence ? Personne. Pourtant, et c’est là que l’histoire est très drôle, l’autre point commun entre Kurt Cobain, Eddie Vedder et Layne Staley (à part leur ville d’origine) était bel et bien d’être des inconditionnels de Kiss ! En 1993 évidemment, Kiss ne vaut plus rien : démaquillé, il apparaît sous un line-up éternellement mal aimé, avec Bruce Kulick à la place d’Ace Frehley (à l’époque Kulick est un peu à Kiss ce que Ron Wood est aux Stones : il est dans le groupe depuis quatre fois plus longtemps que tous les autres guitaristes mais on continue à le voir comme une pièce rapportée) et Eric Singer qui remplace Eric Carr qui remplace Peter Criss… bref, Alive III avait tout pour rebuter, rebuta d'ailleurs... et pourtant quand on prend la peine d’écouter le traitement infligé aux titres de la pire période bisouteuse (ceux du début 80’s comme « Lick It up » ou « Heaven’s on Fire »), on se rend compte que ce troisième live n’était certainement pas (encore) le live de trop.

En 1996, Kiss se reforme et touche le fond. Entre les fans dégoûtés qui ont lâché la rampe depuis longtemps, ceux qui regrettent d’avoir vu un musicien aussi brillant que Kulick être jeté aux chiens pour sceller le retour d’un Frehley totalement aux fraises, et les autres (à savoir 90 % de l’humanité) qui s’en foutent, le grand reunion tour des clowns de plus en plus tristes ne leur permet même pas de rentrer dans leurs frais. Seulement voilà : que peut faire Kiss à l’aune du vingt-et-unième siècle à part sortir des disques et tourner ? A son âge, Gene Simmons peut-il entamer une carrière solo et exposer ses cheveux gris ? Paul Stanley peut-il prendre le risque d’être vu dans sa villa à Berverly Hills en train de pousser la balançoire pour son petit-fils ? Peter Criss peut-il commencer à prendre des cours de batterie ? Ace Frehley doit-il acheter des actions Moulinex et vivre de ses rentes à Miami ? Que nenni ! Car pour les vieux bisounours, la normalité, c’était prévisible, a fini par devenir anormale. Du coup, les papis ont continué de tourner, publié un album tellement piteux que même leurs familles ne l’ont pas acheté, et ont fini par enregistrer un Alive IV terrifiant et… symphonique ! Kiss en symphonique ? Non mais franchement… et pourquoi pas Barbelivien, pendant qu’on y est ? Même en aimant Kiss, l’idée d’entendre « Deuce » avec un orchestre philharmonique fout les boules. Dont acte ! En lieu et place de ce quatrième volet aujourd’hui renié (preuve qu’ils ne sont pas encore séniles), on trouve le fameux concert dit « du millénaire » enregistré à Vancouver en 1999. Une set-list best of basique et totalement dispensable, qui fait doublette avec les trois autres opus, mais qui a le mérite de l’honnêteté et ne ridiculise pas trop les pépères – quand bien même Ace Frehley n’en touche plus une.

Que retirer de cette vraie/fausse réédition ? Honnêtement : rien. Les fans connaissent déjà, les autres s’en cognent, les gamins doivent acheter Alive! – premier du nom.

Fin du débat.

Le seul intérêt de ce coffret est de montrer la grandeur et la décadence d'un groupe qui en 1973 enflammait le public en première partie des New York Dolls, et qui en 1998 jouait dans un Bercy à moitié vide.


👍 Kiss Alive! 1975-2000 
Kiss | Mercury, 2006