mardi 19 décembre 2006

Uniques en leur genre

[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - N°59]
Penya - Tue-Loup (2002)

Quand on entreprend de parler d’un disque aussi peu connu que Penya , on est évidemment contraint d’en présenter les auteurs avant. D’autant que Tue-Loup est Tue-Loup et ne peut-être comparé qu’à Tue-Loup. De fait, Penya ne se positionne par rapport à rien d’autre que les autres albums du groupe.
 
Tue-Loup compose une musique fascinante, mais sa confidentialité l’est tout autant. Depuis que je suis ce groupe (1998) je l’ai fait découvrir à des dizaines de personnes qui sont toutes devenues des inconditionnelles. Pourtant, son exposition demeure toujours aussi minuscule… je ne comprends pas. Sans doute s’agit-il d’une musique trop revêche pour séduire un large public, certes. Mais après tout, Leonard Cohen (que le groupe adore, de toute évidence) ce n’est pas de la power-pop et ça se vend très bien. Non ?
 
Un sentiment très fort me lie à ce groupe du fin fond de la Sarthe, dû en grande partie au fait que durant des années j’ai été la seule personne dans tout mon entourage à le connaître… en soi ce n’était pas nouveau, sauf que ç’atteignait cette fois des sphères hallucinantes : j’ai souvenir d’avoir à l'époque croisé des dizaines de journalistes musicaux pros à n’avoir jamais entendu parler de ce groupe de tout premier ordre ! Je n’arrive pas encore à y croire aujourd’hui… Pourtant il est considéré par la plupart de ceux qui le connaissent comme un des meilleurs groupes des ces dernières années, tous styles et nationalités confondues. On a même vu en France des groupes autrement mieux exposés (Elista, encre, le Luke du premier album) très largement s’en inspirer… alors comment l’expliquer ?
 
Quand j'ai découvert Tue-Loup à l'époque, je ne savais strictement rien d'eux... et je n'en sais pas beaucoup plus aujourd'hui, même si je les ai rencontrés, tant ces gens sont discrets et mystérieux. En 1998, Tue-Loup sortait son second disque, La Bancale. La musique que j'ai entendue là était totalement indescriptible. Alors en général, je dis que c'est de la folk - ce que Xavier, chanteur-poète du collectif, a bien voulu m'accorder. Mais de la folk sombre, plus proche de Leonard Cohen (justement). Voix grave, traînante. Textes à la poésie étrange et envoûtante, généralement assez cryptés. Les guitares étaient à l'époque très en avant, l'une électrique distillant de véritables scies à la Radiohead, l'autre acoustique et rythmique. Basse et batterie portaient les morceaux, rarement mises en avant mais vitales. La voix de Xavier, en revanche, aurait gagné à être un peu moins noyée derrière la musique (ce qui nuit un peu aux paroles). De même, les onze chansons de ce disque sont parfois un peu longues, trop étirées sans doute, comme "Le Nœud", superbe durant les trois premières minutes, dispensable durant les quatre suivantes. Et puis il y avait cette reprise de "Mon Amant de Saint-Jean", longtemps avant Bruel, et cent fois mieux, puisque totalement réappropriée. Et "Morphée"... la chanson la plus effrayante que j'aie jamais entendue.
 
A l'instar de sa musique, l'univers de Tue-Loup est totalement indéfinissable. Un monde essentiellement champêtre (le nom du groupe est d'ailleurs celui du hameau dont Xavier est originaire - celui du disque suivant La Belle Inutile, le nom de leur studio... à moins que ce ne soit l'inverse, je ne sais plus), peuplé de quelques âmes en peine errant au milieu d'un bestiaire étrange et poétique. Cet univers explose totalement sur le troisième album. Tantôt langoureux et apaisant, tantôt rageur et tendu à l'extrême. Les titres des chansons sont énigmatiques, et il est à l'époque impossible de trouver la moindre photo du groupe - qui par ailleurs n'accorde que peu d'interview. Un quatuor totalement caché derrière sa musique, en somme.
 
Arrive alors Penya.
 

Logiquement, ce quatrième album va être leur chef-d'oeuvre. Conscients qu'ils peuvent difficilement pousser plus loin leur petit monde sans un sévère renforcement de leur personnel, ils changent de bassiste, engagent un pianiste jazz et un second chanteur (un MC, en fait, ou presque). Sur le papier, ça ne ressemble pas à grand-chose. Ce pourrait même sonner très très kitsch. Dans les faits, c'est une merveille. Je l'avoue, j'ai mis beaucoup de temps à rentrer dedans. Mais les beautés glacées de « Buse » ou du lanscinant « Celsius » ont fini par me fasciner, au point que je considère Penya comme un de mes deux ou trois disques préférés de tous les temps (et vous avez bien dû deviné que j'en avais un nombre incalculable - je dirais entre 6000 et 7000).
 
Pour autant, c’est un disque plutôt hermétique et très difficile à appréhender à la première écoute. Les chansons essentiellement axées sur le piano, notamment (« Toro », « Les Diamants »), et les deux morceaux explosifs assez slam dans l’esprit (« La Main droite du batteur d’Elvis », « Aucun signe ») ne se livrent pas comme ça. Plus généralement, la complexité des arrangements étonnera l’oreille attentive. Il faut avoir écouté l’album Tout nu (2004), qui reprend plusieurs titres de cet opus en guitare-voix, pour réaliser à quel point celui-ci est riche et propose une profondeur de son rarissime dans un disque français. Sans parler des textes (quasi symbolistes et superbes) et des climats… car Tue-Loup, qui oscille ici entre apaisement et tension permanente (avec basse explosive et guitares en apesanteur), ce n’est finalement que ça : une addition d’éléments (musiques, textes, arrangements) visant à créer une atmosphère. De ce point de vue, les grandes réussites de Penya sont sans doute la langueur de « Rest’la Maloya », la complainte martiale de « Barque » et la noirceur étouffante d’ « Aux orties ». Ailleurs, les passages contemplatifs s’avèrent (comme toujours avec le groupe) des moments de grâce absolue… « Buse » et cette phrase sublime : Aller se camer la rétine / Sur la palette de Dieu ; « La Tremblante », une intro aérienne et un résultat onirique à souhaits ; « Facteur Cheval », ultime morceau qui permet à cette musique étrange de s’humaniser en fin de disque, le temps d’une chanson juste belle et mélancolique...
 
Pour toutes raisons, ainsi qu’à cause de l’unicité de l’ensemble (tant dans la musique que dans l’univers), il faut découvrir Tue-Loup. Absolument. Des groupes comme ça, il n’y en a pas des masses en France.
 
Ni ailleurs.


Trois autres disques pour découvrir Tue-Loup :
 
La Bancale (1998)
La Belle Inutile (1999)
Rachel au rocher (2005)