samedi 21 octobre 2006

Yann Moix - Panthéonnade

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« Mon père me démontait la gueule par haine de moi ; ma mère me démontait la gueule par haine de soi. »

Il est un don que beaucoup aimeraient avoir (ou pire : croient avoir !) : celui de faire rire avec des choses atroces. Yann Moix détient ce don, en use souvent, en abuse, parfois (voir son précédent Partouz ?!), mais il n’en demeure pas moins qu’il pourrait vous raconter une histoire de génocide ignoble et vous faire pisser de rire en même temps.

Le petit Moix – ou Moaks ou plein d’autres trucs encore – se fait donc démonter la gueule. Il n’est pas le premier, sans doute pas le dernier. Il ne sera pas le premier non plus à se réfugier dans son imaginaire pour fuir la souffrance, mais il est en revanche le seul à ce jour à être parvenu à le raconter avec autant d’humour, de fantaisie et de génie.

Dans le Panthéon du petit Moix, il y a du beau monde et rien que du beau monde. Des gens qui sont vraiment au Panthéon, d’autres qui finiront bien par y être, d’autres encore qui devraient y être. Il y a Méliès, Gide, Zola, Péguy, Hugo, Moulin, Voltaire… et, nageant au-dessus des autres, son meilleur ami : François Mitterrand.

Le lecteur est donc convié à visiter le Panthéon du petit Moix, ainsi que le véritable Panthéon, ainsi que certains souvenirs… restait à trouver l’équilibre parfait entre tout cela. Car une telle entreprise aurait facilement pu se changer en dictionnaire des citations et faire chier tout le monde.

J’avoue tout : oui, en lisant le sujet du livre dans la presse, j’ai douté de Yann Moix. Ca ne m'était jamais arrivé, mais depuis Partouz, je suis devenu plus méfiant. J’ai eu tort. Car non seulement Panthéon ressemble beaucoup, beaucoup à un genre de clé de voûte de son œuvre, mais en plus il cogne fort et juste. C’est un roman-somme terriblement réussi qui peut tout aussi bien s’apprécier individuellement. En cela, il est semble par exemple supérieur au Lunar Park d’Easton Ellis, autre œuvre-somme délirante qui m’est passé entre les mains récemment.

Oui, Panthéon est un livre incroyable. Dingue, chtarbé. Un livre de psychopathe, drôle, corrosif, violent et infiniment plus dérangeant que tous ces romans prétendument sulfureux qui sortent à chaque rentrée littéraire.

Oui, sur le papier, Panthéon fait peur. Mais l’écriture de Moix est surpuissante, hallucinante ; et son imaginaire unique en son genre (le dialogue avec le Fascisme de François Mitterrand, tout de même !... ah merde, rien que d’y repenser j’en ris encore). Voici un narrateur encore plus perturbé que celui d’ Anissa Corto (c’est possible ? Faut croire…) qui nous raconte des trucs à la fois invraisemblables et totalement crédibles (c’est possible ? faut croire… BIS), le tout dans un genre de cabotinage stylistique totalement jubilatoire – je ne citerai pas : d’exemple et vous le laisserai découvrir par : vous-même. La principale qualité de ce livre étant de ne justement pas se confiner dans le misérabilisme écoeurant du pauvre enfant battu. Après tout, les rêves sont tellement plus excitants…

Et finalement, l’astuce paraît payante : en parlant de tant et tant d’autres avec une colossale (une panthéonnesque !) mégalomanie, Moix en dit infiniment plus sur lui que s’il avait choisi un argument bêtement autobiographique… exactement à la manière des Feuillets d'Automne d’un certain André : Gide. Une mise en abîme astucieuse dont il a forcément conscience puisqu’il affirme connaître ledit Gide par cœur.

Évidemment, Moix, l’auteur, se fait démonter la gueule de la même manière que Moix, le narrateur. Par les critiques. Logique : il y a quelque chose de forcément dérangeant dans cette distance permanente de l’auteur avec son sujet, dans cette manière d’évoquer les violences parentales avec humour et dérision. Ce n’est pas, pourtant, du délire gratuit. Panthéon est un livre beaucoup plus profond, humain et émouvant qu’il y paraît. Cette seule idée de panthéon personnelle, en soi, ne peut d'ailleurs que parler à tout lecteur (rêveur ?) qui se respecte. Nous avons tous notre Panthéon personnel.

D’ailleurs, toutes les personnes qui me connaissent vous affirmeront que Mon Panthéon Personnel existe bel et bien, qu’il s’agit d’une liste et qu’on y trouve un roman intitulé Les Cimetières sont des champs de fleurs

Je vous laisse deviner le nom de l’auteur.


👑 Panthéon 
Yann Moix | Grasset, 2006