mardi 31 octobre 2006

A Rocker's Melancholia

[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - N°52]
New Adventure in Hi-fi - R.E.M. (1996)

R.E.M. fait partie des tous premiers groupes que j’ai écoutés. Beaucoup de ces premiers groupes me semblent aujourd’hui affreusement mauvais. En revanche, je suis toujours aussi fan de R.E.M. Pourquoi ? Tout simplement parce que c’est un des meilleurs groupes de tous les temps, mazette ! Surtout, je suis toujours aussi impressionné par la richesse de son répertoire et son incapacité totale à se répéter.

Il n’y a pas deux albums de R.E.M. similaires, ce qui déjà en soi est une torture pour qui veut en choisir un, mais surtout sur treize opus studios il n’y en a que quatre qui soient vraiment ratés… et encore je suis sévère, car les quatre accusés, les quatre que je déconseille formellement pour découvrir le groupe (si besoin est, ce dont on me permettra de douter), Fables of the Reconstruction/Reconstruction of the Fables, Green, Monster et Around the Sun, contiennent malgré tout leur lot de grandes chansons.


Alors j’ai choisi New Adventures in Hi-Fi, qui se trouve également être le préféré de Michael Stipe en personne… mais ce n’est pas vraiment pour cela qu’il est là. Vous vous en doutez, il y a d’autres raisons…

D’abord, c’est un disque superbe, mésestimé à sa sortie, et un petit peu laissé de côté car, il faut bien le dire, ce n’est pas le plus gros succès du groupe. Coincé entre Monster et ses millions d’exemplaires vendus du single « What’s the Frequency Kenneth? », et Up!, unanimement considéré comme un des plus grands disques du groupe d’Athens, New Adventures in Hi-Fi passe régulièrement à la trappe, même chez les fans les plus absolus.

Ensuite, c’est un disque symbolique à plus d’un titre : le dernier disque du groupe avec le batteur Bill Berry (qui sera remplacé par une boite à rythme !) et (y aurait-il un lien de cause à effet ?) son dernier disque de rock – au sens premier du terme. Comprendre par-là que c’est le dernier disque du groupe à ce jour qui soit dominé par les riffs percutants d’un Peter Buck au sommet de son art. Enfin, c’est également le dernier album de R.E.M. produit par Scott Litt, qui fut durant une décennie le cinquième membre occulte du groupe, au point que beaucoup de fans sont tombés des nues en découvrant que chacun faisait désormais chambre à part…

On peut légitimement considérer aussi que, du point de vue strictement musical, c’est l’album le plus éclectique du groupe. Là où les autres ont tous une couleur musicale très marquée (new wave pour la période 1982 – 85, power-pop pour la période 1986 – 87, folk pour la période 1988 – 93, indie-rock pour Monster, électro-acoustique pour Up!, folk-pop-psyché pour les deux suivants), New Adventures in Hi-Fi fait figure d’ovni dans la discographie de Rapid Eye Movement. Il s’ouvre sur un downtempo hypnotique et quasi trip hop (« How the West Was Won and Where It Got Us ») et se referme sur une adorable ballade au piano (« Electrolite »). Entre les deux, on trouvera un chef d’œuvre folk (« New Test Lepper »… la meilleure chanson du groupe ?), un truc indescriptible et mélancolique sur lequel Stipe rappe ou quasiment (« E-bow the Letter »), une popsong parfaite (« Bittersweet Me » la bien nommée), un titre littéralement électrisant (« The Wake-up Bomb », toute aussi bien nommée !)…

Comme si cela ne suffisait pas, l’album entier est enflé de saturation, de rythmiques brisées (« Leave », encore un grand classique du groupe), de guitares stridentes mais jamais gratuites (« Undertow »)… ou comment faire un album de rock sans jamais être violent ni trop doux.

Au-delà de cette incroyable diversité, il y a ensuite trois choses qui frappent :

L’extrême densité de l’ensemble (alors que faire cohabiter autant de trucs différents n’était pas gagné d’avance).

La cohésion des climats, à dominante romantique et nostalgique. Même (et c’est là tout le sublime de la performance) dans les titres les plus péchus.

Les refrains, terribles, imparables. On a souvent dit que R.E.M., en dépit de son succès colossal et inexplicable, ne jouait pas forcément une musique facile d’accès. Il est indéniable qu’effectivement, les premiers opus du groupe étaient des trucs archi cérébraux et à l’opposé de tout ce que devrait être le rock'n’roll. Cela fait d’ailleurs partie du charme de ce groupe, qui a fait à peu près l’inverse de ce qu’ont fait ses camarades de U2 à qui on le compare sans cesse : Stipe, Buck, Mills et Berry, eux, n’ont jamais essayé d’accrocher aux modes des époques. Bien au contraire, ils ont publié à partir de la fin des années 80 des disques qui allaient totalement à l’encontre de toutes les tendances, quitte à balancer un disque totalement acoustique (Out of Time) en pleine vague grunge/techno Et pourtant, ç’a marché presque à tous les coups. New Adventures in Hi-Fi relève du même procédé, puisqu’il s’agit d’un disque à dominante électrique publié en 1996, c’est à dire à un moment où plus personne n’avait envie d’écouter du rock. Mais en plus, il fait mentir tous ceux qui accusaient le groupe de proposer des morceaux trop tordus et complexes, voire austères. Tout en restant sophistiqués, les titres de ce dixième album sont tous immédiatement mémorisables et parfaitement mélodiques. Mieux : les textes de Stipe sont presque tous compréhensibles sans recourir à un commentaire composé. Et les refrains, on y revient, parfaits. « Be Mine » et son envolée lyrique, « So Fast, So Numb » qui explose sur un roulement de grosse caisse de Berry, « Low Desert » (la basse de Mike Mills a rarement sonné aussi lourde)…

… et finalement on se rend compte que Monster n’était peut-être bien qu’un brouillon de ce New Adventures in Hi-Fi que le groupe, décidément perfectionniste comme nul autre, persiste à considérer comme imparfait. Ainsi, récemment, Peter Buck déclairait-il : « On ne va pas refaire le passé mais si je devais enregistrer ce disque aujourd'hui je pense que je virerais l’instrumentale au milieu et que je ne laisserais que les morceaux rapides. »

Personnellement, je ne suis pas opposé à ce qu’il s’y mette ! Par contre, Pete, je vous en prie : laissez « Electrolite » ! Elle est lente, certes, mais c’est une chanson si tendre et si touchante que cette plongée dans les souvenirs d’adolescence de votre ami Michael, quand il regardait les vieux films du Hollywood de la grande époque et rêvait d’être Jimmy Dean…


Trois autres disques pour découvrir R.E.M. :

Reckoning (1984)
Document (1987)
Up! (1998)