lundi 30 octobre 2006

Albert Camus - On ne peut pas être un génie dans tous les domaines...

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Au cas où vous en douteriez encore, ce livre risque de vous prouver qu’on peut être un écrivain immense et ne pas exceller dans tous les domaines.

Albert Camus est de ceux-là. Il a composé des romans fabuleux que vous connaissez sans doute déjà de nom (L’Étranger, La Peste, et surtout La Chute, éternellement sous-estimé), des essais vitaux (Le Mythe de Sisyphe, L’Homme révolté), des pièces parfois méconnues mais magistrales (Le Malentendu)… et ce recueil nouvelles, sorti l’année de sa nobélisation. Son ultime projet littéraire, puisque ses deux derniers livres sont des essais.

Or ce recueil n’a rien de remarquable. Il est loin d’être médiocre, mais à côté de l’excellence constante qui régit son œuvre, il fait un peu tache. C’est sans doute pourquoi j’étais passé à côté alors que je croyais avoir tout lu de Camus jusqu’à ce que je tombe dessus par hasard.

En soi, déjà, ce recueil triche un peu. Où se termine la nouvelle et où commence le roman, voilà une question qui peut prêter à des débats interminables. Mais si l’on se fie à la seule définition digne de foi jamais énoncée du genre nouvelle , celle d’E.M. Forster, maître absolu du genre, on ne peut pas vraiment considérer que le texte inaugural, La Femme adultère, soit une nouvelle – puisque selon l’écrivain britannique une nouvelle est un texte suffisamment court pour être lu par n’importe quel lecteur en une seule fois. Cette nouvelle-ci se traîne en longueur, je dirais même qu’elle s’enfonce… autant vous dire que j’ai commencé à craindre le pire.

Heureusement, Le Renégat et Les Muets, deux textes beaucoup plus courts et beaucoup mieux rythmés, viennent immédiatement redresser le niveau. On y retrouve globalement les obsessions habituelles de l’auteur (le bien, le mal, la figure maternelle, le sport, et l’Absurde, bien sûr) mais délivrées dans des versions condensées plutôt convaincantes.

Après un quatrième texte anecdotique (L’Hôte), le lecteur trouvera enfin Jonas, LA perle du recueil. Une nouvelle idéalement agencée, assez longue tout en étant parfaitement mesurée, traitant d’un thème (l’artiste et le rapport au couple de l’artiste) assez peu évoqué chez Camus… :

« … Jonas avait seulement écrit, en très petits caractères, un mot qu’on pouvait déchiffrer, mais dont on ne savait s’il fallait y lire « solitaire » ou « solidaire ». »

… quelque chose dans ce texte, dans son écriture instinctive et provocante, laisse à penser qu’il s’agit là d’un travail beaucoup plus personnel et intime… malheureusement gâché par la nullité totale du dernier récit, La Pierre qui pousse, qui réussit l’exploit d’être encore plus ennuyeux et pompeux que son titre le laisse entendre.

Bref, un recueil intéressant qui ne manquera pas de séduire les monomaniaques de l’auteur et les fans les plus indulgents. Un recueil dont rien, cependant, ne justifiera l’achat par un lecteur occasionnel.


👎 L'Exil & Le Royaume 
Albert Camus | Folio, 1957