samedi 2 septembre 2006

Trop malin pour chouiner

[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - N°40
Heartbreaker - Ryan Adams (2000)

Quand j’ai acheté ce disque, je ne le voyais pas figurer dans un Top 100. Pourtant, six ans plus tard, force est de reconnaître que ses chansons comptent parmi celles que j’ai le plus souvent écoutées ces dernières années.

Avant d’être un génie imprévisible, Ryan Adams, qui partait plutôt mal dans la vie affublé d’un tel patronyme, était un génie provocateur. Et encore un petit peu avant, il était le leader de Whiskeytown. En quelques années, durant la seconde moitié des années 90, Whiskeytown s’est forgé une réputation d’enfants terribles du rock’n'roll – à une époque où il était fort mal vu d’en faire. Sans le savoir, Adams et son alter ego Caitlin Cary avaient inventé un courant musical : l’alt-country. Un genre difficile à définir qui, en gros, repose sur les influences communes de la country old-school, du rock des Stones, du punk new-yorkais et de la power-pop des Replacements. Trois albums et une paire de tubes ("16 days" et "Yesterday's News") plus tard, Whiskeytown, le groupe sulfureux aux prestations chaotiques et au leader incontrôlable et perpétuellement torché, se désintégrait en vol. Il est probable que la personnalité exubérante et incontrôlable de Ryan y ait beaucoup aidé. En réalité, on n’en sait pas beaucoup plus. Son seul commentaire sur son ex groupe depuis six ans aura été : Whiskeytown était censé être le Nirvana country, et après ? J’aurais dû me pendre avec une corde de banjo ?


Quoiqu’il en soit, en 2000, Ryan Adams est revenu avec un premier album solo. Un an seulement après la séparation de Whiskeytown, ce qui n’a surpris personne tant le jeune homme est connu pour être prolifique. Si vous allez dans une FNAC, vous trouverez probablement huit ou neuf de ses disques. Il en va de même sur la plupart des sites qui lui sont consacrés, mais en réalité, il y en treize. En six ans ! Un peu comme ceux de Beck fut un temps, beaucoup de ses albums sont sortis sur des labels microscopiques ou en autoproduction, dont le remarquable The Suicide Handbook (2001). Par conséquent ils sont introuvables, et par principe je ne peux pas vous conseiller des disques introuvables, y compris sur le Net.

Sur ce premier album solo remarquable d’émotion et de grâce, Ryan Adams chronique son exil de Jacksonville vers New York suite à une rupture douloureuse. Pour autant, il ne s’agit nullement d’un exercice folk-rock larmoyant, car l’Adams n’est pas spécialement du genre à pleurer sur son sort et à faire dans la guimauve. Son idole, la seule, l’unique, c’est Dylan. Lequel l’a même personnellement adoubé comme son successeur en 2002.

Dylan, il le connaît par cœur. Au point qu’il s’amuse à le parodier sur le premier titre du disque : « To Be Young (Is to Be Sad, Is to Be High ». Juste après une ouverture durant laquelle il se fout ouvertement de la gueule de Morrissey. Car si le rock'n’roll est désormais loin de ses préoccupations, Ryan Adams a été biberonné au punk, ce qui signifie en gros qu’il se fiche de tout et tout le monde. Chez lui, la tristesse est en permanence remise en perspective par l(a) (auto) dérision, et c’est ce qui rend Heartbreaker si attachant.
S’il s’amuse régulièrement à défier les pronostics des critiques musicaux, Ryan Adams a également l’intelligence de savoir que, autant l’éclectisme est une qualité, autant il est de fort mauvais ton de tout mettre dans un album. De fait, ce premier opus solo est un disque folk, tout bêtement. Dépouillé. Un de ces disques avec un type qui vous raconte des histoires d’amour (qui finissent forcément mal) la clope au bec au coin d’un feu de camp improvisé. La production est basique, l’atmosphère intimiste. La gratte est de préférence sèche, mais n’empêche nullement quelques poussées d’adrénaline (« To Be Young » encore, mais aussi et surtout « Shakedown on 9th Street »).

Avec son air candide, sa mélancolie vissée au corps et sa voix rocailleuse, Adams s’amuse de ses échecs sentimentaux (« Damn, Sam, I Love a Woman that Rains »), harangue les amants délaissés (« Why Do They Leave? ») et fout les larmes aux yeux en se mettant totalement à poil (ou presque : il est bien trop malin pour s’exposer au premier degré) sur le déchirant « Calling on You Way Back Home ». Il n’a pas peur non plus de s’aventurer sur les terres des Beatles (« Amy »), et ne rechigne pas plus devant une pincée de blues (« To Be the One », « Don’t Ask Her for the Water »).

Sans cesse sur le fil, l’album s’écoute d’une traite, comme une longue histoire dont la fin resterait encore à trouver. C'est ambigu, souvent émouvant mais jamais au premier degré, et l'équilibre tient. Parfois Ryan éructe (« Come Pick Me up », la chanson qu’Axl Rose essaie d’écrire depuis quinze ans), ailleurs il pleure sa terre lointaine et se paie le luxe d’engager Emmylou Harris comme choriste (« Oh, My Sweet Carolina »).
Ces quelques carnets de route assemblés de bric et de broc sont un coup de maître : l’album de pure folk-rock que Dylan se refuse à publier depuis la fin des années 70. La relève est assurée, et grâce à Adams, Ben Harper est redevenu ce qu'il n'aurait jamais dû cesser d'être : une gentille icône pour bobos dépourvue de relief. Franchement : que demander de plus ?


Trois autres disques pour découvrir Ryan Adams :
Gold (2001)
Love Is Hell (2004)
Cold Roses (2005)