vendredi 15 septembre 2006

From Them to Eternity...

[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - N°44] 
It's Alive - The Ramones (1978)

N’y allons pas par quatre chemins : It’s Alive est LE disque des Ramones qu’il vous faut, s’il ne doit en rester qu’un.

C’est aussi probablement LE disque live qu’il vous faut, s’il ne doit en rester qu’un.

Il y a des choses qui ne se discutent pas.

En cela, il n’est d’ailleurs absolument pas représentatif de cette rubrique : déjà parce que des lives, vous l’aurez noté, il n’y en a pas eu des masses jusqu’à présent (et il n’y en aura que deux autres par la suite, ce qui portera le total à 4 sur 100). Ensuite parce que, pour quasiment chaque artiste, choisir un seul disque m’a posé de sacrés cas de conscience. Or là, je n’ai même pas réfléchi deux minutes. It’s Alive est le meilleur disque des Ramones – point barre.

S’il n’est pas illégitime de considérer que les Ramones ont inventé le punk-rock (le terme a certes été trouvé quelques années plus tôt pour les New York Dolls, mais dans la musique comme dans l’esthétique les Ramones peuvent être vus comme les premiers – je m’arrête là parce que ce genre de truc peut prêter le flanc à un débat interminable), un élément capital différencie les faux frères (et faux crétins) de leurs collègues du NYC punk (certains qu’on a déjà évoqués comme Richard Hell, d’autres qu’on évoquera d’ici peu comme Television, et d’autres qu’on n’évoquera pas faute de place comme Johnny Thunders & The Heartbreakers) : les Ramones ont toujours été fauchés comme les blés. C’est un paradoxe intéressant, puisqu’en sortant leur premier opus en 1976, ils ont lancé l’explosion punk, mais n’en ont jamais vraiment profité. Du coup, leur albums studios ont un son proche du déplorable. Y compris les quatre premiers disques mythiques (le tout premier a même limite le son d’une démo). Ceux qui diront le contraire (vous en trouverez un paquet) seront d’une exceptionnelle mauvaise fois.

Qui plus est, si vous voulez découvrir ce groupe, vous devez fatalement le faire par un disque qu’il a publié entre 76 et 78. La suite est intéressante, presque toujours de qualité, mais c’est tout de même moins passionnant. Or donc, pourquoi s’enquiquiner à acheter les quatres disques studio de cette période quand ce live, sorti juste après, en contient l’essentiel avec un son dix fois supérieur et dans des versions infiniment plus puissantes ?

(je me place toujours dans la perspective où vous ne devriez en acheter qu’un, notez-le ; pour ma part je les ai tous depuis bien longtemps).

Il faut tout de même préciser que n’importe quel disque studio de n’importe quel groupe fait pâle figure par rapport à l’énergie des Ramones sur ce live (double en version vinyle, simple en CD) enregistré pour fêter dignement la nouvelle année 1978 (à l’époque, on fêtait le nouvel an de manière nettement plus cool que de nos jours). Déjà, n’importe quel disque contenant « Sheena Is a Punkrocker », « Glad to See You Go » et « Teenage Lobotomy », et s’ouvrant sur « Rockaway Beach », mérite l’achat. Alors imaginez le version Ramones de la grande époque délivré à deux cents à l’heure devant un public en état de pure euphorie !

Il existe beaucoup de compiles des Ramones, mais finalement aucune ne les résume mieux que cet It’s Alive : voici un groupe qui, à partir de deux riffs de Buddy Holly et de quatre mélodies des Beach Boys, a bâti sa légende. Les textes sont volontairement stupides, les arrangements inexistants, les instrumentations basiques de chez basiques… et pourtant les Ramones ont changé la face du rock"n’roll. Pourquoi ? Comment ? Peut-être tout simplement parce qu’ils en sont revenus aux origines… sexe, insouciance, provoc et fun. Ni plus, ni moins. On a trop souvent accusé les Ramones d’être débiles. Ne pas vouloir intellectualiser les débats ne signifie pourtant pas nécessairement qu’on soit idiot. « Teenage Lobotomy » ou « Now I Wanna Sniff Some Glue » disent probablement infiniment plus de choses sur leur époque que n’importe quelle chanson à texte.

Le paradoxe, c’est qu’en 1978 la blague punk est déjà terminée. Tuée en grande partie par les Anglais : d’abord par l’arnaque Pistols (trop d’outrance nuit à l’outrance) puis par les sous-Clash qui ont voulu faire du mouvement une arme de revendication politique qu’il n’était pas au départ. Tuée, surtout, par les critiques, qui se sont mis à parler de « musique punk » alors que finalement, le punk n’est qu’une des multiples déclinaisons du rock'n’roll. Du coup, beaucoup ont finit par oublier ce qu’était le punk originel, celui des Ramones et d’une poignée d’autres : juste une bande de jeunes blancs qui s’emmerdaient et faisaient de la musique pour meubler la banalité quotidienne de leur banlieue pourrie. Ils se foutaient de la politique comme ils se foutaient des musiciens sérieux. Le hasard, un peu aidé par les médias, a fait exploser tous ces groupes en même temps. La plupart n’y ont pas survécu. Et ceux qui ont tenu, comme les Ramones justement, l’ont fait dans des conditions pas très folichonnes et plus du tout fun pour le coup (Cf. l'autobiographie de Dee Dee Ramone).

Mais pour l’heure, heureusement, on n’en pas encore là. On est en 1978, les Ramones sont à l’apogée de leur carrière, n’ont pas encore changé quarante fois de line up (juste de batteur) et font reprendre en cœur à leur public un Hey!Ho ! Let’s go! qui n’est pas encore devenu mythique. Joey harangue la foule, lui demande, en entonnant le vieux standard de Bobby Freeman, si elle « wanna dance? »… l’insouciance est là, la légèreté, l’humour. Dee Dee et Marky tiennent le groupe. Johnny fait au moins trois pains magnifiques en moins d’une heure de temps. Contrairement à d’autres guitaristes punks (Richard Lloyd de Television ou Steve Jones des Pistols… même Thunders), il ne fait pas semblant de jouer comme un manche. Mais il a su faire de ses limites instrumentales une forme d’expression artistique, et c’est toute la différence.

De ces vingt-huit morceaux, difficile de dire lequel est le meilleur ou juste mon préféré… « Here Today, Gone Tomorrow » est génial, « Suzy Is a Headbanger » surpuissant, « I Don’t Care » et « Blitzkireg Bop » incontournables, « Commando » a la rythmique la plus remarquable entendue depuis les premiers simples des Beatles, « I Wanna Be a Well » est nickel, « You’re Gonna Kill that Girl » me fait mourir de rire… Aujourd’hui encore, j’écoute cet album quasiment chaque semaine. Il me donne une pêche d’enfer. Au réveil, en bagnole, tout le temps. Il m’empêche de sombrer dans la dépression totale…

Oui, à l’époque on savait rire. Aujourd’hui les trois quarts des groupes de rocks sont dépressifs – la plupart par pure pose. Et les Ramones, qui gardèrent le temple rock"n’roll durant plus de vingt ans (ils se sont séparés officiellement en 97) manquent plus que jamais. Ma seule consolation, c’est de croiser encore à l’occasion un gamin avec un t-shirt des Ramones. C’est un môme qui a écouté les Strokes ou Green Day et a remonté le fil. Ça me soulage. Fut un temps je pensais, en regardant les gamins, que ça n’arriverait plus. Que les mômes d’aujourd’hui voulaient de l’immédiat, tout tout de suite, se contentaient des groupes de leur génération et n’allaient pas voir ailleurs. Mais quand je vois mon petit cousin, je me dit que tout n’est pas perdu : quand une bande de jeunes blancs becs s’emmerdent, ils se mettent toujours à jouer du punk. Qu’ils le fassent en ayant écouté les Ramones, Green Day, Rancid, Nirvana ou n’importe quoi n’a finalement que peu d’importance. L’important est que ça existe toujours.


Trois autres disques pour découvrir les Ramones :

The Ramones Leave Home (1977)
Rocket to Russia (1977)
Road to Ruin (1978)