samedi 15 juillet 2006

Un adieu aux armes, en quelque sorte.

[Mes disque à moi (et rien qu'à moi) - N°28]
Draconian Times - Paradise Lost (1995)

Après Alice In Chains, le hasard du classement alphabétique nous fait rester dans la sphère du metal, même si c’est une coïncidence et même si ce n’est pas du tout le même genre de metal. Paradise Lost. Aujourd’hui, le nom fait sourire. Une fois, même, je me suis fait insulter dans un magasin de disques par un fan de metal parce que je portais un t-shirt de ce groupe. Pourquoi ? Parce que Paradise Lost est un groupe de traîtres.

Après avoir commencé sa carrière sous l’égide du death-metal, autant dire de l’inaudible, ces musiciens anglais plus que brillants ont eu envie de mettre des mélodies dans leurs disques. Trop la honte quoi ! Inconsciemment, ils ont inventé un genre : le gothic-metal. Comprendre la rencontre entre le heavy de Metallica et les mélodies (voire les synthés) de groupes comme The Sisters Of Mercy ou Depeche Mode, dont ils sont grands fans. Tout en conservant bien sûr la noirceur inhérente au genre.

Draconian Times est l’apogée de cette période. Dans le sillage de Paradise Lost, on a vu émerger des dizaines de groupes au succès divers. Même look (vêtements noirs de rigueurs, cela va sans dire), même textes désespérés (parfois comme une pose, d’autre fois réellement sincères)… Paradise Lost, donc, au même titre qu’Anathema (déjà évoqué plus tôt dans cette rubrique) a créé une mode dont il a été le premier à se défaire : après cet album, le groupe de Nick Holmes et Gregor McIntosh a totalement abandonné le metal, ses grosses guitares et ses clichés, pour jouer (avec un immense talent) une musique plus aérée (plus pop ?), s’aliénant ainsi quasiment tous les mordus de metal. C’est vers ces disques d’après 1995 que je vous renvoie si une écoute rapide de cet album vous rebute, car ceux-ci, très différents, pourraient bien vous séduire.


Ma rencontre avec le Lost date de cette époque (en fait de l’album précédent, en 1993), c’est pourquoi ce disque se retrouve ici. Il faut dire qu’en 1995, si vous écoutiez du rock ou du metal ou les deux, vous aviez peu de chances de passer à côté tellement la déferlante Paradise Lost a été énorme.

Le disque s’ouvre dans l’onirisme, avec les quelques notes de piano du bien nommé « Enchantment ». Même si les guitares lourdes viennent se poser au bout de 51 secondes précisément, il est clair qu’on n’est pas tout à fait dans le metal traditionnel. Six minutes plus tard, on est réveillé par le claquant « Hallowed Land », mais ce n’est qu’un leurre. L’énergie est là, tout ça est lourd comme un Zeppelin (minimum), Nick Holmes éructe mais on sent très nettement qu’on n’a pas affaire à un groupe de heavy-metal lambda avec tous les clichés que cela peut véhiculer. Les guitares aériennes de « The Last Time » et son texte désolé viennent d’ailleurs rapidement le confirmer. « Forever Failure », l’un des titres les plus connus du groupe, s’ouvre sur un speech de Charles Manson (lequel a d’ailleurs failli se retrouver dans ce top 100) directement enchaîné avec les beuglements de Holmes, mais sur le refrain, la voix se fait plus suave et la chanson, derrière une apparente rugosité, se révèle tout en climat éthérés.

Les frontières du metal pur et dur sont totalement franchies quelques titres plus loin avec l’extraordinaire « Exclusive Cure » (un clin d’œil au groupe de Robert Smith ?) puis l’intro typiquement new-wave de « Yearn for Change ». Lancé dans un numéro d’équillibriste parituclièrement périlleux, Paradise Lost essaie de tirer son épingle du jeu mais on sent déjà que c’est vers ce genre de titres qu’il a l’intention d’aller dans la suite de sa carrière. Nick Holmes crie moins, même s’il ne chante pas encore tout le temps, et les guitares sont beaucoup plus légères et aériennes que par le passé. Finalement la lourdeur à la Black Sabbath de « Hands of Reason » arrive, résonnant comme un ultime adieu au heavy metal. Ce titre est d’ailleurs suivi du plus planant du disque « I See Your Face », avec longue montée en puissance en guise de préliminaire et claviers omniprésents.

Et enfin « Jaded », qui est tout simplement une synthèse parfaite entre les deux faces que le groupe aura laissé entrevoir tout au long de l’album. Dans un ultime pied de nez, le groupe signe un titre, un seul, qui corresponde parfaitement à la contraction gothic + metal. C’est à ce jour son dernier titre qui puisse être qualifié de « heavy ». Depuis, le Grand Lost vogue entre deux eaux, ne sachant plus trop à quels saints se vouer et ne vendant plus le moindre album. Leurs fans sont devenus d’exs-fans, et les futurs tardent à venir. Une rumeur de plus en plus en persistante annonce la séparation prochaine d’un groupe dont la grande spécialité est devenue de se faire saquer de ses maisons de disques. Comme quoi parfois, une carrière artistique tient à peu de choses : il y a onze ans, Paradise Lost était The Next Big Thing. Aujourd’hui il peine à remplir les plus petites salles parisiennes.

Tout ça pour avoir voulu faire ce qu’il voulait comme il le voulait. Juste pour avoir choisi les chemins de traverse plutôt que les sentiers battus d’une musique qui ne l’inspirait plus.


Trois autres disques pour découvrir Paradise Lost :

One Second (1997)
Believe in Nothing (1999)
Paradise Lost (2005)