mercredi 12 juillet 2006

Chicken Street - Les Médias s'emballent, le lecteur s'endort

Amanda Sthers est partout. Tellement partout que c’est devenu difficile de lui échapper. Sur la place littéraire, évidemment, mais aussi au théâtre, dans les émission de télévision et même à la radio puisqu’elle écrit des chansons pour son mari, dont je ne parlerai pas car je n’aime pas les procès d’intentions (et parce qu'en fait, ne le dites à personne, je ne le déteste pas autant qu'on pourrait le supposer). Son premier roman, Ma place sur la photo, était un mignon petit livre autobiographique qui, à défaut d’être indispensable, n’en était pas moins attachant. Avec Chicken Street, elle s’attaque à la fiction, et c’est une autre paire de manches.

L’idée de départ est excellente : Chicken Street est la rue où vivent les deux derniers Juifs de Kaboul, le premier étant cordonnier et le second écrivain public. Petit élément amusant, ces deux là se détestent cordialement. C’est vraiment un postulat de base extrêmement intéressant et drôle, mais manque de bol pour Amanda, c’est inspiré d’une situation réelle. Il faut donc travailler un peu tout ça pour que ça ressemble à un roman original et intéressant. Naema, jeune Afghane enceinte d’un soldat américain rentré au pays, va donc servir de d’élément déclencheur.

Servir, c’est le mot exact tant aucun des personnages n’est réellement crédible. On aurait aimé qu’Amanda Sthers tire profit de ses caractères pour créer un ressort comique ou tout du moins narratif, le problème c’est qu’on n’y croit pas une seconde (ce qui est quand même un peu la zone quand on part d’une histoire vraie). L’histoire de la pauvre Naema enceinte de son Peter et qui veut lui écrire pour le lui annoncer, c’est tellement cliché qu’on est découragé dès le troisième chapitre. Alors on a envie de se rabattre sur les deux Juifs, Alfred et Simon, mais malheureusement on n’est guère mieux servi, l’écriture de Sthers n’étant absolument pas à la hauteur de son propos. Une écriture de bonne élève, de gentille petite auteure appliquée, certainement appropriée pour écrire des chansons à l’eau de rose mais absolument pas désignée pour prendre en main une histoire comme celle-ci.

Vous confiez le même postulat à Robert McLiam Wilson, il vous écrit une comédie douce-amère sur fond de pays déchiré. Vous le prêtez dix minutes à Philip Roth et ils vous en fait 600 pages de fresque philosophico-politico-satirique. Amanda Sthers n’ayant (faut-il vraiment le préciser ?) ni la verve du premier ni la puissance du second, on s’ennuie ferme. On bâille, on se désintéresse de l’histoire, on se dit que c’est vraiment du gâchis. Arrivée à la moitié du bouquin, l’auteure a l’idée saugrenue d’user de son art pour résoudre les conflits entre Juifs et Musulmans, et là on est carrément assommé par tant de manichéisme et d’idées toutes faites. La bien-pensance du livre file la nausée : aimez votre prochain, apprenez à vivre avec lui… merci ! Il fallait au moins le talent d’une Amanda Sthers pour en arriver à cette morale poignante et pas du tout convenue. Dans le monde merveilleux d’Amanda, tout le monde est gentil, les durs ont en fait un cœur tendre et les pauvres sont des gens fabuleux qui ne connaissent pas le mal…

A se demander ce que tous les critiques ont pu trouver à ce livre d’une totale médiocrité… pas un livre méchant, au contraire : tout est gentil, et Amanda Sthers, je suis sûr que c’est quelqu’un de gentil, une super copine, une femme attentionnée et une mère formidable. Simplement elle s’est visiblement gourée de métier. Ou non justement : elle s’est gourée en croyant qu’écrivain était un métier. Et donc elle écrit comme d’autres font leur boulot : ficelles grosses comme des obélisques, personnages ressemblant à des coquilles vides, dialogues préfabriqués et phrases même pas nulles, juste banales. Pas de style, et une réflexion humaniste digne d’une adolescente de treize ans dont le rêve est qu’il y ait la paix dans le monde. Savoir qu’un tel livre peut être publié, en France, de nos jours, pose quand même de sérieuses questions quant à la compétence des éditeurs – Grasset n’étant pourtant pas le plus mauvais. Oh bien sûr, Amanda Sthers ne fait de mal à personne. Son livre, à n’en pas douter, croule sous les bonnes intentions.

Il paraîtrait que l’Enfer en est pavé.


👎👎 Chicken Street 
Amanda Sthers | Grasset, 2005