dimanche 23 juillet 2006

Kissinger - Le "Dernier des Metternich"

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Henry Kissinger a été partout, tout le temps. Durant vingt ans, il a été le deus ex machina de la politique américaine – autant dire du monde. En 1979, alors que sa carrière n’est pas encore toute à fait terminée, il a décidé de tout dire… enfin presque tout, puisqu’il a a posteriori été reconnu coupable de nombreux crimes dont des exactions au Chili, en Grèce et au Bangladesh. D’aucuns l’accusent également d’avoir pris part au génocide du Timor-Oriental (aucune preuve n’ayant jamais été présentée sur le sujet je me garderai d’émettre un avis), et d’autres encore considèrent qu’il est le principal responsable de l’enlisement de la guerre du Viet Nam – accusation totalement impossible à démontrer.

On lui reproche aussi beaucoup d’autres choses, et il est plus que probable qu’il n’ait pas commis le quart du dixième des crimes qu’on lui reproche. C’est normal : Kissinger a largement dépassé le statut d’homme politique. Il est devenu une figure, un mythe... un mythe qui se dessine déjà en filigranes dans ce premier volet de ses mémoires, six cent pages environs qui fascinent autant qu’elles assomment. Henry Kissinger n’est pas un idiot : avant d’entrer aux gouvernements (parce qu’il a agit sous plusieurs d’entre eux, de droite comme de gauche), il a été un diplomate avisé et un fin stratège. Dans son livre, on lui découvre aussi des qualités d’analyste rigoureux de la nature humaine, ce qui n’étonne pas vraiment.

Difficile évidemment de ne pas être agacé par la complaisance de l’exercice, mais de ce point de vue notre homme se montre sous un jour innattendu, finalement assez modeste. Peut-être est-ce parce que ce volume un raconte les débuts, la période 1968/73. Le moment où il est passé du rien au tout, sous l’impulsion d’un Nixon qu’il n’avait jamais rencontré avant son élection et dont il n’appréciait ni le caractère ni les convictions… pourquoi alors y est-il allé ? Visiblement, même avec le recul, Kissinger ne semble pas être capable de répondre à cette question… l’attrait du pouvoir ? Mais justement, Kissinger ne donne pas l’impression d’aimer le pouvoir. Pour lui, le président élu en 68 aurait dû être Rockefeller. Lequel avait des convictions et un programme… seulement Rockefeller ne s’est pas présenté, car il avait un problème majeur : il était riche : « Il a été le premier à comprendre la "nouvelle politique" […] le premier à comprendre qu’à présent, les américains ne votaient plus pour un programme mais pour une personne. […] Son programme était terriblement affiné, mais les Américains le détestaient. »

Dans le même ordre d’idée, le portrait qu’il brosse de Nixon est celui d’un pauvre type qui se retrouve pris dans un nid de crabes : « … un homme d’état arrive dans une situation donnée et il croit généralement qu’il va pouvoir créer la situation. C’est une erreur […] il est là pour débloquer les situations crées par d’autres avant lui. » Est-ce bien de Nixon qu’il parle, ou de lui-même ? On comprend en tout cas assez rapidement pourquoi Kissinger préféra rester toute sa vie un homme de l’ombre plutôt que s’exposer.

Ça, c’est la première moitié du livre environ. La seconde, celle qui nous présente un Kissinger installé dans ses fonctions un peu troubles, sans véritable poste ou portefeuille ministériel, est moins intéressante. Là, Kissinger commence à étaler ses faits d’armes, ses voyages, son Prix Nobel, et on s’en fout un peu. Parce que dans la seconde moitié, on n’a plus l’impression de lire des mémoires mais un agenda. Cela devient fastidieux, et je ne pense pas lire le volume 2… Ce qui ne m’aura cependant pas empêché d’apprécier un demi volume de ses mémoires, ce qui est déjà énorme en terme d’épaisseur de pages…


👍 White House Years, vol. 1 
Henry Kissinger | Simon & Schuster, 1979