mercredi 26 juillet 2006

Danser sous les étoiles...

[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - N°31]
Electric Warrior - T-Rex (1971)

Ici commença le glam-rock.

Plus précisément, un an avant, avec l’album T-Rex, premier disque du genre mais dont la qualité comme le succès n’ont pas grand chose à voir avec ce disque-ci.

En 1971, Marc Bolan n’est pourtant pas un débutant : Electric Warrior est le second album de T-Rex mais c’est en fait le sixième, puisqu’il en enregistra quatre autres sous le nom de Tyrannosaurus Rex. Au départ, il s’agissait d’un groupe de folk, qui racontait des histoires inspirées de Tolkien et ce genre de foutaises… titre du premier album : My People Were Fair and Had Sky in Their Hair… but Now They’re Content to Wear Stars. Tout un programme.

On n’a jamais vraiment su ce qui s’était passé dans la tête de Marc Bolan, pourquoi il avait modifié le nom du groupe et changé radicalement sa musique. La rencontre avec le fidèle producteur Tony Visconti (déjà auteur de quelques méfaits avec David Bowie) a sans doute compté, mais comme le prétend ce dernier : « Marc Bolan était tout simplement un génie. Une petite ordure, mais un génie. ».

C’est qu’au départ T-Rex est… un duo ! Il faut donc pallier au déficit de musiciens. Là, Bolan a l’idée du siècle, le genre d’idée toute conne à laquelle personne n’a pensé avant : il enregistre deux fois deux parties de guitares identiques et les superpose de manière a donner une impression de puissance, et une incroyable densité au son. Visconti toujours : « Marc n’avait pas vraiment besoin de gens pour produire ses disques, en tout cas pas d’ingénieur du son. Il était excellent dans ce domaine. Il avait simplement besoin de quelqu’un en face de lui qui soit capable de lui tenir tête et de lui dire "non". »

De cet affrontement entre le songwriter génial et le producteur aux doigts d’ors est né Electric Warrior, un des dix ou quinze disques dont on puisse réellement dire qu’il a changé la face du rock'n’roll. Cette idée de la double guitare a fait l’effet d’une bombe. Dans l’année qui a suivi, tout le monde s’est mis à reprendre ce son. Sans jamais, évidemment, parvenir à écrire les bonnes chansons. C’est ce qui fait toute la spécificité de T-Rex – et par extension de ses déclinaisons : Marc Bolan & T-Rex puis Marc Bolan tout seul (c’est finalement à peu près la même chose) – Bolan s’y connaissait comme personne pour trousser la mélodie parfaite qui va rentrer dans la tête et ne plus en sortir. Sur les onze titres de l’album, six ont été numéros 1 en Angleterre. Un record historique que PERSONNE n’a jamais battu. Six numéros uns la même année. A la fin de l’année 71, les trois premières places du Top 50 britanniques sont trustées par trois chansons de T-Rex ! Incroyable.

Une petite batterie gonflée par un son cotonneux, une rythmique groovy et une mélodie facile à retenir… c’est « Mambo Sun », c’est la formule musicale la plus basique du monde et c’est imparable. « Mambo Sun »… une musique remuante et aérienne, des paroles basiques, on ne dirait pas, mais c’est presque un manifeste : après des années de rock psychédélique, voire progessif, après trois ans de compositions de plus en plus complexe, Marc Bolan et son groupe proposent de revenir aux fondamentaux du rock'n’roll : une musique directe, primitive et sexy. Ni plus, ni moins. Obsédé par le rock des années 50 et du début des années 60, Bolan connaît par cœur Elvis, Gene Vincent, Cochran ou Buddy Holly. Ses riffs sont directement issus des premiers rockers (ou des derniers bluesmen) et Tony Visconti, preneur de son malin, lui offre sur un plateau celui, aérien et vaporeux, qui lui permet de ne pas sonner comme un simple succédané.

C’est tout le paradoxe d’Electric Warrior, qui peut être considéré à la fois comme le premier et le dernier disque de glam-rock. Il en cristallise les idées musicales, mais finalement le look et les prestations scéniques de Bolan sont terriblement simples et épurées par rapport à ce que l’on va voir dans les mois ou les années suivantes, avec Slade, Sweet et quelques autres qui vont totalement pervertir le genre (voire le faire pourrir) et finalement le faire dégénérer en… punk. Car c’est finalement la même idée qui régit les deux mouvements : bouter Genesis et les Pink Floyd du devant de la scène et revenir à des choses simples et humaines. Et peut-on faire plus simple et humain que « Cosmic Dancer » ? Le son est spatial, justifiant le titre du morceau, mais c’est avant tout une chanson pop kinksienne parfaite. « Monolith » est même presque un morceau de crooner, sauf que le crooner Bolan chante deux tons au-dessus de la moyenne.

Il en va de même pour les morceaux plus excités, qu’il s’agisse de ce « Lean Woman Blues » vintage ou bien de plaquer le premier riff « gras » de l’histoire du rock avec « Get It on », mega-tube qui vaudra à Marc Bolan d’aller direct au Panthéon. Chez T-Rex, la déjante est raffinée, et c’est la principale différence avec ses suiveurs. Que ce soit « Rip off » (punk avant l’heure) ou « Planet Queen » (qui contient en substance tous les albums des Guns N’Roses), toutes les chansons rock'n’roll du disque sont empreintes d’une finesse, d'un groove et d’une délicatesse uniques. Parce que Bolan n’est ni un idiot ni un demeuré, et parce que comme la plupart des glam-rockers du début (Bowie, Roxy) il est un cultivé – lettré même. Il sait que la décadence ne signifie pas le bordel, que le baroque ça ne veut pas dire le n’importe quoi. Il peut donc se montrer capable de balancer des rythmiques boogies totalement prenantes le temps d’un titre (« Jeepster ») puis d’entraîner l’auditeur dans un trip total sans aller jusqu’à lâcher un solo de dix minutes, par la simple force d’une voix chaude et cristalline (« Life’s a Gas »).

De même qu’il n’y a qu’un seul Sgt Pepper, il n’y a qu’un seul Electric Warrior. Car c’est dans cette lignée qu’on peut placer le sixième album de T-Rex. Dans la lignée des chefs-d’œuvre incontournables qui ont réellement marqué leur époque. Un jour si vous voulez on s’amusera à les lister, ce sera vite fait et on n'aura pas besoin d’un Top 100 pour ça. Le fait est qu’il n’y a pas un seul disque pop ou rock sorti après 71 qui ne doive quelque chose à celui-ci. PAS UN SEUL. Il y a bien quelques fans pointilleux qui préfèrent à ce disque le suivant, The Slider, qui est effectivement presque aussi parfait. J’en débattrais bien avec vous, mais je dois y aller : je viens d'entendre les premières notes de « Girl » et je crois que Marc m’attends pour aller danser sous les étoiles…


Trois autres disques pour découvrir T-Rex :

T-Rex (1971)
The Slider (1972)
Tanx (1973)