samedi 24 juin 2006

Gombrowicz - Comme un journal, mais en mieux

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En théorie, je déteste aborder un auteur que je ne connais pas par le biais de son « Journal ». En pratique aussi, d’ailleurs. C’est pour moi un non-sens total.

Pour Gombrowicz, c’est pourtant différent. D’abord parce que j’ai entendu le plus grand bien de son journal, mais aussi parce que ce dernier – en tout cas le volume 1, a été publié de son vivant, ce qui de mon point de vue change absolument tout. A partir de là, le concept de journal devient partie intégrante de l’œuvre, au même titre que n’importe quel autre medium littéraire (poésie, nouvelle, roman, théâtre… etc.).

Évidemment, je ne vais pas vous raconter le journal de Gombrowicz, cela n’aurait pas de réel intérêt. Sachez cependant qu’il s’agit plus d’un recueil de pensées et/ou de théories que d’un journal au sens littéral du terme. Pas de crainte à avoir donc, on échappe au « Aujourd’hui, 18 août 1956, il a fait très beau et j’ai acheté deux baguettes tradition »…

(vous riez, vous trouvez ça clichesque, mais ce n’est pas drôle du tout et même de très grands écrivains ont sombré dans cette tragique médiocrité)


Gombrowicz nous parle de beaucoup de choses. D’ailleurs il ne nous parle pas : il nous interpelle. Son écriture est un cri, elle virevolte, retorse, et bien sûr finit par mettre K.O. même le lecteur le plus blasé. Son style est aussi mordant que ses idées impitoyables en ce qui concerne la littérature, la politique, la religion et mille autres choses encore. Assurément, cet homme-là, dont j’ignore la biographie (je n’ai d’ailleurs pas du tout envie de la connaître et je trouve très agréable de le découvrir en ne sachant quasiment rien de lui), n’était pas du genre à faire dans la demi-mesure.

Un authentique franc-tireur doté authentique franc- parler… que demander de plus ? Voici un homme qui se contrefout de la pensée dominante, qui le dit haut et fort (enfin pas tout à fait car j’imagine que ce texte a fatalement dû se heurter à la censure en son temps) et qui en plus le dit admirablement bien. Il démarre tambour battant, nous entraîne dans une longue digression philosophique, glisse une phrase lapidaire tordante (et généralement méchante voir même – horreur – grossière) pour nous récupérer pile au moment où on allait décrocher, et repart encore – nous avec.

Etre happé par un texte au point d’avoir du mal à en ressortir est en soit admirable. Etre happé par un journal, en plus, voilà qui confine au génie.

A la fin, je me suis dit que ça me faisait beaucoup penser à un autre journal d’écrivain publié de son vivant : celui de Gide. Bingo. En tapant Wiltold Gombrowicz sur google, j’apprends quoi ? Que Gombrowicz a eu l’idée d’écrire ce journal après avoir lu celui d’un certain André Gide. La boucle est donc bouclée, et le journal du grand G polonais n’a en rien à rougir de la comparaison avec celui du grand G français.


👍👍 Journal 
Wiltold Gombrowicz | Folio, 1958-69