dimanche 20 novembre 2022

Moonspell au fond du trou


En 2021, Moonspell publiait un excellent album, Hermitage, son meilleur depuis bien longtemps et en conséquence, l'un des incontournables de l'année. En 2022, Moonspell publie exactement le même album (à un titre près), en version live, son meilleur dans ce registre depuis toujours, auquel on promettra sans trop se cramer le même destin. Je ne suis pas plus en train de vous faire une blague douteuse en l'écrivant que Moonspell n'est en train de se foutre de votre gueule en vous demandant la modique somme de 45 euros pour réécouter la même chose, plus quelques classiques en rappel (sur la version vidéo). Mais je peux comprendre – et Moonspell aussi, j'en suis certain – que l'espace d'une seconde, vous ayez eu comme un léger doute.

From Down Below n'avait pas nécessairement été pensé pour être commercialisé. Dans le cas où son sous-titre (Live 80 Meters Deep) ne suffirait pas à vous mettre la puce à l'oreille, celle-ci devrait rectifier d'elle-même face une prise de son qui lui paraîtra tout de suite inhabituelle, sans complètement réussir à mettre le tympan dessus. Aidons cette pauvre oreille fatiguée à force d'avoir écouté beaucoup de trop de mauvais albums de mauvais metal gothique : 80 mètres, c'est vraiment très profond. C'est une caverne. Au sens littéral du terme : From Down Below a été enregistré en pleine pandémie dans une des grottes de Mira de Aire, lieux tout à fait fascinants situés à une trentaine de kilomètres au sud de Leiria1. Avant d'être un live du meilleur groupe portugais de sa génération, il est avant tout une performance. Comme chacun sait, si on déteste les albums live contractuels sur Le Golb, on adore les performances. Surtout si elles permettent de mettre en avant un album aussi brillant que Hermitage.


Au-delà d'une proposition jeanmicheljarresque pour le moins intrigante (comment diable ont-il pu avoir les autorisations légales pour un tel spectacle ? En France, ce serait juste impossible), From Down Below a en effet le mérite de démontrer dès son premier titre (le formidable "The Greater Good") pourquoi Moonspell demeure l'un des rares groupes de metal en activité à avoir de temps à autres les honneurs de ces pages. Fernando Ribeiro et ses camarades ne sont pas juste partis enregistrer dans une grotte – donner un concert devant quelques happy fews dans un lieu original n'a paradoxalement rien de très excentrique. Ils sont venus interpréter Hermitage, ouvrage éco-anxieux s'affligeant (au sens littéral du terme) de la vacuité des sociétés occidentales modernes et appelant à la solitude et au recueillement. Aucun album du groupe – voire : aucun album d'aucun groupe – ne se prêtait mieux à l'exercice que cette poignée de chansons plus intimiste que heavy, où Ribeiro n'utilise quasiment que son chant "clair", où le guitariste Ricardo Armorin laisse parler sa passion pour David Gilmour et où chaque titre ou presque dresse un constat désolé des dérives du matérialisme et de l'individualisme à outrance. Que Hermitage se trouve ainsi joué en milieu presque sauvage, au cœur d'une "merveille naturelle" (selon l'expression consacrée par une demi-douzaine d'Offices du Tourisme), sur une scène aussi confinée que le sont ses différents narrateurs, n'est que le proverbial juste retour des choses. Le groupe semble en avoir lui-même une certaine conscience, qui réarrange relativement peu des morceaux déjà fins prêts à subir ce traitement sonore assez particulier, même si l'on pourra regretter que seule l'écoute au casque rende réellement hommage à l'acoustique tout à fait singulière du set. C'est important sans l'être : même au temps lointain où il s'assimilait au black-metal, Moonspell n'a jamais produit une musique catchy se prêtant à l'écoute passive et développait une esthétique bien différente de ses contemporains, plus chaude, sensuelle – en un mot : organique. Hermitage faisait à cet égard figure d'accomplissement, avec ses nuances infinies, ses envolées floydiennes (cet "Entitlement"...), son jeu sur les textures et sa chape de mélancolie plutôt que de plomb. En sa qualité d'enregistrement live, From Down Below a comme de prévisible tendance à durcir les passages les plus nerveux ("Apophthegmata" ou le titre éponyme), mais cela a surtout pour effet de mettre en valeur la performance vocale de Ribeiro, à l'aise dans tous les registres et encore plus habité qu'à l'acoutumée2.

L'ensemble, qui à la différence de l'opus studio se conclut sur un grand feu d'artifice goth-metal plutôt que sur une petite instru anecdotique, dure une heure tout pile. On aura beau jeu de dire qu'à 45 € la bête, ça fait cher la minute et que so much pour la critique du consumérisme, les mecs. C'est compter cependant sans la prédominance du support vidéo, véritable manière dont il convient de l'aborder (l'album MP3 est d'ailleurs lâché pour une bouchée de pain). Voir le groupe s'ébrouer dans cet environnement étrange et luxuriant, devant une cinquantaine de péquins masqués et casqués au point de paraître évadés de quelque film de SF post-ap, n'a pas réellement de prix, si ce n'est celui que vous dictera votre cote d'amour pour un groupe qui s'il n'a jamais été le meilleur de son genre, a su en revanche traverser trois décennies en demeurant constamment l'un des plus originaux, intéressants et attachants de sa génération. Pensons qu'il y a quelques semaines à peine, Paradise Lost confirmait qu'il allait refaire Host, sous le pseudo de... Host, après avoir renié cet album environ cinquante fois depuis sa parution. L'information se passe de commentaire (tout comme l'extrait dévoilé à cette occasion), de même que l'on s'épargnera de se demander ce que sont devenus tous les autres groupes de la vague goth-metal, ces Anglais (pour la plupart) à l'air vaguement constipé qui semblaient tous avoir découvert Christian Death et Bauhaus la même semaine de 1996 (et eurent tôt fait de s'en excuser auprès de leurs fans mécontents). Moonspell, de son côté, a enquillé les albums ambitieux, créatifs, parfois inégaux et souvent versatiles – jamais douteux ni médiocres. Il est encore là, presque inchangé. Et n'a jamais paru si parfaitement maître de son sujet.

 
From Down Below - Live 80 Meters Deep
Moonspell | Napalm Records, 30 septembre 2022


1. Non, bien qu'ayant arpenté le Portugal dans tous les sens quand j'étais môme, je n'y suis jamais allé. De mémoire, ça ne se visitait pas à l'époque. Apparemment de nos jours, c'est devenu leur Disneyland Lascaux).
2. L'auteur de ces lignes vient de lâcher un soupir ému en se rappelant le charisme incroyable du chanteur la seule fois où il l'a vu sur scène il y a... vraiment trop longtemps, à vue de calvitie.

11 commentaires:

  1. Moonspell est un de mes groupes préférés, je suis donc ravie de le retrouver ici et vais m'empresser d'écouter ce live (l'acheter... on verra...)

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    1. Si c'est un de tes groupes préférés, ça risque de finir en achat malgré tout ;-)

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  2. Ah c'est ça Moonspell? C'est pas mal en fait, je me rappelle de les avoir vu citer de temps en temps ici mais je crois que j'avais jamais écouté.

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    1. :-D

      C'est un pur hasard, en plus, je n'écoute pas plus de metal qu'autre chose en ce moment. D'ailleurs si j'en crois ce que me dit mon PC, les trucs que j'ai le plus écoutés en novembre (avec Moonspell) sont Soft Kill, Gainsbourg, Biolay et Joy Division (bon certes, le PC ne tient pas compte des disques de la voiture, sans quoi il y aurait probablement aussi Motörhead, Aerosmith et Candlemass :-))

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    2. Mais il est où le commentaire auquel je répondais ?!!

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    3. J'en ai aucune idée je le jure.

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    4. Dommage, pour une fois qu'un de tes commentaires était drôle ;-)

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  3. J'avais pas vu passer l'info sur Paradise Lost et j'ai même cru que c'était une blague ce que tu écrivais. Remarque ils auraient peut-être dû faire ça pour le premier Host ça leur aurait évité des tracas lol

    Je serais curieuse de voir ce classique chroniqué un jour sur le Golb, si on peut passer commande j'ai vu qu'il venait d'être réédité ;-)

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    1. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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    2. Je ne savais pas qu'ils avaient réédité Host, la précédente version n'était pas si ancienne (3/4 ans je dirais...)

      Je veux bien te faire plaisir mais tu risques d'être déçue, car je n'aime pas du tout cet album et suis même franchement effaré de voir qu'il est petit à petit réhabilité depuis quelques années. Même à l'époque où j'adorais le groupe et avais envie de le défendre dans sa démarche, au fond de moi, je sentais bien sans trop oser le dire que c'était un album gentiment ringard et difficile à prendre au sérieux pour le public rock "généraliste" qu'il espérait laborieusement séduire.

      D'une manière générale, je n'ai que très peu de bien à dire sur Paradise Lost en 2022 (alors que ç'a été un de mes groupes préférés quand j'étais ado). Ni, à vrai dire, sur toute cette scène goth-metal qui a pu produire de très beaux albums sur le moment mais est vite retournée à ses colifichets et autres clichés quand il a fallu assumer les bides commerciaux qui allaient avec leurs ambitions. Seuls Anathema et Moonspell ont vraiment été au bout du truc et ont su une conserver une belle authenticité (malheureusement les derniers Anathema sont plutôt mauvais...) Je me rappelle avoir lu l'an passé une interview de Fernando Ribeiro qui résumait plutôt bien les choses, en gros il disait qu'au vu de l'état du monde, il trouverait un peu décalé de se remettre à chanter des histoires de vampires. Pour moi tout est là : Moonspell continue à parler au monde qui l'entoure ; Paradise Lost et les autres ne parlent plus qu'à leurs fans hardcore, et ils n'ont même plus grand-chose à leur raconter...

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    3. Oui bon tu peux oublier ma commande d'article effectivement :-)

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