dimanche 25 septembre 2022

Wilco - Le Stetson vous va si bien...


Si les grandes équipes ne meurent jamais, le grands groupes peuvent faire pire que mourir : se perdre sur le chemin escarpé menant à l'auditeur. Des manières de s'égarer ou de chuter dans le fossé, il en existe plus d'une en la matière et Wilco, pour avoir été un très grand groupe, les a presque toutes essayées. Depuis son triomphe de la fin 90's/début 2000, Wilco n'a jamais eu la politesse de disparaître très longtemps. On le déplore. À son public, ne rien fut épargné : changements de caps brutaux, fluctuations de line-up, albums incompréhensibles ou ennuyeux ou ratés ou les trois à la fois – parfois tellement prévisibles qu'on avait l'impression de les connaître avant de les entendre, d'autres si improbables qu'on les aurait largement préférés prévisibles. On aura eu tôt fait de blâmer la versatilité de son leader, Jeff Tweedy. Personnage surdoué mais ambivalent, dépositaire d'un son qu'il s'empressera de renier de peur de s'y voir réduit, Tweedy partage surtout avec nombre de songwriters de sa génération (Ryan Adams, Howe Gelb, E) une propension à écrire et publier beaucoup trop de chansons pour son propre bien. Aussi fréquemment admirable que pénible, le garçon aime les concepts et les exercices de styles, qu'il a une fâcheuse tendance à transformer en faux (nouveaux) départs. Le genre de type capable de démarrer la décennie 2010 de manière pétaradante (The Whole Love) et de vous faire croire qu'enfin les années d'errances sont derrière lui... pour enchaîner avec une profusion de disques à la qualité aléatoire, dont pas moins de quatre sous le nom Wilco sans qu'une seule fois le groupe n'y figurât au complet, ni n'y tînt son rang. On se souviendra longtemps de l'amertume ressentie à l'écoute de Star Wars ou Schmilco, albums mal branlés sonnant comme des side-projects promus à la dernière minute au rang de magnum opus. Il est sans doute triste d'en arriver à écrire cela d'ouvrages dans l'ensemble plutôt corrects, mais un grand chef-d’œuvre implique de grandes responsabilités. Entre 1996 et 2002, Tweedy et Wilco en publièrent pas moins de trois à la file (Being There, Summerteeth et Yankee Hotel Foxtrot1) dans des registres si variés qu'ils ne pouvaient pousser qu'à l'exigence la plus extrême. Il n'était plus question d'entendre un album de Wilco sympa, ni de savoir ce que jouait Tweedy avec son fiston pour s'occuper le dimanche. À vrai dire, on n'avait même pas envie de l'entendre s'il n'avait pas quelque chose d'un minimum grandiose à nous jouer.


Ironiquement, c'est sans doute en partie pour cette raison que l'inventeur de l'alt-country2 éprouva le besoin, ces dernières années, de s'épancher en parallèle dans des projets plus ou moins solo, terme un peu étrange le concernant (depuis le départ puis le décès de Jay Benett en 2003, Tweedy est seul maître à bord) mais prenant tout son sens à l'écoute du récent Cruel Country. Les membres de Wilco, enfin tous réunis, y font en effet quelque chose de tout à fait singulier : se retrouver au même endroit au même moment pour enregistrer de la musique. On ignore si un thérapeute avait été convié pour faciliter la conciliation ; toujours est-il que dès les premières note d'"I Am My Mother", meilleure chanson du groupe depuis une éternité, on se surprend à se dire que le supplice touche peut-être à sa fin. Finis les albums finalisés dans des réunions Zoom, torchés en dix minutes et distribués plus ou moins gratos pour faire passer la pilule aux fans. Terminés les projets tellement choucroutés qu'on en venait à se pincer pour se rappeler que ces mecs étaient issus du punk. Si Wilco a démontré au fil du temps une palette suffisamment large pour qu'on s'épargne le bassinant refrain du retour aux sources, il est évident que Cruel Country porte en lui la volonté de revenir au vrai truc. À savoir tout simplement ce bon vieux country-rock qui fit sa gloire en des temps que les moins de vingt ans ne connaîtront jamais.

Ce n'est pas qu'un feu de paille, une illusion auditive ou une fausse piste comme Tweedy a si bien su en distiller depuis dix ans. Vingt-et-un (!) titres durant, et non des moindres pour la plupart, Cruel Country respecte scrupuleusement la diète que le groupe paraît s'être imposé – des chansons courtes, un son bien plus âpre qu'à l'accoutumée, des arrangements tous d'élégante simplicité. Ses rares pas de côté en direction de la pop ou du post-rock ("The Empty Condor", "Bird without a Tail/Base of My Skull") n'en sont que plus saisissants, rappels subtils et toujours dans le ton que Wilco ne sait pas faire que cette musique-là, mais que c'est assurément dans ce registre qu'il excelle. "Hints", "All Across the World", "Heart's Hard to Find", "Mystery Binds" ou l'émouvante "Story to Tell" sont tout simplement de très bonnes chansons, bien écrites, bien produites – à la longue, on avait fini par se dire que c'était trop demander de pouvoir se mettre sous la dent quelques pépites folk a faire pâlir la jeune garde (qui, certes, n'oppose pas une résistance indomptable). On est dans ce que Wilco savait faire de mieux fut un temps, de la pop à la Macca déguisée en truc roots, parcourue de lyrics plus mutins les uns que les autres et livrée dans un emballage hésitant entre tradition et modernité. Les amateurs du Wilco le plus expérimental, qui firent autrefois de lui un genre de Radiohead folk qu'il n'avait nullement vocation à devenir (comme le démontra involontairement la suite), en seront sans doute pour leurs frais. Mais même eux ne pourront que s'incliner devant la Majesté retrouvée de certains passages.

Entendons-nous bien cependant, car il faudrait voir à ne pas se montrer aussi cruel que cette satanée country : Wilco n'a jamais été un groupe totalement à la ramasse ; simplement un collectif toujours capable de fulgurances mais en quête d'une direction artistique forte pour enfin espérer se hisser à la hauteur de ses classiques. Cruel Summer n'est pas moitié aussi bon que Summerteeth et n'a quasiment rien de Yankee Hotel Foxtrot, si ce n'est la classe et le raffinement qu'on attend d'un vrai, grand groupe. Il y a même une certaine ironie à se dire que ce nouvel album est sans doute plus proche des albums solo de Tweedy que de n'importe quoi publié par Wilco depuis vingt ans – autant dire qu'on se gardera des conclusions définitives. Ce ne serait pas la première fois qu'on surprendrait le groupe en flagrant délit de sursaut créatif pour mieux le voir se vautrer deux ans plus tard avec une compile de fonds de tiroirs maquillée en concept-album flamboyant. Mais c'est en revanche la première fois depuis longtemps qu'on retrouve cette écriture au cordeau, aussi pleine de tristesse que d'ironie, qui fit autrefois d'"A Shot in the Arm" ou de "Jesus, etc." des classiques intemporels. Et cela fait ma foi un sacré bien, parce que comme le bougonne très bien Tweedy lui-même sur un des meilleurs titres de l'album, nous aussi, on commençait à être fatigué de s'en prendre à lui.

 
Cruel Country
Wilco | dBpm Records, mai 2022 


1. Trois disques tellement FABULEUX que seize années de Mes disques à moi (et rien qu'à moi) ne m'ont pas permis de les départager.
2. Il conviendra de rappeler à ce propos que contrairement à une idée reçue largement répandue... y compris parfois en ces pages, par un raccourci grossier... que ce n'est pas au sein de Wilco que Tweedy initia ce courant qui fit florès dans les 90 et 2000, mais avec Uncle Tupelo. Wilco ne s'inscrivit dans cette filiation que le temps de ses deux premiers albums (et encore, en lissant beaucoup la formule). 

7 commentaires:

  1. Je préfère Tweedy lorsqu'il se prend pour McCartney ou Robert Wyatt que Neil Young. Mais je le préfère largement quand il se prend pour Neil Young que quand il se prend pour tout un tas de groupes low-fi insignifiants . Je me sens donc un peu visée par cet article, mais pas trop :)

    Je n'avais pas écouté l'album encore (je vais), c'est vrai que le morceau en écoute est excellent. Je pense que tu résumes bien le groupe dans ton intro. L'expression "publier trop de chansons pour son propre bien" lui va comme un gant.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. A lui comme d'autres... je suis resté à peu près dans le même registre musical mais on aurait pu ajouter des mecs comme Rivers Cuomo à la réflexion. Je crois que c'est un des revers d'Internet. C'est même triste, en un sens, car on n'aura probablement pas la chance de découvrir des pelletées d'inédits des musiciens de cette génération après leur mort, vu qu'ils auront quasiment tout sorti de leur vivant...

      Supprimer
  2. Nette préférence aussi chez moi pour un Wilco plus prog ou psyché, mais Cruel Country est très classe. Un peu trop long mais très classe, un vrai bon retour. Un peu comme un article du Golb en 2022 :))

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. :-)

      L'attaque est d'autant plus basse que c'est probablement l'article le plus court que j'aie écrit en 2022.

      Supprimer
  3. Euh. Jeff Tweedy initiateur de l'alt-country. Soit. Mais les Jayhawks c'est du poulet? Leur premier album est sorti 4 ans avec le premier Uncle Tupelo...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'adore les Jayhawks, mais outre que le premier album est tout de même très loin d'avoir défini leur propre son, ils n'ont été affilié à l'alt-country que de manière rétrospective, et pas forcément à juste titre. Il n'y a jamais eu de souche punk dans la musique des Jayhawks (et finalement assez peu de country), ils étaient dès le départ un groupe de folk-rock assez classique qui s'est retrouvé assimilé à cette vague car cette musique était quasiment devenue underground à l'époque. Je maintiens donc que l'initiateur de l'alt-country est bien Uncle Tupelo. C'est même à eux qu'on doit le terme (le courant s'est même appelé brièvement... la No Depression, en référence directe au titre de leur premier disque... je ne sais pas ce qu'il te faut de plus...)

      Supprimer
    2. (j'ajoute que, par premier album des Jayhawks, tu sembles visiblement faire allusion au disque longtemps connu sous le titre de Bunkhouse Tapes en 1986... sauf que c'était une autoprod tirée à 1000 copies que la plupart des gens ont découvert quand elle a été rééditée au début des années 2000... elle n'a donc pas pu être initiatrice de quoi que ce soit...)

      Supprimer

Si vous n'avez pas de compte blogger, choisir l'option NOM/URL et remplir les champs adéquats (ce n'est pas très clair, il faut le reconnaître).