jeudi 26 juillet 2018

UnReal - Encore plus trop loin, mais toujours nulle part.

La télé aime la télé. De même que le showbiz aime le showbiz. Bien avant que les séries ne deviennent "in", on savait déjà grâce à la littérature et au cinéma qu'aucun livre, aucun film n'était potentiellement plus surcoté que s'agissant d'évoquer, de préférence sur un ton critique, les coulisses du milieu. C'est un marronnier comme un autre et c'est ici qu'il faut commencer si l'on veut comprendre (on a le droit de ne pas du tout vouloir) le pourquoi du comment UnReal est passée en à peine trois ans de Must Watch à truc un peu dégueu et gênant dont Lifetime (LIFETIME, PUTAIN !) s'est discrètement débarrassé en refilant le bébé à Hulu pour une dernière saison balancée d'un bloc en plein milieu de l'été (et seulement trois mois après la précédente). Si le Critique était capable d'auto-critique, ce qui est moins que jamais le cas dans une époque de zapping permanent où un article chasse l'autre à vitesse grand "V" et ou plus personne ne se rappelle qui écrivait quoi il y a trois semaines, tous les articles sur cette ultime saison devraient débuter par la phrase "Oui, c'est vrai, nous avons totalement surévalué UnReal à ses débuts". Cela n'arrivera évidemment jamais (à part ici, donc). Mais ce serait un bon début. La première saison d'UnReal était très bonne, personne ne discute réellement ce point. Elle avait pour elle un ton, une originalité et un propos solide en faisant l'un des shows incontournables de cet été 2015 où elle vit le jour. Elle n'était cependant pas exempte de gros défauts poliment glissés sous le tapis, notamment à partir de l'intrigue dite "du suicide", annonciatrice de tous les excès dans lesquels allaient par la suite se vautrer ses scénaristes.

A vrai dire, il n'est même pas interdit de considérer que cette intrigue, précise, est ce qui plomba considérablement la suite. La production d'Everlasting allait d'entrée tellement loin (provoquer la mort d'une candidate, rien que ça) qu'on voyait difficilement comment les saisons suivantes pouvaient placer la barre plus haut dans le moche et dans le crade. "UnReal aurait dû s'arrêter là" – prononcée pour la première fois, cette phrase allait devenir récurrence. La réponse était simple, pourtant :  la production d'Everlasting irait plus loin en s'appliquant à elle-même ce qu'elle faisait déjà subir aux participants de son émission. C'est ce que racontent les trois saisons suivantes, avec une régularité dans la mesquinerie forçant pour le moins l'admiration. Puisque la télévision salit tout, allons-y franco ! Brutalisons, tuons, violons dans la plus parfaite impunité. Nos personnages sont des salauds, après tout. Puisqu'ils font un métier de salauds. Puisque la télé salit tout.


La boucle infernale était lancée. Mais les personnages d'UnReal étaient-ils vraiment des salauds, à la base ? Ce n'était pas une des deux héroïnes qui avait poussé la candidate au suicide dans la première saison, pas plus que ce n'était Chet, encore moins Jay. Chacun(e) à son niveau s'était contenté(e) d'en tirer profit. Les personnages étaient particulièrement déplaisants les uns vis-à-vis des autres, Quinn King donnait un visage nouveau au concept de harcèlement moral, mais il y avait une petite marge, un petit caillot d'ambiguïtés permettant de suivre leurs mésaventures sans avoir la gerbe. On sait ce qu'il advient lorsqu'un caillot pète quelque part... la saison 2 sera absolument irrespirable pour le spectateur, malgré des fulgurances, des passages rappelant qu'UnReal avait peut-être encore des choses à dire, à montrer. A la fin, le quatuor de personnages principaux se rendait complice et/ou auteur de double-meurtre, concluant sur une pirouette dont on ne sait toujours pas si elle était tragique ou juste risible : finalement, ça peut quand même servir d'avoir des mâles crétins, harceleurs et violeurs dans son répertoire. Ils savent se rendre utiles. "UnReal aurait dû s'arrêter là", mais bien sûr ce ne fut pas le cas, encore. Non plus.

L'argument de la production (la vraie, celle de la série, moins Marti Noxon – dont le départ à la fin de la saison 1 n'a sans doute rien d'une coïncidence malheureuse) est d'une telle bêtise qu'il mérite à peine d'être repris : puisque les émissions de télé-réalité comme Everlasting vont par définition toujours plus loin, il était tout à fait NORMAL qu'UnReal aille, par définition aussi, encore plus trop loin. C'est une allégorie, voyons. Une métaphore ! Une métonymie ! Pas du tout une série partie totalement en vrille, qu'allez-vous chercher là ? On aurait presque pu mordre à l'hameçon, ne fût-ce cette évidence, après trois minutes de saison 3, qu'UnReal n'allait pas toujours plus loin. Elle allait surtout toujours au même endroit, de la même manière, tétanisée à l'idée de changer quoi que ce soit à sa formule. Exactement comme une série partie totalement en vrille tentant laborieusement de retomber sur ses pieds. En vain, inutile de le préciser : UnReal ne jouait déjà plus depuis longtemps sur ses forces (son formidable duo de comédiennes, au hasard, ou tout simplement sa dimension politique), mais sur ses innombrables faiblesses : ses twists aumaxdutrop, ses histoires de cul à n'en plus finir, ses revirements violents et absurdes. Voir Madison vendre son cul à une productrice dans le dernier épisode aurait théoriquement dû, en pleine vague post-Weinstein, faire monter tout ce que la planète compte de progressistes au créneau. Il n'en fut rien : cela entérinait simplement le fait qu'UnReal était devenu un soap comme les autres, et plutôt moins bien que les autres, faute de s'assumer réellement.


Au moment de lancer la saison 4, on ne sait même plus pourquoi on regarde. On n'attend plus d'amélioration. On déteste quasiment tous les personnages (ceux-là-même qu'on trouvait si finement écrits il y a mille trois ans). On n'arrive même plus à être dans le hate watching, car celui-ci induit une forme sinon de plaisir, du moins de résistance face aux conneries qu'on essaie de nous faire gober. Face à UnReal au contraire, on se sent à la fois prisonnier et complice. C'est peut-être la télé qui salit tout mais c'est UnReal qui fait se sentir sale, avec son propos féministe constamment mis à mal par le scénario/les images/les dialogues, ses personnages égocentriques et ineptes concentrant la quasi totalité des défauts humains recensés depuis la préhistoire, ses postures de série engagée et amorale alors qu'elle n'est plus qu'un soap réactionnaire et racoleur. Dire que ce chapitre final dans lequel Rachel joue les candidates n'apporte rien relève quasiment de la lapalissade. Ajouter que c'est une merde sans nom paraît presque poli face à une telle surenchère dans le n'importe quoi, face à une auto-complaisance aussi grossière, face à une capacité aussi fascinante à insulter l'intelligence du spectateur quasiment à chaque scène. Balancer les huit épisodes d'un coup a dû sembler une bonne idée aux pontes de chez Hulu ; cela ne fait que créer une sensation de trop-plein et mettre encore plus en exergue l'inconsistance d'une série qui n'est plus qu'un empilage hystérique de rebondissements débiles et de dialogues sentencieux. UnReal était encore à peu près supportable et divertissante lorsqu'elle passait une fois par semaine (même si la troisième saison était relativement chiante), mais livrée comme ça, d'un bloc, elle fatigue et laisse un vague sentiment de nausée. PUTAIN MAIS POURQUOI JE REGARDE ÇA ! s'exclame-t-on, incertain(e) de la réponse, et à peu près convaincu(e) de ne pas vouloir la connaître. Vu le cynisme dont firent preuve les showrunneuses depuis deux ans, elles seront vraisemblablement fichues de dire que c'était exactement la réaction escomptée. C'est une allégorie, on vous dit.


👎👎 UnReal (saison 4)
créée par Marti Noxon et Sarah Gertrude Shapiro
Hulu, 2018

14 commentaires:

  1. J'ai complètement abandonné cette série, mais c'est vrai que la saison 1 était vachement bien et avait quelque chose de nouveau. Comme beaucoup de séries celle-ci n'a pas su transformer l'essai et aurait peut-être dû en rester.

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    1. Oui, on peut dire les choses ainsi. Mais d'un autre côté, ce n'était pas non plus évident qu'elle s'essoufflerait aussi rapidement. Je continue de penser qu'il y avait mieux à faire, mais il aurait des changements beaucoup plus drastiques, notamment dans la distribution, beaucoup de personnages n'avaient plus rien à dire depuis longtemps (ce qui est assez fou à écrire au sujet d'une série n'ayant eu que trois saisons...)

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  2. Difficile de mieux résumer mon sentiment.

    Cette série fait se sentir sale, c'est tout à fait ça.

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  3. Je reste plutôt un défenseur d'UnReal, malgré des défauts de plus en plus énormes. Pour le malaise qu'elle instille, plus que devant de la "vraie" télé-réalité, étonnamment.

    Cette dernière saison faisait un peu forcée, cela dit.

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    1. Le problème, c'est qu'au bout d'un moment, il n'y avait plus que le malaise (comme le résume très bien BLOOM ci-dessous).

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  4. Unreal me fait penser à tous ces films d'horreur basés sur le sadisme non-assumé du spectateur (Saw,...)
    Lorsque le principal intérêt de l'épisode est de savoir comment l'héroïne va réussir à manipuler X, et/ou Y, pour parvenir à ses fins, c'est qu'il y a un problème. Lorsque les meilleurs dialogues sont, systématiquement, des insultes et des humiliations, c'est qu'il y a un problème.
    Depuis trois saisons, Unreal ne racontait plus que cela. Et des histoires de fesses (en n'en montrant que trop rarement)
    ;)

    Bref, Unreal, à l'évidence, est devenue ce qu'elle prétendait dénoncer.

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    1. Et dire que j'avais fait un effort pour ne pas l'écrire mot pour mot ;-)

      (entièrement d'accord avec ton analyse et ta comparaison, sinon)

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  5. Je pense que le problème c'est pas vraiment d'avoir surcoté la série (et puis c'est pas surcoté de dire d'une très bonne saison que c'est une très bonne saison) mais de l'avoir investie de plein de thèmes et d'un discours qui n'était peut-être pas vraiment celui de ses scénaristes (ou indirectement). Moi je l'ai toujours vu comme un divertissement plus malin que la moyenne mais un divertissement, quand même et avant tout. Et du coup j'ai pas détesté les dernières saisons, j'ai trouvé ça efficace et je dirais même que cette S4 était la meilleure depuis la 1.

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    1. "investie de plein de thèmes et d'un discours qui n'était peut-être pas vraiment celui de ses scénaristes"

      Tu plaisantes, cher ami. ;)
      La dimension de satire sociale a toujours été revendiquée par la série. Ces "discours" étaient dans la bouche des personnages, notamment de Rachel.

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    2. Je pense qu'il faut lire tout ça au second degré. La série est plus cynique que ça (à mon avis)

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    3. Et moi je pense qu'il faut vraiment arrêter le rosé, en plus par ces temps de canicule l'alcool c'est très mauvais ;-)

      Bref, je me range entièrement à l'avis de BLOOM. Ces "discours" étaient dans la bouches de personnages, qui étaient bien les porte-paroles des scénaristes dans ces scènes. Au pire, on peut toujours relire les interviews de Shapiro... jamais UnReal ne s'est présentée comme un simple divertissement, bien au contraire.

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  6. C'est vrai que cette série a été un peu "surcotée" (je déteste cette expression). Ceci dit, je trouve que tu as toujours été assez nuancé à son sujet, dans le positif comme dans le négatif. Donc tu n'as pas besoin de battre ta coulpe comme ça ;)

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    1. C'est parce que la saison 1 a été diffusée durant la période où j'écrivais très peu sur Le Golb, je n'en ai donc pas parlé :-)

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  7. Je partage l'ensemble de ton avis, ainsi que ta réponse à MisterT, là au dessus : il aurait fallu changer en profondeur chaque année.

    Unreal aurait dû être une sorte d'anthologie avec seulement 2 personnages récurrents (après renouvellement post-saison 1, c'est ce que je pensais qu'on verrait); ça n'aurait sûrement pas réglé tous les problèmes, mais ça nous aurait évité ce gros sentiment de lassitude.

    A défaut, changer d'émission (de décor) à partir de la saison 3... ça ne coûtait pas grand-chose et pouvait rapporter gros. Bah non.

    (Cette saison 4, c'était vraiment du total n'importe quoi)

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