jeudi 1 mars 2018

The Lego Batman Movie est tout simplement le meilleur film Batman jamais tourné.

Avouons-le d'entrée : il y a – évidemment – un peu (beaucoup) de provoc' dans le titre de cet article, de la part de quelqu'un qui fut plus souvent critique que louangeur avec la trilogie de Christopher Nolan (j'en profite d'ailleurs pour dire que ce sont tout de même de bons films... même si le premier est bourré de longueurs et le second totalement surestimé... merde, vous voyez comme j'ai du mal ?). La question méritait pourtant d'être soulevée, ne serait-ce qu'une fois. Car si Batman est largement en tête du classement des superhéros les plus adaptés sur petit et grand écran (huit – bientôt neuf – films, quatre séries live action, sept séries animées, dix-huit téléfilms d'animation... qui dit mieux ?), combien de ces œuvres peuvent se targuer d'avoir réellement apporté quelque chose à l'une des mythologies les plus copieuses et passionnantes de l'histoire de la bande-dessinée ? Batman, the Animated Series et sa jumelle The Adventures of Batman & Robin ? Assurément1. L'adaptation sixties ? un peu, dans la mesure où son succès a énormément influencé les comics de l'époque, et où elle sortit du formol des méchants alors considérés comme de seconde zone (le plus notable étant rien moins que le Riddler, magistralement incarné par Franck Gorshin)2. Les autres ? Le Batman de Burton s'est principalement distingué par le fait de tuer ses adversaires, celui de Schumacher par... rien, je blague, quant à la trilogie de Nolan, elle s'est contentée d'être une transposition crédible de généralités à propos du Chevalier Noir, un menu maxi best-of de presque huit heures ayant à peine réussi la moitié de ce qu'il entreprenait3. La liste du pourquoi du comment de ces échecs relatif mériterait sans doute un article entier. En attendant que Le Golb décide de s'y coller, il n'est peut-être pas si provocateur, au milieu de tout cela, de se dire qu'il restait un peu de place pour The Lego Batman Movie.

Pourtant, au moment de lancer le DVD, ce n'est pas forcément l'enthousiasme qui prédomine. L'a priori positif provient bien plus de la qualité, un brin inégale mais incontestable, du précédent film Lego et des nombreuses séries télé, que de la présence d'un Batman qu'on imagine parodié à l'envi... donc réduit à sa caricature. On ne pourrait plus se tromper : The Lego Batman Movie a beau être une comédie, il n'a rien d'une parodie. C'est la première surprise, et elle est de taille. Ce n'est pas fini : sous ses airs survitaminés et en dépit de certains partis-pris un peu lourdingues4, The Lego Batman Movie est un vrai film Batman, qui déborde de clins d’œil non seulement aux autres films, mais aussi (et c'est très rare... y compris dans les autres films) aux comics. L'intrigue autour de Barbara Gordon souhaitant que Batman travaille pour la police rappelle par exemple immanquablement tant les débuts du héros (où c'est quasiment le cas) que les runs plus récents, l'idée de remplacer Batman/ne pas le laisser faire tout le boulot/préparer sa succession étant devenue prépondérante dans les comics depuis la fin des années quatre-vingt-dix. Il en va de même pour l'utilisation drôlatique du Joker en amant éconduit, dépité de ne pas être l'ennemi préféré du vigilante – un thème récurrent de Killing Joke (1988) à The Death of the Family (2012) en passant par Mad Love (1994), jamais traité à ce jour au cinéma. Et pour cause puisqu'à chaque fois, les métrages (ré)orchestraient la « rencontre » avec le Joker (et les autres).


On touche là à une particularité de The Lego Batman Movie, et non des moindres : Batman y préexiste au scénario. Il est déjà en activité au début du film, « depuis environ quatre-vingt-dix ans », ce qui n'est habituellement jamais le cas (oublions Schumacher pour constater que tant chez Burton que Nolan, on assiste toujours à la naissance et/ou à l'apprentissage du héros, comme si cet aspect était plus important que ses activités ou ce qu'il représente5). Non seulement The Lego Batman Movie s'autorise ainsi à le placer dans des situations relativement inhabituelles au cinéma, mais encore en fait-il le nœud de son intrigue : The Lego Batman Movie est un film sur la solitude du héros... solitaire. Sur la dépression, même, et encore sur la difficulté à aimer, sur l'orphelinage (Robin y est totalement délirant mais aussi extrêmement touchant) et sur l'absurdité d'un combat sans fin contre le crime. On retrouve ici un thème cher aux auteurs des runs les plus sombres et torturés de la série, Steve Englehart et Grant Morrison en tête : au fil des enquêtes, des aventures, des duels... les victoires perdent petit à petit leur sens. Le crime n'est jamais éradiqué. Batman ne se repose jamais. Et Bruce Wayne finit par devenir une coquille vide. La scène où Barbara Gordon explique que Batman n'est pas si efficace que ça puisque tous les pires criminels de Gotham sont en liberté n'est pas que drôle : c'est une réalité à laquelle le héros se heurte constamment. Et si l'idée d'un Batman perdant toute raison d'être une fois le crime annihilé n'est pas nouvelle en soi, elle est remarquablement utilisée ici pour donner une véritable épaisseur psychologique à... une figurine légo. Wow.

Bien entendu, The Lego Batman Movie est avant tout une comédie familiale, plutôt très réussie dans son genre en dépit de certains gags un peu plus poussifs que d'autres. Tout cela se joue dans les interstices, les vannes à double-sens et le non-dit. En fait, il y a même quelque chose de frustrant dans ce film, dans ce qu'il dit de l'état d'une Major aussi historique que la Warner, incapable de – ou trop lâche pour – proposer quelque chose d'un tant soit peu audacieux avec sa licence la plus populaire. Il y a de quoi être perplexe de constater qu'elle abandonne à un simple film pour enfants la responsabilité d'approfondir une figure aussi mythique. On a le droit de s'en affliger, tout de même. Mais pas trop longtemps, parce que c'est un très bon film.


👍👍 The Lego Batman Movie
Chris McKay, d'après les personnages de Bob Kane & Bill Finger | Warner Bros., 2017


1. Une poignée de personnages telles Harley Quinn et l'officier Montoya ; des origin stories devenues canoniques pour Mister Freeze ou Clayface.
2. Rappelons aussi que Batgirl dans son incarnation moderne a été créée sous l'impulsion du showrunner William Dozier, même si elle apparaît en premier dans les comics. Réussir à faire huit heures sur Batman sans jamais introduire Dick Grayson, on est à la limite du harcèlement moral au travail de superhéros.
3. Alors ok, d'accord, le Joker ah là là Heath Ledger oh là là Why so serious? D'accord, d'accord. Mais en attendant, Ra's a été foiré, Bane a été foiré, Catwoman a été foirée, Scarecrow a été à peine esquissé... et on ne parlera pas des habituels alliés de Batman, pour la plupart aux abonnés absents.
4. Ce Batman version Lego est un type à... l'égo surdimensionné, avide de popularité et terriblement macho. Pourquoi pas, hein. Mais pourquoi ?
5. Ce ne sera a priori pas le cas dans le prochain film, justement, et c'est d'ailleurs à peu près la chose intrigante au sujet de cette usine à gaz.

19 commentaires:

  1. Oh, t'es dur avec Nolan, elle est sympa cette trilogie (même si un peu pompeuse).

    Mais le Lego est vraiment chouette, c'est vrai.

    Moi je suis quand même un peu curieuse du prochain Batman car j'ai lu qu'il serait très orienté polar (ce qui devrait être le cas de tous). On pourrait avoir un peu de changement, pour une fois...

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    2. Dur ? Ma réponse est à peine proportionnée par rapport au bruit qui a entouré chacun de ces films ultra-surestimés ^^

      J'ai lu en effet que The Batman serait plus orienté pulp que les précédents. Et le fait que la réalisation soit finalement dévolue à Matt Reeves (qui a fait ses preuves en matière de blockbusters de qualité) est plutôt rassurant. Mais ça reste l'univers DC au cinéma + Ben Affleck + un scénario de Geoff Johns (qui a signé quelques très bons comics mais s'est toujours foiré dès qu'il s'est approché de Batman) + une adaptation live de Batman (ce qui est presque problématique en soi vu le passif de la franchise). Bref sans être forcément pessimiste, je ne me sens pas très optimiste non plus.

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  2. Genre tu vas me faire regarder un film Lego ;)

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    1. Je suis sûr que je t'ai déjà fait regarder/écouter/lire des trucs bien pires que ça ;-)

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  3. Oh, t'es pas assez dur avec Nolan, elle est hyper-chiante sa trilogie... :-)

    En fait tu es en train de dire que le seul film Batman que je n'ai pas vu (fiston voulait pas alors que The Lego Movie c'était top) est le seul que j'aurais du voir !

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    1. Oui elle est chiante, cette trilogie. Son re-visionnage a été une souffrance, d'ailleurs je l'ai étalé sur... plus d'un an ! Mais le fait que tous ces films soient dix fois trop longs est presque secondaire vu le nombre de problèmes qu'ils posent, que ce soit en terme d'adaptation pure ou simplement en terme de cinématographie.

      Le seul que tu aurais dû voir, je ne sais pas. Je ne considère pas les films de Burton comme des mauvais films (j'avoue que ça fait très longtemps que je ne les ai pas vus), mais ce ne sont pas vraiment de bons Batman (ce qui n'a rien de surprenant sachant que Burton n'entravait pas grand-chose au personnage, ni aux comics en général...) Même les films de Schumacher, en fait, j'ai fini par apprécier leur côté joyeusement débile, en creux par rapport à la prétention et à l'absence totale d'humour des films de Nolan ^^

      The Lego Batman Movie c'est en tout cas très efficace, surtout dans sa première moitié (comme à peu près tous les longs-métrages animés contemporains, en fait ^^)

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  4. Ce n'est pas du tout mon genre de film, mais j'ai trouvé, je suis d'accord, que c'était sûrement plus respectueux du "personnage Batman" que beaucoup d'adaptations.
    Mais bon, ce n'est pas du tout mon genre de film...

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  5. Batman y préexiste au scénario -> C'est vrai et l'un des points forts de ce film (moyen pour ma part). Pourquoi toujours revenir aux origines du héros ou à la rencontre avec ses némésis? C'est d'autant plus débile que s'il y a un super-héros dont tout le monde connaît les origines et les ennemis, c'est bien Batman! Les scénaristes semblent toujours bloqués sur son "trauma" et le traitent toujours de la même manière (-> comment il génère le héros plutôt que l'impact sur sa vie d'homme (Batman dans la plupart des comics n'est pas un jeune homme...)

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    1. Tu touches à un des grands mystères de la franchise au cinéma (un autre est "pourquoi un film Batman doit-il obligatoirement être un film d'action alors que le mec est un DÉTECTIVE ?")

      La question de l'âge de Batman est quasiment taboue ; Batman n'a pas d'âge, j'aurais du mal à te citer ne serait-ce qu'une série ou un graphic où celui-ci est évoqué (au mieux, on a parfois une fourchette qui généralement se situe entre 30 et 40 ans, mais elle est peu crédible considérant que Dick Grayson a généralement entre 13 et 25 ans, et que l'âge d'Alfred et quant à lui constant autour de 55-65 ans). En revanche, tu as raison, même dans ses incarnations jeunes, Batman n'est pas jeune. Il dégage une grande maturité et même si l'enfant brisé subsiste en lui, on ne peut pas l'y résumer.

      Une autre chose qui me semble manquer cruellement dans la plupart des films (y compris The Lego, mais là ça va avec le côté comique de celui-ci), c'est l'intelligence de Batman. Batman n'est pas qu'un mec malin ; c'est un esprit supérieur, tellement que bien que n'ayant aucun pouvoir, il impose naturellement sa présence dans la Ligue de Justice sans que quiconque la conteste, et surtout pas l'être le plus puissant de l'univers. Batman perd parfois, mais il ne se trompe jamais et a toujours un coup d'avance, ce qu'on ne voit absolument jamais au cinéma où il se laisse constamment porter par les évènements (et se fait fréquemment dérouiller par le premier tocard venu). Et je peux te parier que ce sera pareil dans le prochain film...

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  6. C'est marrant, c'est un film dont j'ai beaucoup apprécié le début, mais qui laissé sur le bas côté à mi-chemin.. (Alors que j'ai vraiment adoré The Lego movie, comme à peu près tout ce qu'ont pu faire Lord & Miller en fait).

    Je n'y ai pas vu la profondeur que tu y vois, il faudrait peut être que je me le rematte sans tomber de sommeil du coup...

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    1. Ah bon ? Le côté "psychologique" n'est pourtant pas quelque chose de caché...

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  7. Par contre, clairement, casting (V.O., bien sur) aux petits oignons, avec ce clin d'oeil que je trouve génial, Billy Dee Williams qui ENFIN joue Double-Face.

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    1. Là c'est moi qui vais dire "c'est marrant" mais ce genre de détail, en revanche, c'est vraiment littéralement in-signifiant à mes yeux. A tel point qu'ayant vu le film il y a déjà plusieurs mois je ne suis même pas capable de me rappeler si je l'ai vu en VO ou en VF ^^

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    2. Tu as du le voir en V.O.
      Tu te rappellerais d'Antoine Griezmann en Flash, autrement, je pense ;-)
      (Ou alors il fait Green Lantern et c'est Pogba Flash, je sais plus)

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    3. Nan, Grizzy fait Superman. Et c'est Matuidi (et non Pogba) qui fait Flash (le mec qui a fait le casting a confondu endurance surnaturelle et super-vitesse, sans doute...)

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  8. Je ne connais pas assez les adaptations de Batman pour déclarer quelque chose d'aussi définitif que toi, mais le film est très sympa, c'est clair.

    Et la trilogie de Nolan, totalement nulle.

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    1. Ne tombons pas non plus dans l'excès inverse ;-)

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