jeudi 24 novembre 2016

Having a Rave up with Jacques Duvall

[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - N°115]
Hantises – Phantom featuring Jacques Duvall (2006)

J’ai souvent assez mal écrit sur les disques Freaskville. Dans la douleur, en n’étant jamais trop sûr de ce que je voulais en dire, ou alors en passant par la bande et en écrivant deux pages ne parlant quasiment pas de l’album en question. Je ne sais pas pourquoi : j’aime très fort ce label. J’aime très fort nombre de ses publications. J’en aime très fort un si grand nombre qu’il y a quelques mois, lorsque j’ai commencé à composer le 10 Years After des 10 Years After, en virer certaines de la liste fut un véritable crève-cœur (j’en gardai tout de même trois au final, ce qui doit malgré tout en faire l’un des indés les plus représentés dans cette sélection). Et pourtant j’ai du mal à écrire sur tout ce monde. C’est bizarre. Peut-être cela vient-il juste de ce que je les aime très fort, un peu comme des peluches. Qui traînent sur le lit et que l’on voit souvent sans voir, jusqu’au moment où notre main s’égare dessus un peu machinalement et où l’on s’aperçoit que ce contact est assez agréable, si ce n’est un peu rassurant. Les disques Freaksville, et tout particulièrement ceux de Duvall, ce sont mes peluches favorites : quel que soit l’appartement dans lequel j’ai vécu ces dernières années, leur étagère a toujours été géographiquement la plus proche de mon bureau – donc de ma personne, puisque je passe ma vie assis devant mon bureau. Comme des peluches, les disques Freaksville sont toujours là, tout près, même si je les écoute peu sorti des parutions récentes – je connais les plus anciens par cœur. Ce ne sont pas des albums qui me bouleversent, ce qui fait que j’ai énormément de mal à étaler mes tripes sur l’écran lorsque j’essaie de les évoquer. Ce sont des disques qui, confusément, me rassurent. Me stimulent. Me font frissonner, oui, mais de sérénité et de plaisir. « Les disques Freaksville rendent heureux », dit le slogan ? C'est dingue à dire, mais c'est vrai.


Hantises est un album à mille ou deux mille écoutes. Ou un million si ça se trouve – au bout d’un moment, cela devient assez abstrait. Il n’est peut-être pas le meilleur à être paru chez Freaksville durant cette décennie (les Belges favoris du Golb fêtent leur dix ans la même année que lui – tout un symbole, même si je n’ai aucune idée de quoi), il n’est d’ailleurs peut-être même pas le meilleur de Duvall et ce qui est certain, c’est qu’il n’est pas le meilleur Phantom (le premier avec Marie France me paraît indépassable). Mais il a un truc en plus qui fait que l’on y revient constamment, sans jamais se lasser, surtout lorsque l’on est sensible à l’univers de Duvall. Un artiste que je ne connaissais pas vraiment à l’époque, tout en en étant paradoxalement assez familier puisque l’un des péchés mignons de ma jeunesse plus torturée que folle était l’album Douce Violence, d’Elsa (ne riez pas), dont il écrivit une bonne moitié des textes. L’album du déclin de la teen star, soit dit en passant – Duvall ne chantait pas pour rien « Je casse tout ce que je touche ». Quelque chose m’a longtemps fasciné dans ce disque, malgré ses arrangements un peu dégueulasses par endroits (les années quatre-vingt-dix ont débuté vraiment très tard, en France). Une malice. Un côté gentiment pervers. Une maturité, également, plutôt curieuse venant d’une gamine qui ne devait guère avoir que dix-huit ou dix-neuf ans à l’époque. Douce Violence fut ma première rencontre avec Duvall, mais il me fallut bien vingt ans pour m’en apercevoir. Sans exagération aucune, j'en ai été bouleversé. Duvall avait écrit l’essentiel du seul album de variété française que j’aie jamais aimé quand j’étais gosse. Un disque que je connaissais – et connaît toujours – par cœur. Un disque qu’une fois plus âgé, j’ai souvent cité comme un modèle d’écriture francophone (à l’époque, j’ai un peu honte, j’étais convaincu que c’était Dabadie qui en était l’unique auteur). Ce n’était pas uniquement une coïncidence extraordinaire, c’était une Révélation : Duvall avait toujours été là, près de moi, sans que je le sache. Il avait façonné… peut-être pas mon imaginaire, ne poussons pas, mais à tout le moins une bonne part de l’idée que je me faisais de ce qu’était une bonne chanson pop écrite dans ma langue (ainsi que, bien involontairement, mes premiers émois sexuels… mais pas de chance, il est temps de clore cette longue digression).


Si Hantises est un album auquel on ne cesse de revenir, même dix ans après sa parution, c’est parce qu’il a possède un feeling indicible que l’on ne retrouve plus vraiment sur les albums suivants de Duvall – même les meilleurs. Normal : il est un premier album qui n’est en est pas un, et qui de surcroît n’a pas été conçu comme tel. Il a la fraîcheur et la simplicité de ces œuvres qui n’ont pas spécialement prévu d’en être, interprétées par des gens dont ce n’est pas vraiment le métier. Tout a été dit de sa genèse éclair et presque accidentelle (Duvall en personne nous l’avait racontée ce jour-là), mais on n’a peut-être pas assez souligné à quelle point tant ses conditions d’enregistrement spartiates que son côté « première fois » transpirent à l’écoute. Hantises est formidable parce qu’il est un album qui ne voulait pas se faire, qui en un sens n’aurait jamais dû exister. Quand les suivants sont tous le nouvel album de Duvall, celui-ci est surtout le disque d’un mec presque ordinaire et à peu près inconnu, vaguement blasé, qui n’a pas spécialement envie d’enregistrer un LP – encore moins de faire de la scène. Et qui, n’ayant rien à perdre, se ramène dans ce qu’on imagine être un mélange de curiosité et de traînage de pieds… pour finalement y prendre goût là, tout de suite, maintenant. Tandis que vous êtes en train de l’écouter. C’est frappant lorsque l’on prête attention aux interprétations goguenardes de « J’ai fait sauter le monde » ou de la formidable « John-Cloude » : Duvall cabotine comme jamais, bouffe tout l’espace auditif, quand ses ouvrages suivants, pour être sans doute plus personnels, sont aussi plus posés et réservés. Plus pensés, tout simplement, loin de l'émouvant je-m’en-foutisme d'« Il doit y avoir un truc », chef-d’œuvre de blues dégingandé mention Je m'en branle de tout et surtout de ce que je suis en train de chanter. Hantises a quelque chose de viscéral que capte parfaitement un Phantom lui-même encore à l’état embryonnaire. Un vrai, grand disque de rock’n’roll, rêche, débridé, parfois infernal (« Il doit y avoir un truc » encore, « Bloody Mary »). On a d’ailleurs bien du mal à imaginer ses textes dans un habillage différent, bien qu’ils n’aient pas été spécifiquement écrits pour l’occasion (mais à qui donc Duvall espérait-il faire chanter « Je resterai toujours ce gamin de Belgique / Honnête et droit comme Tintin / Mais en plus énergique » ? C’est tout de même très mystérieux, quand on y réfléchit deux minutes…)

J’ai souvent du mal à écrire sur les disques Freaksville – j’aurais pu écrire toujours, maintenant que je parcours cet article-ci. Il est possible que ce soit parce que je ne m'y projette que très peu, ce qui est plutôt à leur honneur. Le jour où j'y parviendrai sans réfléchir, cela signifiera sans doute que tout ce qui est cool chez Freaksville se sera envolé. Que ce sera devenu un peu plus comme moi, donc plutôt sérieux, un peu chiant, vaguement pédant et à moitié psychorigide. Personne n'aurait l'idée de souhaiter un truc comme ça à ses peluches préférées.

Une bonne part de la Freaksville Family exportera l'anniversaire du label demain soir au Divan du Monde ; Phantom et Duvall y interprèteront notamment cet album DANS SON INTÉGRALITÉ (expression à la ronflance hilarante lorsque l'on sait qu'il ne dure que 28 minutes)



Trois autres disques pour découvrir Jacques Duvall :

Pourquoi pas nous ? (avec Élisa Point, 2007)
Le Cowboy et La Call-girl (2009)
Je ne me prends plus pour Dieu (2015)

28 commentaires:

  1. J'adore cet album et spécialement John Cloude!! :)

    Tu vas rire, mais ce n'est que récemment que j'ai compris que la chanson parlait de Jean-Claude Van Damme!

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    1. Je ne dirais pas "récemment" mais je ne m'en étais pas réellement rendu compte aux premières écoutes, si ça peut te rassurer ;-)

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  2. Ouh la, gros aveu le passage sur Elsa :D

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    1. Oh, je suis sûr d'avoir déjà fait plus compromettant ;-)

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  3. Je pense que j'aurais pu mourir sans connaître Jacques Duvall (dont je suis devenue inconditionnelle) s'il n'y avait pas eu le Golb. Donc bon anniversaire au Golb, à Freaksville, à Hantises, à tout le monde ;)

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    1. C'est très gentil mais on ne peut jamais savoir, je ne suis pas la seule personne au monde à avoir écrit des articles sur Jacques Duvall (même si j'en ai écrit beaucoup).

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    2. Mais je ne lis aucun site sur la musique ;)

      Je suis venue sur Le Golb au départ pour les articles sur les séries. Comme j'aimais bien j'ai lu le reste... Donc, je pense vraiment que je n'aurais jamais entendu parler de Jacques Duvall sans toi :)

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    3. Bon bon, je te laisse juge ^^

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  4. Oui oui, oui. On sent que c'est un peu laborieux c'est vrai.

    Est-ce que ce n'est pas normal ? Est-ce que ce n'est pas toujours plus "dur" d'écrire ce que l'on aime le plus ?

    Cela reste en tout cas bien plus agréable à lire que...tout le reste. "Les disques Freaksville rendent heureux" mais "Le Golb, c'est la vie" :))

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    1. Bien vu le slogan ;)

      Ca fait longtemps qu'il y a en pas eu un nouveau, avant ça changeait tout le temps j'aimais bien.

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    2. LIL >>> je pense que par certains aspects oui, c'est toujours plus dur. Mais cela dépend de tas de facteurs. Il y a aussi des choses, artistes, oeuvres que j'adore et sur lesquel(le)s j'ai toujours écrit avec une grande facilité. D'ailleurs, en y réfléchissant, mes vraies idoles ABSOLUES ne m'ont jamais posé ce genre de difficulté. Donc s'il y a du vrai dans ce que tu notes, il faut aussi le nuancer...

      SERIOUS >>> je ne change pas le slogan parce que je crois que l'actuel résume très bien ce qu'est le site aujourd'hui, dix ans plus tard :-)

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    3. Je suis d'accord avec Thomas, le fait d'aimer spécialement un disque est sans doute un facteur rendant difficile la rédaction d'un article, mais ce n'est pas le plus important. Je crois (en tout cas de mon expérience) que les chroniques les plus difficiles sont celles de ce que Thom appelle les albums "peluche". Ceux qui sont vraiment des "disque à moi et rien qu'à moi". Ils n'ont pas marqué l'histoire de la musique, ne sont pas les meilleurs de leur époque, de leur année (et même parfois de leur artiste, cf cet article), mais pourtant on ce sont ceux qu'on écoute en boucle, inlassablement. Pourquoi ?
      dans ce cas, on digresse très souvent par des anecdotes personnelles, par un cheminement (ici l'album d'Elsa). En général j'aime beaucoup ce genre d'articles, ça en dit énormément sur l'auteur, son rapport à la musique etc... Je ne trouve pas que celui ci soit spécialement laborieux....

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    4. En fait on dit la même chose, un peu :)

      Quand je dis "laborieux" je veux dire que cela tourne autour du pot et qu'on a l'impression que Thomas n'est pas sûr de ce qu'il veut en dire (pour moi la différence est frappante avec les deux ou trois MDAM d'avant). Je ne voulais dire pas que l'article n'était pas bon :)

      De plus je rebondissais sur l'intro alors que ce n'est pas même mon avis (je me rappelle de très bons articles sur Freaksville ;)

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    5. LIL >>> ne t'inquiète pas (enfin, tu ne t'inquiétais peut-être pas, d'ailleurs), c'est comme ça que j'avais lu ton commentaire :-)

      XAVIER >>> bon après je ne veux pas non plus laisser penser que je considère Hantises comme un petit album sans intérêt que j'aime sans raison, j'espère que ce n'est pas ça qui ressort. L'album a eu un petit succès, plus que pas mal de parutions du label, il est même assez culte (d'ailleurs sa réédition vinyle en début d'année a vite été financée puis épuisée). Mais c'est vrai en revanche qu'il entre dans cette catégorie d'albums dont on ne sait finalement pas trop quoi dire (c'est décuplé dans ce cas précis par le fait qu'il y a eu un livre sur Duvall il y a deux ou trois ans qui revenait assez longuement sur sa genèse, ce qui est plus embêtant quand ça concerne un album "de niche" que quand c'est sur un classique du Velvet ou des Beatles ^^. Il est très difficile de trouver aujourd'hui un amateur de Duvall qui ne sache pas comment ce disque a été conçu, ce qui fait que même l'angle "pédago" tombe un peu à plat). Ne reste plus qu'à dire ce qu'il représente pour l'auteur des lignes en question, encore faut-il savoir quoi... et là encore, c'est compliqué par le fait que Hantises est tout de même un album plus rigolo que profond (même s'il a du fond et qu'il sait se montrer émouvant).

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    6. ah voilà ! je préfère quand c'est toi qui exprime mes idées par écrit...

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    7. Si tu as des listes d'idées que tu aimerais formuler, n'hésite pas à mes les envoyer :-D

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    8. Non, ce serait un boulot à plein temps....

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  5. Réponses
    1. Attends encore un peu que je révèle que je vais voter Fillon en 2017 ;-)

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    2. Jean Charles, avec nous, Jean Charles, avec nous !!

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    3. Tu sais, Jean-Charles est un mec de droite old-school, pas comme toute cette nouvelle génération qui manifeste et se met en grève, alors les slogans de manifs... ce n'est pas ça qui va le faire sortir de ma joue ;-)

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  6. Tu dis que tu as mis 20 ans à réaliser que Duvall avait écrit cet album d'Elsa : donc tu connaissais déjà Duvall avant de t'en apercevoir ? Je trouve ce point de l'article un peu obscur si tu peux m'éclairer (je sais que c'est un détail).

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    1. Pas de problème.

      C'est exactement ça. J'ai découvert les disques du Duvall sous son nom à la fin des années 2000, mais ce n'est que plusieurs années après que je me suis aperçu qu'il avait écrit une partie de cet album, tout simplement en lisant sa fiche Wikipedia, ce que je n'avais jamais fait. Je savais bien sûr qu'il avait écrit pour beaucoup de gens, mais pas pour Elsa.

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