samedi 24 mai 2014

Teen Wolf - Fantastique teen-drama (ou le contraire)

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C'est lorsque l'état de Lydia a été révélé, dans l'épisode "The Girl Who Knew Too Much" (3x09), que j'ai su. Non pas que Teen Wolf était une bonne série, d'autant que cette troisième saison s'avérait depuis le départ un cran en-dessous des précédentes. Ce que j'ai réalisé à ce moment précis, c'est à quel point son écriture était intelligente, en plus d'être ultra-efficace et plus subtile que dans le teen-show moyen. Parce que tout était là, quasiment depuis le premier épisode. Parce que cette intrigue - relativement - secondaire concernant le personnage de Lydia venait d'être filée trois saisons durant sans coup férir, avec un suspens habilement mené, jamais maintenu de manière artificielle. Parce que les trente-deux épisodes précédents avaient distillé bien assez d'indices pour que le spectateur devine la réponse, sans que celle-ci paraisse transparente. Parce qu'en y réfléchissant après coup, on se dit que c'était évident, mais qu'on n'y aurait paradoxalement jamais pensé. A titre de comparaison, je regardais dans le même temps la troisième saison de Once Upon a Time, qui use et abuse de procédés similaires concernant l'identité ou la nature de ses personnages. Autant dire que le show vedette d'ABC, comme à vrai dire la plupart de ses contemporains, n'en sort pas grandi : si l'on pourrait y trouver exactement la même sous-intrigue, le mystère serait éventé au bout de trois épisodes, ce qui n'empêcherait pas les scénaristes de le placer en coma artificiel pour au moins dix de plus. Et là, vous vous dites qu'après deux mois sans article (et presque six sans parler séries), revenir pour vous causer de Teen Wolf et Once Upon a Time, c'est peut-être légèrement pousser mémé dans les orties. Bougez pas, je vous explique.

S'il est facile de balayer l'expression plaisir coupable d'un revers de main, sur le mode "j'assume tout ce que j'aime", on sait bien que cela relève plus de la posture que d'une position sérieuse. Reconnaître les qualités de certains shows n'en fait pas pour autant des œuvres dignes d'intérêt (ni même des œuvres - tout court), de même que reconnaître les nombreux défauts des autres ne suffit pas nécessairement à entamer la passion qu'ils suscitent. Pour reprendre la comparaison avec Once Upon a Time (qui ne m'a jamais rien fait de mal, mais dont j'adore me moquer), rien ne la sépare fondamentalement d'un Teen Wolf : on a là deux séries fantastiques mainstream avec une structure feuilletonnante, des effets spéciaux cheaps, de la romance sur fond de pop FM, et globalement une très mauvaise image chez tout amateur de séries digne de ce nom. Pourtant, impossible de confondre les deux, ni même de les comparer sérieusement sans que cela tourne en la défaveur de la première. De par sa manière de se prendre très au sérieux alors qu'elle met en scène des personnages de contes dans des décors en carton, il est précisément impossible (à tout le moins pour moi) d'être scotché par Once Upon a Time - malgré ses qualités (son casting plutôt chouette, son sens de la démesure kitsch, ou la prédominance rare - et donc précieuse - des personnages féminins1). Au terme d'une première saison de bonne facture, on sait qu'on a affaire au mieux à un plaisir coupable. On sait qu'on ne va pas flipper sa mère pour l'avenir des personnages, qu'on ne pensera quasiment jamais à eux entre deux épisodes, et qu'on passera les deux saisons suivantes à fermer les yeux sur les défauts en essayant péniblement de se focaliser sur les qualités (quitte à se faire franchement suer dans les épisodes où Robert "Rumplestiltskin" Carlyle et Lana "The Evil Queen" Parilla n'apparaîtront pas ou peu). Le plaisir coupable, quelque part, se définit par cela : on n'oublie pas ce qui est foireux ; on accepte juste délibérément de ne pas s'arrêter dessus.


Avec exactement les mêmes "tares" sur la ligne de départ, Teen Wolf part paradoxalement dans la direction inverse, non seulement de Once Upon a Time, mais d'à peu près toutes les séries fantastiques mainstream. Dès les premiers instants du pilote, on est happé par la noirceur de l'ensemble (intrigue comme photographie ou décors), uniquement fendue par des éclairs de second degré assez... fendards. Modèle d'épisode introductif qu'on devrait diffuser dans toutes les écoles, "Wolf Moon" parvient en quarante minutes à imposer simultanément un style, des enjeux, une atmosphère et des personnages qui sembleront rapidement familiers.

La suite va s'en tenir à ça, ce qui paraît évident et n'est pourtant que rarement assuré par la concurrence. Si les premières qualités qu'on consentira reconnaître à Teen Wolf seront la solidité de son casting (les ados sont impeccables... et ressemblent vraiment à des ados) et son rythme frénétique, on constatera peu à peu qu'elle a pour elle ce qui fait défaut à trop de séries de Network (voire occasionnellement du câble) : un projet. Pour ne pas dire une vision. Ce petit truc qui n'a l'air de rien mais qui fait qu'en 2014, des milliers de gens qui étaient à peine nés en 1997 sont capables de vous réciter des épisodes entier de Buffy, quand plus aucun des fans de l'époque ne saurait vous dire ce que peuvent bien raconter Alias ou Heroes passées leurs deux premières saisons2.


On ne peut pas dire, par exemple, que The Vampire Diaries, pour prendre un autre teen-drama fantastique, soit une série mal écrite. Le problème, c'est qu'elle ne sait fondamentalement pas de quoi elle veut parler. D'où une multiplication des cliffhangers gratuits, des couples, des bestioles fantastiques les plus éculées, des embryons de mythologie s'écrasant dans des culs-de-sacs, des couples, et des dialogues en tête à tête où tout le monde vide son sac - le plus souvent les couples. Teen Wolf, elle, sait de quoi elle veut parler. Du passage à l'âge adulte (non ? Si !), à travers la période charnière et traumatisante du lycée (sans déconner ?!). La même chose que Buffy dans ses premières saisons, donc. Une influence revendiquée, assumée, et jamais écrasante puisque maniée avec suffisamment de pincettes pour que l'on ne soit pas soumis à la tentation d'en parler comme d'un "nouveau Buffy" - cet écueil. L'esthétique de Teen Wolf est d'ailleurs beaucoup plus grise, froide... réaliste, en somme, évoquant d'avantage celle de X-Files ou de Supernatural (c'est pareil). On y rit souvent, malgré cela, mais le rire comme la tension - voire la peur3 - n'y est jamais facile ou gratuit. Chaque élément de Teen Wolf, même le plus anodin, converge vers une unique thématique : celle de l'ennemi intérieur, tapis en soi (ou au sein de la communauté, ce qui revient au même dans la mesure où la ville ou le lycée constituent des entités à part entière au sein de cet univers), donc par extension celle de l'identité, en plein défrichage, de ses différents personnages. Le fait d'avoir décidé de délayer le tout dans un enchevêtrement de mystères à l'épaisseur aléatoire n'est qu'un artifice scénaristique d'autant plus habile qu'il est utilisé de manière ludique : on passe beaucoup de temps à chercher, dans Teen Wolf. A enquêter, à recueillir des indices, à suspecter (rarement les bonnes personnes). Même lorsque l'ennemi arrive avec une grosse flèche indiquant attention : méchant (ce qui est rare), les choses se révèlent plus complexes, moins tranchées qu'elles le paraissent de prime abord. Parce que même les scènes de baston, innombrables notamment dans une troisième saison à la limite de l'épilepsie, trouvent leurs motivations dans une obscure fêlure identitaire bien plus longue à repérer que la cachette d'un quelconque bad guy - et bien plus compliquée à solutionner qu'en mettant un coup de boule griffe.


Bien sûr et on y revient forcément, sans doute parce que Teen Wolf semble franchement puer des pieds sur le papier4, la série n'est pas exempte de défauts. Mais on ne peut qu'admirer la manière dont elle joue constamment de ses faiblesses pour produire quelque chose de convaincant, là où la plupart des shows similaires abdiquent sans même essayer de lutter. Teen Wolf est indiscutablement une série cheap, mais elle refuse de l'être et fait tout pour le faire oublier, multipliant les astuces de mise en scène afin de ne (presque) jamais sembler ridicule5. Elle s'adresse de même fondamentalement à un public adolescent, mais elle met un point d'honneur à gommer tous les stigmates du teen-show, et en contourne (presque) tous les écueils (histoires de cœur supplantant la trame principale, bavardages incessants, personnages adultes transparents... etc.) Elle traite d'un sujet évidemment éculé, mais ne lésine pas sur les efforts narratifs visant à briller sur la forme, à défaut de surprendre sur le fond (le choix de démarrer les épisodes à fond les ballons et de s'épargner les longs passages didactico-explicatifs a fini par devenir une des marques de fabrique de la série, quitte à forcer le spectateur à être plus attentif qu'ailleurs). Comme en plus elle accorde une place prépondérante aux atmosphères crépusculaires et que ses dialogues sont la plupart de temps aux petits oignons, difficile de ne pas conclure sur une note dithyrambique. Parce que c'est un fait : si une bonne série est un feuilleton bien écrit, bien joué, bien réalisé, avec du rythme et un propos pertinent, le tout sans jamais prendre le spectateur pour un couillon... Teen Wolf fait partie de ce qu'on trouve de mieux sur le marché, en 2014. Et ça, c'était tout de même beaucoup plus important à dire que de préciser que ça raconte l'histoire d'un loup garou adolescent et que ça passe sur MTV. Non ?


👍👍 Teen Wolf (saisons 1 - 3)
créée par Jeff Davis
MTV, 2011-14


1. Il faut dire aussi que toutes badass qu'elles soient, les femmes de Once Upon a Time rêvent toutes secrètement du grand amour et de se marier pour faire beaucoup d'enfants. D'une manière général, son discours affligeant de conservatisme n'aide pas à rendre cette série sympathique (même si elle l'est parfois).
2. Je sais : je suis très généreux avec Heroes. Une fois de plus.
3. Certains épisodes sont de petites merveilles de délires horrifiques comme on en a pas beaucoup vu à la télé
4. Pourquoi pensiez-vous que j'avais mis trois ans avant de la regarder ?
5. C'est sûrement ici que la comparaison inaugurale avec Once Upon a Time est la plus troublante, vu que la série d'ABC fait exactement l'inverse : plus les saisons passent, plus le budget est faible, et plus on nous colle des effets spéciaux partout sans donner l'impression une seconde d'essayer de cacher la misère.

13 commentaires:

  1. Pas vu Teen Wolf mais je valide toutes les méchancetés sur Once Upon A Time (qui ne sont que pure vérité :)

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    1. A quoi bon une ambulance si on a encore des cartouches après son passage ? :-)

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  2. Et sinon qu'est-ce que tu as contre les loup-garous ? :-)

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    1. Rien, c'est juste que ça ne m'a jamais vraiment intéressé. Mais comme plein de gens, je pense, vu la faible proportion de fictions consacrées aux loup-garous par rapport aux vampire, fantômes et compagnie. Peut-être aussi que je n'ai juste pas lu/vu les bons trucs.

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  3. Chouette, le Golb est de retour ! :-)

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  4. Le petit coquin qui joue à écrire le mot "loup garou" seulement à la dernière ligne ;)
    On t'a vu ! :)

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  5. Est-ce que la nature de Lydia est suggérée "quasiment dès le premier épisode" ? Je ne suis pas certaine, ce doit être plus facile à remarquer lorsqu'on a vu toutes les saisons d'une traite...

    Très bonne série, oui, proche de l'excellente dans ses deux premières saisons, beaucoup moins dans la troisième qui verse un peu dans l'excès (de rebondissements, de bébêtes, un peu comme tu reproches à TVD).

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    1. Pas "dès le premier", mais pas loin. Je dirais l'épisode 5 ou 6, lorsqu'elle assiste à un meurtre quasiment en direct (et avec Jackson).

      Sinon, j'ai plutôt bien aimé la saison 3 malgré tout. C'est surtout la première partie qui est mal fichue (c'est d'ailleurs le seul arc où la thématique de "l'ennemi intérieur" est moins présentée, voire pas du tout par moment), la seconde retrouve toutes les qualités habituelles du show.

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  6. Je trouve au contraire de toi que le suspens et les énigmes incessantes sont très artificielles dans le dernier tronçon de la série, alors que le suspens psychologique est déjà hâletant et qu'il n'y a pas trop besoin de ça (tous les trucs autour de Stiles sont déjà hyper prenants, hyper bien réalisés, hyper flippants; la série perd en subtilité juste pour le plaisir de la fausse piste)

    Salut Le Golb :)

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    1. Ce n'est pas complètement faux. Il n'était peut-être pas utile d'ajouter autant de nouveaux personnages (et donc de nouvelles sous-intrigues) en seulement 13 épisodes. Cela dit, ils sont plutôt intéressants et le tout me paraît tenir debout.

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  7. Je n'ai pas encore regardé (je décroche de plus en plus souvent avec les séries...) mais puisque tu valides, je lui laisserai sa chance ;-)

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    1. Tu viendras nous dire ce que tu en as pensé, j'espère ;-)

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