jeudi 29 août 2013

This Is Not a Top of the Flops

[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - N°108]
voyeurs - 2wo (1998)

Certains albums ont le délicieux pouvoir de mettre tout le monde d'accord. Souvent les plus étincelants chefs-d’œuvre ou les plus grosses daubes. Occasionnellement aussi, les albums mal compris, mal vendus, donc pas achetés.

A l'époque de sa sortie, les plus âgés s'en rappelleront, la presse était unanime : Voyeurs, unique album de 2wo, était un disque majeur. Après des années des silence (parce que soyons sérieux, les albums de Fight équivalent à un vide discographique), Rob "The Metal God" Halford revenait aux affaires, et on allait voir ce qu'on allait voir. Un long manteau noir allait remplacer les futals en cuir, Trent Reznor jouerait le rôle du double maléfique, et John5 (quasi inconnu à l'époque, puisque le Mechanical Animals de Manson - qui le "révèlera" bien qu'il ne joue en réalité pas dessus - ne paraîtra que quelques mois plus tard) hériterait des soli. Il y aurait du SM, de la violence, des gros outils et du coming out (non, ce n'est pas un jeu de mot foireux). Pour bien marquer le coup, l'album s'ouvrirait sur un explicite "I Am a Pig". Le package parfait, en somme.

Évidemment, en vrai, les choses étaient un peu plus compliquées. Reznor, qui est alors en pleine dépression nerveuse-désintoxe-crise existentielle (période également connue sous le nom d'enregistrement de The Fragile) n'a pas branlé grand-chose sur le disque, laissant tout le sale boulot à Bob Marlette. John 5 est un gros nul, et le coming out de Halford n'intéresse personne, puisque tout le monde est déjà au courant qu'il aime les garçons. Le seul truc qui attire vraiment, c'est cette idée du Metal God se mettant à faire du rock - et même de la pop - indus en susurrant d'une voix éraillée, lui qu'on connaissait surtout pour son metal moulé à l'entre-cuisses et sa voix de crécerelle (tu m'étonnes : ça serre, ces futals). Plein de légendes du rock ont essayé avant et après lui de surfer sur les modes, mais aucune à ma connaissance n'a tenté le coup de manière si radicale, désespérée et rock'n'roll, au point même de chanter avec un énorme accent ricain alors que le gars est anglais. voyeurs n'est pas un disque : c'est une tentative de suicide, que seule un retour au metal qui en a une grosse paire et qui le gueule haut et fort aura été capable d'avorter. D'ailleurs, l'album suivant, le premier de Halford sous son seul nom, s'intitulera Resurrection. Et le tout débouchera bien évidemment sur... une reformation de Judas Priest. Après un tel bide et un tel culot, retrouver son ancien groupe était clairement le seul moyen pour le Rob de se récupérer l'estime de ses fans. Car si aucun inconditionnel du Priest n'aurait eu l'idée saugrenue de reprocher ses préférences sexuelles à un type que même les pires détracteurs du genre respectent pour son charisme et son intelligence, c'était tout de même une autre histoire de lui faire avaler un comeback en mode indus névrosé. Dans l'inconscient d'un fan de meuhtal moyen, passe encore d'être une tarlouze, mais hors de question de se mettre à jouer de la musique de tapettes1.

C'est d'ailleurs ce qui m'a toujours un peu étonné, car cela soulignait combien bon nombre de fans du Priest (ce que je n'ai jamais été, j'ai même apprécié le groupe sur le tard) semblaient mal connaître leurs idoles. On ne peut pas dire en effet que le groupe de Birmingham représente la frange la plus réactionnaire de la scène metal, sa carrière hoquetante étant faite d'un nombre impressionnant de revirements stylistiques, d'expérimentations en tout genre, certes raisonnables - mais d'expérimentations tout de même. Le groupe avait beau s'être fait le chantre des clichés métalliques les plus éculés (par pudeur, je n'en remets pas une couche sur les futals, mais nous pourrions aussi parler cinq minutes de leur amour pour la pyrotechnie cheap ou les motos les plus vulgaires depuis l'invention du tricycle...), une fois qu'on fermait les yeux, on entendait surtout une musique assez mutante, plutôt éclectique et ne se contentant pas (contrairement à celles de collègues dont nous tairons le nom) de décliner une formule (il suffit d'écouter quatre morceaux respectivement extraits Rocka Rolla, British Steel, Defenders of the Faith et Painkiller pour s'en apercevoir). Autant il était légitime de se dire que Bruce Dickinson se foutait un peu de la gueule du monde lorsqu'il essaya de lui faire croire qu'il s'était toujours passionné pour le grunge, autant il n'était pas forcément étonnant de voir l'autre Voix majuscule du metal des eighties s'encanailler du côté de chez Reznor (un fan, qui plus est). Pour un résultat en-dessous des espérances, et fort logiquement désormais honni : si en 1998 la presse meuhtal était quasiment prête à sanctifier Halford (un peu con, pour un dieu), quinze ans après, à peu près tout le monde s'entend pour dire que voyeurs est une sombre merde.

Tout le monde sauf, bien sûr, un petit Golb gaulois et bien peu catholique. Oh, bien entendu, on ne va pas se mentir : il n'est pas génial, cet album. Il n'est même pas très bon. Il est parfois même assez quelconque. Mais je n'y peux rien : je l'adore. Je ne dois guère l'écouter plus d'une fois tous les deux ans, mais je le retrouve toujours avec un plaisir sincère. En fait, voyeurs porte bien son nom en cela qu'il est un peu comme une bonne branlette : on n'en est pas très fier, ça ne sert fondamentalement à rien, ce n'est plaisant que sur le coup... et pourtant on ne peut pas y couper. Peu importe ce que les autres penseront - de toute façon on ne va pas non plus crier qu'on se le fait sur tous les toits. Bien sûr, c'est un album facile et carrément racoleur, dans lequel Halford joue à fond la carte "sortie de prison du placard" et en profite pour se réinventer en guide touristique spécialisé dans les backrooms en carton pâte. Bien sûr (bis), 2wo est à Nine Inch Nails ce que le pâté est au foi gras. Bien sûr (ter), ce qui a été vendu à l'époque comme une rencontre metal-industrielle olympienne (Halford et Reznor ont la particularité d'être deux des rares musiciens vivants à avoir été un jour qualifiés de dieux) n'est en fait qu'un album d'electro-pop crapoteuse comme il en paraissait des tonnes à l'époque, commençant comme un bon Stabbing Westward avant de finir avec pour seule ambition de se mesurer à Garbage. Bien sûr (c'est quoi déjà, après ter ?), tout cela a atrocement vieilli, et était même dans le fond déjà un peu ringard le jour de sa sortie. Tout le mal qui a été dit de cet album est vrai, mais n'enlève paradoxalement rien à son efficacité. "Stutter Kiss", "If" ou "Leave Me Alone" sont malgré tout cela de bons morceaux, même s'ils pompent un peu tout le monde et n'importe qui (Filter, Pop Will Eat Itself, Manson, Type O... il y a même un morceau sonnant quasiment blur). On les mémorise assez facilement, et l'atmosphère pouilleuse dans laquelle ils baignent, mention dégoût de soi et sexe crade, achève de bien emballer. Dans le fond, le vrai problème de voyeurs n'est pas tant sa qualité que son environnement et la manière dont son auteur a eu tôt de fait de le renier (jamais explicitement, soit, mais on reconnaîtra que le simple fait d'être retourné presque aussitôt faire semblant d'être un motard macho constitue en soi reniement bien pire que si Halford avait rayé l'objet de sa discographie). Moi, en tout cas, mon respect pour l'intransigeant Halford a certainement plus décliné le jour où j'ai acheté son Resurrection que celui où j'ai entendu pour la première fois cet album à la fois touchant et raté, provocateur et finalement assez consensuel.




1. Toute la finesse d'esprit du fan de meuhtal moyen éclate au grand jour lorsqu'on sait que le public de l'indus-rock - et particulièrement de NIN - se compose à 90 % de mâles blancs hétéros.

19 commentaires:

  1. Quel excellent article. C'est clair que ça aurait pu etre un top of the flops mais c'est tellement plus cool comme ça :)

    RépondreSupprimer
  2. C'est ce qui s'appelle ressortir les cadavres du placard.
    J'aime !

    Par contre l'album... oui, déjà has been dès sa sortie ^^

    RépondreSupprimer
  3. Le billet est tellement bon que j'ai même cliqué sur la vidéo...

    J'ai tenu 1:40...

    RépondreSupprimer
  4. par curiosité, pourquoi as tu mis "enregistrement de the Fragile" en italique?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Euh... je ne sais pas, pourquoi pas ? C'est un titre, en quelque sorte, même si c'est un titre fantasmé.

      Supprimer
    2. non, je pensais que tu connaissais une histoire derrière cet enregistrement... comme ce disque, son créateur, et sa création me fascinent, je posais la question...

      Supprimer
    3. Oh, il y a plein des histoires sur cet enregistrements, ça doit se trouver assez facilement sur le Net.

      Supprimer
    4. je préfère quand c'est toi qui raconte.... ;)

      Supprimer
    5. Tu veux venir sur mes genoux, aussi, non ? ;)

      Supprimer
    6. la belle histoire de Monsieur Reznor, contée par l'Oncle Thom... Ouais !!!!!

      Supprimer
    7. Pour t'asseoir sur mes genoux ? ;-)

      Supprimer
    8. Héhé! Je te laisse deviner!^^

      Supprimer
  5. Je trouve le morceau mis en écoute vraiment désolant, alors : oui, mais non merci ;-)
    Il n'empêche que j'ai lu ce délicieux billet avec grand plaisir, éclats de rire compris.
    (D'après tes stats -que j'imagine du plus grand sérieux- je ferais partie des 10% de métalleux pas de sexe masculin, ni tout à fait de couleur blanc-bidet, et bien qu'hétéro plutôt très gay friendly.)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Haha, il vaut mieux le prendre comme ça, c'est sûr :-)

      Supprimer
  6. Je tiens à dire que quand j'ai commencé à écouter l'album... Ma fille (16 ans) est sortie immédiatement de son trou en me demandant ce que c'était...
    Comme quoi pas si démodé ni nul!
    (Merci Thomas vraiment bon disque!)

    RépondreSupprimer

Si vous n'avez pas de compte blogger, choisir l'option NOM/URL et remplir les champs adéquats (ce n'est pas très clair, il faut le reconnaître).