dimanche 28 juillet 2013

Bill Ryder-Jones - Au finissement fut l'émotion

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Je ne trouve pas les mots. On dit souvent cela, comme on dirait autre chose. C'est une ponctuation de l'émotion comme il y en a d'autres. On ne trouve pas les mots et peut-être qu'Il n'y a pas de mots. Ou bien que l'on en a tout simplement le souffle coupé. Mais la vérité, c'est qu'il y a toujours des mots. Trop, souvent. Il y a plus de mots qu'il y a de couleurs, et probablement d'univers. L'émotion affluant, ils déferlent, et c'est leur incapacité à faire sens, leur vacuité, même, qui saute aux oreilles chaque fois qu'on les prononce. Comme je t'aime, cette expression tellement banale que chacun d'entre nous l'a déjà prononcée une, deux, cent fois.. ce raccourci clavier des sentiments, qui dit tout et donc rien - et surtout pas l'infinie palette d'émotions qu'il voudrait tant induire. Tout au mieux, les mots définissent des contours. Ciblent quelque chose (une idée, une envie, une sensation). Ils sont un moyen tendant vers une fin qu'ils n'arrivent quasiment jamais à atteindre. Le plus souvent, ils figent, installent ou balisent. Les mots sont une mathématique. A moins qu'ils soient juste lâchement humains, dans leurs carences et dans leurs incapacités. Essayer cent fois d'écrire le sourire de l'être aimé après une brève étreinte, réussir chaque fois et se dire encore, in fine, que l'on a beaucoup écrit sans rien exprimer... voilà qui a le don de rappeler à quel point nous sommes peu de choses. Mais c'est aussi ce qui en fait la beauté : ce sourire, cette bouche... ce regard font partie des rares choses en ce monde qui viennent de nous rappeler, l'espace d'un instant, que nous passons nos vies à nous encombrer de mots et de paroles superficielles, superflues ou pire : superfétatoires. Le plus souvent, tous ces mots, toutes ces tartines de phrases... nous pouvons nous en passer.


Le second album solo de Bill Ryder-Jones, ex-guitariste d'un The Coral qui ne s'est à ce jour toujours pas remis de son départ, fait partie de ces choses. Les mots ne manquent pas mais aucun ne touche jamais juste et le décrire, c'est déjà le rabaisser. Se lancer dans une digression sur ses influences revient à attenter à sa beauté, quand essayer de transcrire exactement ce qu'il provoque chez l'auditeur a des accents d'hybris. Les mots ne manquent pas, disais-je, mais les utiliser ne servirait qu'à démontrer l'inanité de notre langue, de toutes les langues - de tous les verbes et de tous les qualificatifs. Parce que le décrire le rendrait banal : banalement pop, banalement émouvant, banalement romantique, banalement pas banal. Cela reviendrait à tenter d'objectiver la poésie ou à s'aventurer à classer les émotions selon un panel, comme si l'enthousiasme, comme si la sensualité pouvaient faire l'objet de quelconques QCM (pléonasme). Idéalement, il faudrait pouvoir résumer l'article à un simple extrait, non par paresse mais pour rendre hommage à un ouvrage échappant aux adjectifs et dont la simplicité, pour ne pas dire l'humilité, constitue d'ailleurs l'une des plus étonnantes qualités. A trente ans, Bill Ryder-Jones a déjà plus de quinze ans de carrière dans les jambes, a signé des classiques de la pop et inspiré de plus jeunes que lui... et pourtant l'on reçoit A Bad Wind Blows in My Heart comme s'il était le premier jet d'un joyau brut sorti de nulle part et que personne n'aurait vu venir. Le rendu est si prenant, si intense que chaque formule venant à l'esprit est réprimée et qu'on se promet instantanément d'étrangler à mains nues tout chroniqueur qui aura utilisé les noms des Beatles, d'Elliott Smith, de Nick Drake... et tous les autres que l'on balance sans réfléchir chaque fois que l'on tombe sur un disque pop et intimiste se révélant, écoute après écoute, trop beau pour être vrai. Celui-ci est vrai et j'en ai déjà beaucoup trop dit. Il faut l'écouter, et voilà. "Au commencent était l'émotion...", écrivait Céline, qui avait tout compris.

Il avait juste oublié de préciser qu'à la fin également, c'était tout ce qui restait. Et que, comme on dit, tout le reste n'est que littérature.


👑 A Bad Wind Blows in My Heart 
Bill Ryder-Jones | Domino, 2013

6 commentaires:

  1. Oh le petit 6 qu'il essaie de nous faire passer discrètement pendant l'été ;-)

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  2. Pour un type dont les mots ne servent à rien ça va, tu te débrouilles ;)

    Très beau disque sinon c'est vrai. Les deux épisodes de "Christina" sont excellents et même assez drôles en fait quand on écoute les paroles.

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  3. Je n'avais pas tellement aimé son premier disque solo, un truc instrumental, je crois. Mais j'aime tellement The Coral (avec ou sans lui, d'ailleurs). Là, évidemment, ça donne envie...

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