mercredi 16 janvier 2013

Immune to Broken

[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - N°103]
Cats & Mice - Kristin Hersh (2010)

"Your mouth fell out of the sky
And suddenly I had it memorized
But honestly, it's like you're dead."

C'est l'album avec lequel j'ai découvert Kristin Hersh. Je sais, ça peut paraître étrange. Ce n'est d'ailleurs pas tout à fait exact. Et tant que j'y pense : ce n'est d'ailleurs pas tout à fait un album.

Je recommence : à l'automne 2010, c'est presque par hasard que je me suis retrouvé avec ce live en ma possession, expérience pour le moins particulière puisqu'à la grande différence de la plupart des gens l'ayant acheté, je ne connaissais quasiment aucun morceau de sa tracklist. J'appris plus tard que des titres inédits figuraient dessus, mais j'aurais été bien incapable de deviner lesquels, ce qui explique sans doute que quelques années après, mon morceau préféré de Kristin Hersh demeure "Fortune", ce qui n'est probablement pas le cas de ses fans historiques (soit donc la plupart de ses fans). J'ai acquis Cats & Mice à l'aveuglette ou presque. En me disant un beau matin que tout de même, c'était bizarre qu'un type comme moi, baigné de rock indé américain des nineties durant son adolescence, ne possède pas un seul disque de Kristin Hersh. Ni de 50 Foot Wave. Ni même des Throwing Muses - groupe que j'étais même confusément convaincu de ne pas aimer. Je connaissais bien sûr la dame, de nom et un peu plus : on ne peut pas avoir été ado dans les années quatre-vingt-dix et ne jamais avoir entendu, ne fût-ce que lointainement, "Your Ghost" ou "Teeth", classiques de l'indie-rock s'il en est. Mais je n'avais jamais été plus loin, ou n'en avais jamais ressenti le besoin. Peut-être aussi parce que, gamin, je détestais les chanteuses. Je n'arrivais jamais vraiment à m’identifier à elles, et si par hasard l'une d'elle parvenait malgré tout à me toucher, ce n'était jamais de manière aussi profonde que les hommes. Je crois que c'est une attitude très viscérale et banale chez les adolescents (la réciproque est d'ailleurs valable). Non pour une question de genre, mais tout simplement parce qu'un ado vit dans une quête permanente d'identification, et qu'il admire prioritairement des artistes dont il a le sentiment - parfois de manière totalement idiote et absurde - qu'ils lui ressemblent. Mais où va se nicher la guerre des sexes, quand on y pense...


Il n'est pas nécessaire de le préciser compte tenu de la place de Cats & Mice dans cette rubrique, mais je me suis presque immédiatement demandé comment il était possible que je ne sois pas tombé amoureux de Kristin Hersh plus tôt. J'ai tout aimé sur ce disque. Instantanément. Cette voix écorchée. La moiteur des riffs. La férocité des textes. Cette musique était faite pour moi, et j'avais passé la totalité de mon existence à ignorer la sienne. Dès la première écoute, Cats & Mice est entré dans le club très (très très) fermé des albums dont j'aime chaque chanson, chaque couplet, chaque note. Ces albums dont on sait instinctivement au bout de quelques jours, sans pouvoir l'expliquer mais avec une conviction profonde, presque religieuse, qu'on les écoutera toute sa vie. Peut-être pas dans n'importe quel contexte, ni sous n'importe quelle condition. Cats & Mice suffoque tellement de rage et de dépression qu'il m'est parfois éprouvant de le passer jusqu'au bout. Il arrive parfois qu'il me lasse, la formule unplugged étant chez Hersh aussi garante de nervosité que répétitive d'un morceau à l'autre. Mais j'y reviens toujours au bout d'un mois ou deux d'abstinence, et après chaque nouveau passage, je ressens la même chose qu'après le premier : tout le reste me semble fade, mécanique... froid. On ne peut pourtant pas dire que Cats & Mice, dont les pierres d'angles s'intitulent "Winter" ou "You Cage", soit un album chaleureux. La musique de Kristin Hersh, a fortiori en guitare/voix, est un modèle d'austérité, de sécheresse et de nerf. Il y a l'image, cette petite dame à la beauté un peu fatiguée et aux grands yeux tristes. Et puis il y a le son, et lorsqu'elle commence à ouvrir la bouche, c'est rarement pour apaiser. Angoissées, crispées... ses "Pearl", ses "Static", ses "Krait". Toutes ces chansons aux titres secs comme des coups de triques, aux riffs tranchants et aux refrains crissants. Il y a quelque chose de stressant, dans Cats & Mice. Une manière de vous prendre à la gorge. Une menace. Qui prend sa source autant dans l'écriture tendue, explosive... nirvanesque d'un "One Train" que dans l'interprétation de chaque morceau, de chaque mélodie - de chaque chaque histoire. Cats & Mice semble avoir pour premier, peut-être seul but d'illustrer le terme intensité. Plus que bien des albums studios, il est d'un seul tenant, sans respiration et sans filet. Parfois, durant "Fortune" ou "Sugar Baby", on a l'impression que la voix de Hersh va briser, et que tout le verre qu'elle paraît avoir en travers de la gorge va se répandre dans la fosse. Cela n'arrive jamais, et c'est ce qui rend cette musique si fascinante. Elle danse en permanence au bord de l'explosion, mais parvient à se reprendre à la dernière seconde. Parce qu'elle est l'histoire d'une lutte. Contre soi, contre les autres - une de ces luttes perdues d'avance que l'on livre plus par instinct que par conviction. Et que tout ce qui fait un grand live réside là-dedans. La lutte, et surtout l'instinct.

Fortune by Kristin Hersh on Grooveshark    

Trois autres disques pour découvrir Kristin Hersh :    

Hips & Makers (1994)  
Golden Sea (50 Foot Wave/2005)
Learn to Sing Like a Star (2007)

28 commentaires:

  1. Superbe billet pour une Grande Dame.

    Quand je l'ai vu dans cette salle dont j'ai oublié le nom, j'ai pris une gigantesque baffe. Un de mes 5 concerts préférés.

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    1. Il y en a quand même qui ont du bol, je crois que ça fait un bail qu'elle n'est pas venue en France. Oui je sais : je suis en train de dire que tu as du bol d'être vieux ^^

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    2. Tellement vieux que je n'arrive plus à me rappeler le nom de cette salle de café-théâtre où je l'avais vu. Du côté des gares Nord / Est, peut-être...

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    3. Je t'envie lyle, Kristin Hersh est une des rares artistes dont je sois un fan absolu que je n'ai jamais pu voir sur scène... c'est aussi une des rares artistes que je connais mieux que Thom (pour une fois, je ne pouvais pas m'empecher de le signaler).
      Meme si cet article est excellent et qu'il m'a donné envie de réécouter ce disque que j'ai rangé un peu vite (il faut dire qu'il arrive chez moi après une foule d'autres live, tous excellents)

      Hips and Makers est l'un de mes disques favoris.
      Sunny Border Blue est aussi un chef d'oeuvre, peut être. celui que je conseillerai en premier

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    4. ce que j'admire dans les live de Kristin Hersh, c'est qu'on sent vraiment la musicienne à l'ancienne, qui va jouer de salle en salle avec sa caravane et son petit matos. (enfin c'est comme cela que je l'imagine en écoutant ces disques).

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    5. "que je connais mieux que Thom"

      Fais gaffe quand même ;-) Parce que depuis ce jour de 2010, j'ai quand même acquis tous ses disques sans exception, lu sous bouquin, ingurgité - comme toujours quand j'adore un truc - des centaines, milliers d'informations à son sujet... etc. :-)

      Sur les lives, oui, il y a un peu de cela. D'ailleurs dans son livre (qui certes évoque une période très ancienne, mais je doute que cela ait changé) on sent une approche très artisanale de la scène, très bohème, en fait.

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    6. je ne doute pas qu'aujourd'hui tu puisses m'apprendre des tas de choses! ;) d'autant que depuis qu'elle publie la moitié de ses trucs sur internet, j'ai un peu laché. Et que je n'ai pas lu ses livres.
      Mais disons que j'ai été fan relativement tot (juste avant la sortie du Strange Angels).

      je sais pas si tu avais lu ces articles (si ca t'intéress):

      sur ce disque:
      http://blinkinglights.musicblog.fr/1458314/ALBUMS-2010-Micah-P-Hinson-Lilium-Kristin-Hersh/

      sur mon live favori:
      http://blinkinglights.musicblog.fr/1370051/KRISTIN-HERSH-Live-at-Noe-Valley-Ministry/

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    7. J'avais lu celui sur Cats & Mice, oui. Par contre je n'avais pas vu l'autre (d'ailleurs j'aimerais bien trouver ce live...)

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    8. il doit être trouvable sur le net, mais à quel prix? sinon je pourrais t'en faire une copie à l'occase...

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    9. Ce serait avec plaisir. Tu veux mon numéro ? :-D

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    10. Solutions envisagées:
      - je t'envoie un dossier mp3 par je ne sais quel moyen.
      - je t'envoie un CD gravé par la poste (tu m'enverras ton adresse par mail, parce que là aussi j'ai que l'ancienne).
      - j'utilise un passeur (en l'occurence Guic). mais ca implique qu'on se voie puis que vous vous voyez, donc faut pas etre pressé.
      - je te fais passer le CD lorsque tu viendras à Lyon le 23 Mars.

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    11. Bon alors, j'ai beaucoup réfléchi et je ne sais pas du tout pourquoi je serai à Lyon le 23 mars ^^

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    12. c'est une bonne question cher monsieur, merci de l'avoir posée ;)

      donc le 23 Mars, tu seras à Lyon car il y a un concert conjoint d'Hello Darkness et Harold Martinez dans un des dernier lieux du centre ville où l'on peut faire du bruit.

      oui oui, vous ne revez pas lecteurs du Golb, HELLO DARKNESS et HAROLD MARTINEZ (auteur de l'indispensable album Birdmum l'année dernière)en concert à LYON. Mais j'aurais l'occasion d'en reparler en temps voulu sur mon blog et de troller comme un sagouin quelques blogs bien choisis, comme celui ci ;)

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    13. VENEZ NOMBREUX ! CHAQUE LECTEUR ARRIVANT AVEC LE MOT DE PASSE ("LE GOLB") SE VERRA OFFRIR UN COUP PAR XAVIER !

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    14. Oh déconne pas, je paye pas mes binouzes je vais pas en payer aux autres...

      écoute, au vingtième Golbeur officiel, une reprise de Viol offerte...

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    15. Ah mais si, au contraire. C'est ça de vivre dans un pays de gauche décomplexée ^^

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    16. "une reprise de Viol" n'écris pas ça dans n'importe quel billet, malheureux... :-)

      Bon, dans celui sur le foot, ça pourrait passer...

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    17. Oui, attention, une reprise de violée, ce n'est pas non plus tout à fait pareil ^^

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  2. A sa sortie j'ai dû écouter "Hips and Makers" à m'en faire saigner les oreilles. J'aime beaucoup tous ses autres projets mais aucun ne me touche autant que ses trucs solo. Et ce live est sûrement son meilleur disque je pense, excellent choix.

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    1. Ce n'était même pas un choix, de mon point de vue. Je n'ai pas hésité trois secondes. J'ai plus réfléchi concernant les "trois autres disques".

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    2. Puisque tu en parles je trouve un peu abusé de ne mettre aucun disques des Muses, quand même ;)

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    3. J'ai beaucoup hésité. Mais je les aimes un peu moins que ceux sélectionnés, je n'y peux rien après tout...

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  3. C'est vrai que c'est un grand live. Parce qu'il n'y a pas de distance, on ferme les yeux et on est dans la salle. La prise de son est excellente aussi, il faut le souligner. On sent beaucoup plus l'importance du riff que sur les albums studio, d'ailleurs. Et la voix! super bien captée.

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  4. Très beau billet. Et conforme en tous points à ce que fait ressentir la chanteuse...

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    1. Merci Jeoffroy. Ça fait du bien d'être d'accord, hein ? ;)-

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    2. Mais tu sais bien que c'est souvent le cas...
      Et que seul Fringe est notre barrière à notre si grand amour :)

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    3. Dis le mec qui n'est pas célibataire et me l'a fait comprendre clairement dès notre première conversation ;-)

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