lundi 24 décembre 2012

Lettre ouverte au Père Noël

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Cher Père Noël,

Croyez bien que j'aurais aimé vous écrire en d'autres circonstances (ce même si les dernières fois où je vous ai écrit, vous n'avez même pas daigné me répondre - et à ce propos ça va faire vingt-deux ans ans que j'attends mon maillot de Piet den Boer). J'ai bien conscience que vous n'avez pas que ça à faire aujourd'hui, cependant je ne pouvais rester sans réagir après votre lettre ouverte à Saint Nicolas, répondant à sa tribune faisant suite au tweet de Jésus rebondissant sur celui de Gad Elmaleh qui faisait écho à la tribune de Catherine Deneuve qui faisait écho à celle de Philippe Torreton fustigeant la lettre ouverte de Gérard Depardieu après l'interview de Jean-Marc Ayrault (il y a eu aussi cette déclaration fracassante de Casimir à un moment, mais j'ai oublié lequel et tout à fait entre nous, l'avis sur ce sujet d'un type résidant depuis toujours dans un paradis fiscal - tout en faisant son business en France - ne m'intéresse que moyennement).

Je devais donc réagir à vos propos, à vous qui vous en prenez de manière si virulente aux contempteurs de Gérard Depardieu (dont, précisons-le, je ne suis pas). D'une part, je ne comprends pas bien pour qui vous vous prenez pour oser ainsi traiter Monsieur Philippe Torreton de "petite merde bien pensante dont personne ne va voir les films" (en plus c'est complètement faux, il y a plein d'enseignants qui vont voir les films de Monsieur Torreton - j'ai dans l'idée que vous ne devez pas offrir beaucoup d'abonnements Télérama). Vous n'êtes après tout que le Père Noël, autrement dit un type qui a hérité de l'entreprise familiale et qui, pardon pour ma franchise, ne bosse qu'une nuit par an. J'aurais cru qu'en tant qu'intermittents du spectacle, on se serrait les coudes. Passons.

Passons également sur le choix du medium (même si l'on ne m'ôtera pas de l'idée que le catalogue Jouets Club n'était sans doute pas l'endroit le plus indiqué). Passons encore sur le fait qu'en tant que personnalité préférée des enfants juste après Spider Man et juste avant Dora l'Exploratrice, on aurait pu s'attendre à ce que vous vous astreigniez à une certaine réserve (je ne m'expliquerai toutefois jamais qu'on demande à Samir Nasri d'être un exemple pour la jeunesse, et pas à vous - nous vivons tout de même dans une drôle d'époque). Passons sur tout cela car le fond du problème est tout autre. Et le fond du problème, cher Père Noël, ce n'est pas Philippe Torreton... c'est vous.

Bien sûr, à l'instar de Gérard Depardieu et de nombreux grands - ou supposé ou auto-proclamés grands - de ce monde, on peut comprendre que vous soyez pour le moins déconnecté de la réalité sociale de notre pays. On ne peut pas en vouloir à un type qui, je le répète mais ce n'est pas pour m’acharner, ne travaille qu'une nuit par an. On se doute que le concept d'une France qui se lève tôt vous est pour le moins étranger, voire tout simplement le concept d'une France qui travaille, tous les jours, parfois même le dimanche. Vous en avez peut-être entendu parler une ou deux fois (il doit bien y avoir au moins PMU au Pôle Nord), mais en entendre parler, j'en conviens, n'est pas la même chose que de le vivre au quotidien. Précisément, il faudrait voir pourquoi vous en arrivez à un décalage tel que vous puissiez écrire, sans rougir, que "Gérard Depardieu résiste noblement au terrorisme fiscal de socialistes n'ayant de social que le non". N'êtes vous pas vous-même, cher Père Noël, l'exilé fiscal le plus connu au monde ? Je ne cherche pas à remettre en cause l'énergie, la détermination et plus encore : la bonne humeur que vous mettez chaque année, réglé comme pendule, à distribuer des biens non imposables aux enfants entre deux rasades de Cognac. C'est un acte respectable, quand bien même certains parents et banquiers ont parfois tendance à vouloir relativiser la gratuité des fêtes de Noël. Je respecte votre vocation, votre engagement, et j'ai bien conscience que quelque part, vous êtes quelqu'un d'un peu exceptionnel, sans qui notre monde ne serait pas tout à fait le même.


Cela n'enlève cependant rien au fait que le taux d'imposition du Pôle Nord soit notoirement peu élevé, sans même parler du foncier (la dernière fois que j'ai comparé ma taxe d'habitation avec celle de Smillia, l'Inuit peu farouche que j'ai dégottée sur Meetic, j'en suis reparti écoeuré). Pis encore, il n'est un secret pour personne que votre installation dans cette contrée à tout point de vue peu attractive (à part si l'on est Nicolas Hulot ou un pingouin, s'entend) a beaucoup à voir avec le coût du travail extrêmement bas dans toute cette partie du globe, et l'absence totale de réglementation autour de l'emploi des lutins. Dès lors, on peut légitimement se demander si vous êtes le mieux placé pour évoquer un soi-disant terrorisme fiscal qui, c'est peu de le dire, ne vous menace pas directement. Loin de moi l'idée qu'il faille être absolument exemplaire pour s'accrocher comme vous à ses convictions, fussent-elles de droite. Je ne suis pas exemplaire moi-même (a fortiori depuis que je suis de droite). Néanmoins, reconnaissez que vous n'êtes tout de même pas l'innocence incarnée, et qu'entre ces démarches fiscales (qui après tout ne regardent que vous) et certaines amitiés disons, discutables... oui, oui, je vais oser en parler, de cette habitude que vous avez pris, sous couvert d'universalisme bon teint, de déposer chaque année des cadeaux sous les sapins des enfants de dictateurs. Pourquoi ne pas l'assumer clairement, d'ailleurs, si vous estimez que c'est si normal ? Au moins dans votre cas n'est-il pas nécessaire de se demander ce que vous auriez fait en 1789. La presse à ne beau ne pas vouloir faire de vagues sur le sujet, on sait tous que les enfants Assad auront plus de cadeaux, et des plus beaux, que tous les autres enfants syriens, qui n'ont pourtant pas été moins sages cette année (il faut dire que c'est toujours un peu compliqué de faire des bêtises lorsque l'on n'a plus qu'une seule jambe. Ou qu'on est mort).

Bref, sans vouloir vous charger, il me semble que vous n'êtes pas forcément la personne la plus indiquée pour la ramener sur un mode aussi contestataire et moralisateur, vous qui n'avez jamais brillé ni par votre morale, ni par votre goût pour la contestation. Sous prétexte d'universalité et d'intemporalité, et sans doute aussi parce que vous bénéficiez d'un quasi monopole dans votre secteur d'activité, il me semble que beaucoup vous a été passé, depuis siècles. Subventions de Coca-cola, détournement d'argent public (ces innombrables coups de fil au Père Noël qui ont tant enrichi France Télécom dans les années quatre-vingts - tout ça pour ne même pas recevoir son maillot de Piet den Boer...), confortable neutralité durant la Guerre, prises de positions particulièrement réactionnaires au moment du Summer of Love, travail clandestin, maltraitance sur animaux (ce n'est pas parce que Rudolph retira rapidement sa plainte que le public se doit d'être dupe), multiples cas d'ivresse sur la voie publique - sans même s'attarder sur les rumeurs prétendant que vous auriez recours à des sous-traitants non-déclarés durant votre unique nuit de travail annuelle... à se demander pourquoi l'expression croire au Père Noël est encore aujourd'hui synonyme d'être un doux rêveur, quand l'ensemble de vos activités est frappée depuis la nuit des temps des sceaux du cynisme le plus choquant et de l'ultra-libéralisme le plus primaire. Vous avez tout à fait le droit de vous dire citoyen du monde, de ne pas être patriote, d'offrir de plus gros cadeaux aux bien portants qu'aux SDF. Vous avez tout à fait le droit, comme chacun d'entre nous, de disposer de la liberté de circulation pour vous-mêmes, vos capitaux et votre traîneau volant. Vous avez parfaitement le droit d'être un vieux connard égoïste et réac lorsque vous n'êtes pas en service. Mais votre fonction vous confère aussi certains devoirs. Prendre la parole de la sorte, à la veille de Noël, ne peut être considéré comme un geste anodin. A défaut de représenter la France, vous représentez tout de même dans le monde entier les personnes âgées, les gens qui s'habillent rouge, les moniteur de traîneau et les barbus. Vous comprendrez je l'espère ma gêne, qui ne remet évidemment pas en cause le plaisir que j'aurai ce soir à vous présenter mes petits souliers.

Bien cordialement,

Thomas.

P.S. : pour le maillot de den Boer, laissez tomber, de toute façon plus personne ne sait qui est ce joueur.

12 commentaires:

  1. Piet den Boer ... Le pauvre s'appeler Pierre le bourrin.

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    1. Question : est-ce que tu demandes spécifiquement à Alf ce genre de dessin ou bien c'est son choix à lui ? :-)

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    2. Pas de méprise: c'est pour savoir qui remercier pour le fou rire :-)

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    3. Pas du tout. Alf est, a toujours été et sera toujours totalement libre de ce qu'il dessine. J'assume bien sûr chaque crob à partir du moment où j'accepte de le publier (c'est-à-dire dans 99,99 % des cas), mais ça ne va pas plus loin : ce sont ses dessins, ses idées, c'est lui qui s'exprime. Et donc lui que tu dois remercier, le cas échéant ;-)

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  3. Tu te rends compte qu'il y a peut-être des enfants qui vont rechercher "lettre au père noël" et tomber là-dessus ? Et là le drame, les pleurs et : "dis papa, c'est quoi un exilé fiscal" ? :)

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    1. Tu rigoles mais j'y ai effectivement pensé, et ça m'embêtait un peu. Mais bon. Si je suis capable de tuer père et mère pour un bon mot, autant te dire que les enfants des autres...

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  4. ou pire: c'est quoi le Fisc Fuckisme !! franchement, Alf...

    en attendant cette lettre est fameuse. J'aurai juste ajouté quelques mots sur la mystérieuse disparition du principal concurrent du Père Noel, le Père Fouettard, dont on a jamais retrouvé le corps. Du coup comme chaque année mes gamins seront couverts de cadeaux alors meme qu'ils ne font que des conneries depuis au moins un mois....

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    1. Concernant le père Fouettard, il a je crois déposé le bilan il y a une vingtaine d'années. Ou été racheté par la Grinch, Inc., je ne sais plus...

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  5. Quel gros enfoiré, ce père Noël ^_^

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