jeudi 22 novembre 2012

In the Sixties When All's Well

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[Article publié en octobre sur Interlignage] Nous vivons dans les sixties. Cela fait quelques années maintenant. Cinq ou six, ou peut-être une cinquantaine – on finit par ne plus savoir. A la longue, on a fini par oublier à quel moment s’est popularisée cette curieuse fascination pour une époque il est vrai tellement plus facile et légère que la nôtre (Mad Men ? La voix d’Amy Winehouse ? Les courbes de Scarlett Johansson ?) Peu importe. Il suffit de taper « revival sixties » sur Google, voire « sixties » tout court, pour prendre mesure de l’ampleur du phénomène. C’est ce qui est bien dans les sixties : vous avez tout. Le look, la musique, les fringues, même les silhouettes. Esthétique complète. Full package. Sans surprise, ça vend bien. Tant pis si l’on pourra regretter – ou noter avec un brin de mauvais esprit – que ce n’est pas l’aspect le plus progressiste et avant-gardiste des sixties que l’on revivalise à tout va. Nous vivons dans les sixties, mais plus volontiers en 63 qu’en 67. Mais il est vrai qu’en 67, Love ou les Fabs vivaient déjà dans le futur. C’est moins carte-postale que les Ronettes ou Marilyn. C’est moins frais, aussi. Moins insouciant. Or c’est surtout cela que l’inconscient collectif blanc (forcément blanc) recherche dans ces sixties fantasmatiques. Nul besoin d’avoir étudié la sociologie en profondeur pour deviner que dans une période où l’ensemble de la population occidentale a été placée sous Tranxène, le souvenir d’un passé que l’on suppose plus glorieux (quitte à le réécrire au passage considérablement) est un refuge comme un autre.


Ma mère, photographiée par J-M. Perrier en train de danser sur du Sheila.

Alors nous vivons dans les sixties, et à tout prendre c’est sans doute plus sympa que de vivre dans les eighthies. Reconnaissons d’ailleurs qu’au départ, c’était une idée plutôt rafraîchissante. En même temps que toute une génération découvrait médusée que les anorexiques, c’est moche (ils n’étaient quand même pas très observateurs jusqu’alors), c’est tout un pan de la pop qui se voyait exhumé et réhabilité en l’espace d’une poignée de disques. Les Ronettes. Les Shangri-Las. Les Mamas & The Papas. Les Shirelles. Petula Clark. Une flopée d’artistes étincelant(e)s qui n’intéressaient plus jusqu’ici que quelques fétichistes de la pop, tandis que l’histoire les avaient un peu laissé(e)s de côté. Pas assez révolutionnaires. Trop commerciaux, peut-être. Trop innocents, sans doute, même si c’était souvent feint. C’est d’ailleurs ce dernier point qui fait que les albums s’inscrivant aujourd’hui dans cette filiation tiennent rarement la distance. Il n’est pas si facile d’être à la fois candide et grave, léger et mélancolique – bref : d’écrire son "Be My Baby" personnel. Tout le monde n’a pas le charisme (et, on l’oublie trop souvent, le talent d’écriture) d’une Amy Winehouse, et il ne suffit pas de prendre une chanteuse sainte-nitouche et de jouer comme l’on flirte pour réussir une telle entreprise 1. D’autant que la concurrence dans ce registre est sauvage, pour le moins. A ce petit jeu, certains se sont déjà envolés très haut. C’est à ceux-là que nous allons nous intéresser ce week-end, puisque les hasards des calendriers nous ont livré trois disques farouchement sixties – et franchement chouettes – en l’espace de quelques mois.


Les Voyageurs temporels. Il n’aura fallu que trois ans et deux albums à The School pour s’imposer comme la référence du genre, ou du moins comme les chefs de file involontaires d’un mouvement qui n’existe pas. Dans le fond, les Anglais ne sont jamais qu’un groupe twee dopé aux hormones, dont le premier opus – remarquable Loveless Unbeliever - s’est trouvé avoir la bonne couleur au bon moment. Véritable surprise de l’année 2009, porté par un songwriting affriolant, celui-ci a hanté bien des platines, parfois à l’insu du plein gré de leurs propriétaires, et c’est ainsi presque en pointure que The School revient en 2012. Le titre est improbable (Reading Too Much into Things Like Everything), la pochette verse dans le cliché en voulant la jouer référence, mais ce contenu… fichtre, ce contenu. Douze titres incandescents, aux mélodies incroyables et à l’humeur si fiévreuse que l’on oublie (et volontiers, encore), le côté choucrouté de la production. On doutait qu’il soit possible de faire encore plus rétro, carré et enivrant que le premier album du groupe, qui avait fini avec le temps par devenir le mètre-étalon via lequel on évaluait la plupart des artistes similaires. Eh bien si, c’était possible. Au point d’hésiter très sérieusement : Reading Too Much… est-il bien un album de 2012 ? Ne s’agirait-il pas de reprises de standards que l’on aurait oubliés ? D’un plagiat éhonté ? D’un voyage dans le temps ? Heureusement que par instants, la dynamique de tel ou tel morceau (l’excellent "Never Thought I’d See the Day", au hasard) vient rappeler que The School est bien un orchestre de sa génération – à défaut d’être un groupe de son temps. Qui signe juste, avec ses "That Boy Is Mine", "It’s Not the Same" et autres "Why Do You Have to Break My Heart Again?", l’un des meilleurs albums de l’année. 2012. Ou 1965, on ne sait plus.


Les Fétichistes. Un petit bond de quelques années en avant, et voici que l’on retrouve de vieilles connaissances. Déjà encensé dans ces pages l’an passé, le Monkberry Moon Orchestra récidive ces temps-ci avec un second opus, sur le bon vieux thème d’on ne change pas une équipe qui gagne (des fans. Pour les disques d’or, on a quand même un doute). C’est (trop) court (six titres), lancinant, régulièrement brillant, et Mama Cass n’est jamais très loin. Si le principe n’est fondamentalement pas très éloigné de celui présidant à The School, le Monkberry Moon Orchestra vit pour sa part dans la Californie de 69 plutôt que dans l’Angleterre de 65 – cela cogne aux oreilles dès les premières notes d’un "Mystic Magic" plus pugnace qu’il en a l’air. On ignore si l’amour libre et le LSD sont au programme, mais le romantisme est bien là – en proposant un disque intitulé A Beat for the Lovers, le contraire eût été étonnant. Avec au moins deux grandes chansons au menu ("I Have to Live Anyway" et surtout "Things Don’t Ever Last"), ce mini-album s’écoute une fois, puis deux puis douze… avec chaque fois le même bonheur. Oui, vous avez bien lu : bonheur. C’est l’exact sentiment qui saisit à l’écoute de mélodies aussi lumineuses que celle d’"Olds Songs Grom Home". Autant dire que c’est plutôt rare.


La Classe à part. Le cas de Mademoiselle Nineteen est légèrement différent des deux précédents, et il est sans doute un peu inexact et cruel de l’évoquer ici (vous noterez qu’on ne va se priver de le faire quand même). Inexact car en plus de chanter en français la jeune fille 2, de son propre aveu, ne vit pas vraiment dans le passé et n’écoute ni ne connaît pas plus que cela les artistes auxquels on est instantanément tentés de l’associer. Et cruel parce qu’à côté des albums susmentionnés le sien, moins abouti et même plombé par un très mauvais morceau, pourra paraître un peu light 3, comme de comparer l’album d’une star avec celui de sa petite sœur. Mais justement, la métaphore peut se filer à l’infini : Mademoiselle Nineteen, c’est un peu votre petite sœur. Son album comme son look ont par instants quelques choses de terriblement sixties (géniale "Quelle importance", touchant et candide comme du France Gall de la bonne période) parce qu’elle vit dans son époque, et que son époque, au cas où le lecteur n’aurait pas tout suivi de l’article, est aux sixties. C’est comme un ricochet, en quelque sorte. Ou un dommage collatéral (bien beau, le dommage). Bon, soit, c’est sans doute aussi parce qu’une bonne moitié du disque est l’œuvre du duo Duvall/Schoos, que l’on peut difficilement suspecter de ne pas connaître son manuel d’histoire de la pop. En filigranes, on sent bien que les deux brigands sont dopés par la fréquentation d’une toute jeune demoiselle 4 et s’amusent comme des petits fous, Schoos à bricoler des choses qu’il pourrait difficilement caser ailleurs ("Juillet brillait"), Duvall à trousser des textes d’une simplicité et d’une naïveté telles qu’on imagine mal quelqu’un de plus de 30 ans en train de les chanter ("Tu ne veux plus de moi"). Le résultat est un peu bâtard mais au moins, en écoutant Mademoiselle Nineteen, on sait en quelle année nous sommes. D’ailleurs, le meilleur titre de l’album, gracieux "Je marche sur des pétales de roses", est l’un des mois rétros du lot. CQFD.


👍👍👍 Reading Too Much into Things Like Everything 
The School | Elefant, 2012

👍👍 A Beat for the Lovers
The Monkberry Moon Orchestra | Echo Orange, 2012

👍 Mademoiselle Nineteen 
Mademoiselle Nineteen | Freaksville, 2012


1. Voir le nouvel album à paraître des sympathiques Tender Trap qui, pour n’en pas moins évoluer dans un registre twee plus contemporain (donc années 90, haha), peine, et c’est peu de le dire, à rendre sa vibe sixties crédible plus de trois secondes.
2. Ou femme ? Cela faisait longtemps que nous n’avions pas soulevé la question dans ces pages.
3.
On n’a pas dit non plus, ceci dit, que vous deviez écouter ces trois disques à la file, vous avez le droit de les aimer pour eux-mêmes, ne vous gênez surtout pas pour nous.
4.
Oh ! Qui a dit « ça les change de Marie France » ?!!

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