jeudi 22 novembre 2012

Crime & The City Solution - Traffic de bonnes influences

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[Article paru en septembre sur Interlignage] Hasard des calendriers, c’est au moment où Woven Hand publie un nouvel album que l’on qualifiera gentiment de poussif à force de verser dans toujours plus d’héroïsme ampoulé, que paraît une compilation futée de ce qui est peut-être sa plus grosse influence. Crime & The City Solution, collectif protéiforme que (le monde est petit et la vie bien faite) l’ex-leader de 16 Horsepower vient justement de rejoindre en tant que guitariste. Pour un peu, on serait presque tenté de se lancer dans une chronique croisée, pulsion que l’on réprimera heureusement de toutes nos forces : ce serait fort peu respectueux pour les uns, et un peu cruel pour les autres – on vous laisse deviner lesquels.


Le susnommé hasard des calendriers n’existant en réalité plus, en matière de musique, depuis les années 80, on ne sera pas surpris d’apprendre qu’en ligne de mire se trouve un nouvel album programmé pour 2013 – autrement dit plus de vingt ans après le dernier en date. On se gardera toutefois de l’habituel mauvais esprit accueillant la traditionnelle compilation qui précède la proverbiale tournée qui introduit l’inévitable reformation. Avec Crime & The City Solution, les choses sont forcément plus compliquées que cela. Ne serait-ce que parce que pour se reformer, il faudrait encore avoir jamais eu une formation. Or l’histoire – la nature ! – de Crime, donc de son âme torturée Simon Bonney (lui-même quasiment rangé des amplis depuis plus de quinze ans), est précisément celle d’une entité multiple, mutante, un genre de champ remis régulièrement en friche. On notera d’ailleurs que cette compilation n’a pas la prétention de la raconter dans son intégralité, cette histoire. C’est qui la rend plutôt pertinente.

Car Crime & The City Solution est un (non)groupe intermittent, ou peut-être périodique, dont l’œuvre n’a jamais cessé de hoqueter au gré des déménagements de son créateur – au gré de ses rencontres, aussi. C’est sans doute ce qui explique que bien que cousin germain d’une famille de musiciens plus cultes les uns que les autres (toute cette galaxie increvable et consanguine s’étendant – on résume – de Nick Cave à Michael Gira en passant par Lydia Lunch, Conway Savage ou Neubauten), Bonney n’ait pas connu la même postérité – pour ne pas dire que son nom ne dira strictement rien à un nombre conséquent d’amateurs de rock’n'roll sérieux 2. Il ne s’agit pourtant ni du moins bon, ni du plus abrupt des sonwrgiters de cette génération. Bien au contraire.


Oscillant, comme la plupart des albums de la vraie fausse tribu à cette époque (1987-91), entre post-punk emphatique et blues brumeux (à moins que ce ne soit l’inverse ?), villes nocturnes et marécages, la période de Crime ici compilée n’a de berlinoise que le nom (et le point de chute). Rien à voir avec l’influence teutone qui imprimera par exemple le travail d’un Nick Cave à partir de Junkyard. Moins dégingandées que ce produisaient alors les Bad Seeds, moins austères que chez le Current de l’époque, moins rêches – personne ne s’en étonnera – que du côté du Gun Club, les compositions de Bonney, toujours habilement produites, n’en trouveront cependant pas un écho moins favorable chez la plupart des amateurs des uns et des autres (qui de toute façon, on l’aura compris, sont plus ou moins les mêmes). Et si le précédent chapitre (londonien) de cet étrange attelage pouvait par instants avoir des airs de succédanés, l’artiste en est en train de trouver voie et voix au moment où l’on le capte sur ce disque (soit donc en 1988 avec "All Must Be Love", cavien jusqu’au bout des cordes vocales). Une manière bien à lui d’éructer. Une musique aux mélodie limpides, toute de cassures, au sein de laquelle les guitares d’Alex Hackle tissent, décomposent, flirtent ou écorchent (doublette schizophrène "Home Is Far from Here" / "Hunter"). Un (bon) goût pour les pièces montées – la tétralogie de "The Last Dictator" en témoigne.

Dans la foulée de cette dernière, les extraits du classique (ou disons de l’album le plus communément apprécié du groupe) Paradise Discotheque occupent presque la moitié du disque à eux tout seuls, ce que l’on pourra difficilement déplorer tant Crime & The City Solution, malgré d’innombrables qualités et quelques vrais coups de génie ("The Dolphins & The Sharks", Tindersticks avant l’heure ; l’étrange et hypnotisante "The Sun Before Darkness"), pouvait parfois avoir du mal à totalement convaincre sur la durée entière d’un LP. C’est l’enseignement paradoxal de cette compile que l’esprit le plus retors aura du mal à ne pas trouver excellente : Crime n’était ni le plus original, ni le meilleur groupe de sa génération. Pourtant deux décennies plus tard, en regard de la production contemporaine (rock, post-punk, folk-blues, post-rock et même post-folk-blues si vous voulez), il n’est pas une note de ce disque qui ne paraisse autre chose que monumentale. Tout un symbole, même si l’on ne s’aventurera pas à affirmer de quoi. Ceux qui se sont occasionnellement demandés pourquoi un accord tacite excluait les compilations des charts de fin d’années détiennent en tout cas désormais mieux qu’une réponse : une preuve.


👍👍 A History of Crime (Berlin 1987-1991) : an Introduction to Crime & The City Solution
Crime & The City Solution | Mute, 2012



 1. Quoiqu’évidemment encensé un peu partout, David Eugene Edwards faisant partie de ces artistes dont la presse (un peu) et le Net (principalement) ont pris l’habitude de noter les albums avant même de les écouter.
2. Les amateurs. Mais le rock’n'roll aussi, d’ailleurs.