jeudi 21 juin 2012

Eclipse totale de rubrique

[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - N°102]
It's a Miracle - Chokebore (2002)

C'est un peu comme un miraculeux alignement des planètes. Je guette donc le miracle. Pour la première fois depuis plus de trois ans que la rubrique 10 Years After existe, pour la dernière fois sans doute avant des années, celle-ci croise et entre en contact avec la rubrique Mes disques à moi (et rien qu'à moi), doyenne de ce site. Disque de mon mois de juin 2002 1, celui-ci a également gagné au fil des années une place amplement méritée au sein de ma discothèque idéale.

De miracle il est justement question dans le cinquième album de Chokebore, même si l'on n'a jamais su exactement duquel il s'agissait. Peut-être tout simplement de son existence, après quatre longues années de silence. Peut-être de sa qualité prodigieuse, pou être l'oeuvre d'un groupe au bout du roulot. Non, pas vrai ça : on sait depuis (au moins) la fin des années soixante que les groupes au bord de l'implosion sont capables, jetés dans leurs derniers retranchements, de sublimes derniers râles. C'est beau. Ce n'est pas un miracle du tout. Personne n'ignore que rien n'est plus émouvant et dangereux qu'une bête qui meurt.


C'est ce proverbial rôle qu'interprète ici Troy von Balthazar, feulements douloureux à l'appui. Dès "Ciao L.A.", morceau catchy à l'apparence héroïque, le malaise suinte. "You can't make me stay/I am not like your are/I won't stay in L.A./To die inside my car". 2 Le second morceau ne relève pas trop l'ambiance. Pesant, crépusculaire, "Geneva" concourt sérieusement au titre de chanson la plus triste du monde : scansion désabusée, refrain cynique et blasé à vous dégoûter de l'amour ("I'm not alone, when I'm without you"). Le genre de chansons qui passe plusieurs vies à vous hanter, de préférence lorsque vous vous sentez coupable, de préférence lorsque vous n'êtes pas à jeun.

J'isole ces deux premiers titres car pour excellents qu'ils soient, ils diffèrent esthétiquement de la suite. Je n'ai jamais compris pourquoi et pour être franc il y a dix ans, cette scission me semblait constituer l'un des défauts majeurs de l'album. Aujourd'hui, je m'en fous un peu. Et avant que l'on me pose la question : non, le changement de cap musical ne m'a pas dérangé plus de trois secondes. Car c'est un sacré revirement, alors, que ce disque-ci. Black Black, aura peut-être été symboliquement le dernier disque majeur de l'ère grunge. Un peu tard, à l'heure où les Smashing Pumpkins, Lanegan ou Pearl Jam achevaient, qui avec Adore, qui avec Scrapts at Midnight et qui avec Yield, de jeter la dernière pelletée de terre sur le genre. Chokebore, c'était de toute façon la deuxième vague. C'était presque déjà du post-grunge3. It's a Miracle, en quelque sorte, invente le post-post-grunge. Soit donc une sorte d'indie-rock hoquetant entre pulsions auto-destructrices ("Geneva", "Snow") et pop comateuse parcourue de secousses noise ("Be Forceful", "I Love the Waiting"). Je me rappelle m'être dit à l'époque que Chokebore avait remarquablement digéré les enseignements de Radiohead, cette manière de sauter de la dépression à l'épilepsie, de toujours rester sous tension même s'agissant de se poser le temps d'une ballade lennonienne sublime ("Ultra-lite"). Les années et la maturité m'ont amené à réaliser combien cet album est plus original et profond que je le percevais à l'époque. Dans le fond, It's a Miracle ne ressemble pas à tant de monde que cela, excepté peut-être - et encore - à un trait d'union virtuel entre le Chokebore des années quatre-vingt-dix (c'est presque un pléonasme) et la carrière solo de Troy von Balthazar. A l'époque, la plupart des mes amis n'avaient d'yeux que pour Muse et Placebo, stars indies de plus en plus proche de l'explosion commerciale et de l'implosion artistique, pas encore devenues honteuses mais à l'intérêt déjà contestable. Je trouvais que Chokebore proposait à ceux-là une alternative parfaite, conciliant le lyrisme prog des premiers ("Police") et l'efficacité pop indé des seconds ("Little Dream"), sans jamais se renier et en injectant ce qui leur faisait si douloureusement défaut : un souffle, une intensité... une violence qui, ici, n'avait rien de feinte. Crispante et libératrice à la fois.

Nous n'étions pas nombreux à le penser. De manière inexplicable, It's a Miracle ne s'est quasiment pas vendu, y compris chez les fans du groupe (ceux là-même qui sacrilisent le grunge de seconde zone de Motionless, dispensable premier album - il y a de quoi se poser des questions), ce malgré une tournée tellurique pour le défendre (j'en frémis encore, de ces concerts), ce malgré une très bonne presse, ce malgré même l'indéniable potentiel tubesque d'un "Ciao L.A." - qui aurait théoriquement dû mettre les radios étudiantes à genoux. Alors aujourd'hui que le groupe a acquis un statut culte mérité, à l'ancienneté aussi bien qu'à l'huile de coude 4, et s'attire des critiques comme il n'en a jamais eues à l'époque... j'ai du mal à ne pas sentir comme un petit goût de revanche. Sinon pour lui, du moins pour moi. Ce qui est je l'accorde complètement con. Mais dit bien le rapport que j'entretiens avec ce disque.

Chokebore - It's a Miracle by T. Sinaeve on Grooveshark

Trois autres disques pour découvrir Chokebore :

Anything Near Water (1995)
A Taste for Bitters (1996)
Black Black (1998)


(1) Il est en fait sorti en avril, mais la rubrique 10 Years After n'étant plus mensuelle, il me semblait logique de sélectionner désormais les albums de manière moins étriquée.
(2) True story, comme nous le confia l'intéressé.
(3) Par pure honnêteté intellectuelle, on précisera ici que le groupe - qui ne vient pas de Seattle - a toujours rejeté cette affiliation. Sans doute parce que Troy n'écoute jamais ses vieux albums, sans quoi il se serait aperçu depuis des années qu'on peut difficilement faire plus typé "son des nineties", comme on dit.
(4) Peu de combo ont autant galéré que celui-ci.

4 commentaires:

  1. Pas forcément d'accord sur le "dispensable" motionless, shine et motionless sont des morceaux enormes, et que dire de coat... surlequel 17 ans plus tard je vais encore au pogo, des le rugissement de Troy. Mais ça je crois qu'on en a déja discuté.

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  2. Ah, c'etait bon quand même Chokebore periode grunge. C'est vrai que ca n'a pas super bien vieilli sur certains morceaux mais alors juste Motionless hein ;)

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    1. tentant. dommage qu'il ne soit pas en écoute sur grooveshark...

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  3. Magnifique! vraiment le genre de disque que j'adore... thanks.

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