dimanche 16 octobre 2011

Breaking Bad - Who's that Knockin' at My Door?

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[Taux de spoil : 35 %] Rarement série aura à ce point joué avec les nerfs de son spectateur. L'an dernier, Breaking Bad nous avait laissés sur un pic de tension extraordinaire, si extraordinaire en fait que sa suite directe ne pouvait être qu'une descente brutale. Et en effet, la série lève brutalement le pied. En fait de descente, celle de Jesse, errant éperdu et ne supportant plus le silence assourdissant de sa culpabilité, a quelque chose d'effrayant et marque le lancement d'une nouvelle saison dont on mettra quelques temps à déterminer si elle se jouera réellement pian pian, ou bien si elle ne fait qu'installer le calme avant la tempête. Passons sur le peu de foi de certains illuminés qui voulaient déjà clouer l'ensemble au pilori au bout de deux épisodes, visiblement peu enclins à accorder le bénéfice du doute à un show qui a à ce point dominé la concurrence ces dernières années qu'on lui doit - du moins croyait-on - un minimum d'égards. La bonne réponse est évidemment la numéro 2 : Breaking Bad avait besoin de ralentir le tempo et de retrouver quelques bases (vie quotidienne, scènes plus ouvertement comiques, intrigues secondaires plus aérées) avant de recommencer à tout faire exploser de toutes part (au propre comme au figuré).

En réalité et sans trop en dire sur une fin de saison apocalyptique, la série passe de longs épisodes à développer une partition subtile visant à nous laisser croire que tout ceci, la série, les crimes de Walter White... que tout cela n'a servi à rien. Tout semble différent, et pourtant tout est pareil. Il était séparé de sa femme, le revoilà plus soudé que jamais avec elle. Il commençait la série livré à lui-même avec Jesse, et c'est exactement comme cela qu'il termine la saison. Il n'avait pas un rond ? Suite à une habile réaction en chaîne, il est toujours aussi fauché. La mort lui pendait au nez dans le premier épisode, elle lui pend plus que jamais au nez dans le dernier. Il aura eu beau mentir, voler, tricher, tuer... d'une manière ou d'autre, Dieu, la vie, le Destin ou la Mort - appelez cela comme vous voudrez - finit par venir réclamer son dû. Et ainsi aura-t-on vu Walt rongé (et en grande partie perdu) par son orgueil durant treize épisodes. Qu'il soit prof de chimie ou fabriquant de meth, finalement, peu importe : Mister White reste intimement persuadé qu'il vaut mieux que la vie qu'il mène et qu'il méritait mieux que les cartes qui lui ont été distribuées. Deux scènes sont hautement révélatrice de ce qui bouillonne en lui : la première est évidemment la fin de l'épisode cinq ("Shotgun"), lorsqu'un Walt passablement éméché lâche la rampe, incapable de supporter l'idée qu'on puisse le confondre avec le premier Gale Boetticher venu, et relance volontairement (?) Hank sur sa propre piste. L'autre, c'est le fascinant et horrifiant monologue dont il se fend dans l'épisode "Cornered", à l'attention de sa femme (4x06) : "Mais à qui crois-tu t'adresser, là ? Qui penses-tu avoir en face de toi ? As-tu la moindre idée de combien je me fais en une année ? Je veux dire... même si je te le disais, tu  ne pourrais pas le croire. Sais-tu ce qui se passerait si je décidais subitement d'arrêter d'aller travailler ? Penses-y : un business si énorme qu'il pourrait être inscrit au NASDAQ, qui disparaîtrait, comme ça... qui cesserait totalement d'exister sans moi ? Non. Tu n'as manifestement aucune idée de celui à qui tu parles. Alors laisse-moi t'éclairer : je ne suis pas en danger, Skyler. Je suis le danger. Un type qui ouvre sa porte et se fait descendre, hein ? C'est comme ça que tu me vois ? Non. Moi, je suis celui qui frappe à sa porte."


Le passage est d'autant plus frappant qu'il survient au moment où Skyler décide de manière unilatérale qu'il peut revenir vivre chez eux, exactement comme elle décidait de tout avant qu'il ne parte en vrille (break bad). Plus les épisodes passent et plus Skyler renfile la culotte, et plus il semble évident que Walt ne parviendra pas longtemps à faire semblant tant il est profondément animé, torturé même, par son désir pathologique de reconnaissance. De là découlent erreurs presque ridicules (le champagne, la voiture offerte à son fils, le rapport subitement entretenu avec un argent qui, jusqu'alors, semblait fort peu l'intéresser, et dont tout le monde paraissait pouvoir profiter impunément - Gus, Skyler, Hank et Marie, même l'autre abruti de Ted - sauf lui), comme ce sentiment diffus que Walter White est en train de péter les plombs par-dessus son pétage de plombs initial. Parce que sa part d'ombre, il s'en aperçoit par éclats, était aussi et peut-être surtout une part de liberté dont il ne peut que constater qu'elle était illusoire. Ne restent que son orgueil et son aigreur, démesurés l'un et l'autre, à trop vouloir se croire indispensable, à trop vouloir se voir l'égal de Gus Fring. Or, il en est loin, de cet être presque inhumain, en apparence infaillible, cet être qui est le danger. L'effet de balancier est fascinant, puisqu'à la minute où le monologue sus-cité est prononcé, le scénario démontre de manière méthodique et implacable que quoiqu'il fasse, quoiqu'il dise, Walt semble condamné à être le "type qui ouvre sa porte et se fait descendre", et non celui qui frappe à la porte. Si on le voit terrifié comme jamais à l'idée de mourir, quand son cancer ne lui a jamais inspiré de véritable crainte, ce n'est pas parce qu'une balle dans la tête serait plus douloureuse qu'un cancer du poumon - c'est tout simplement parce qu'il ne peut et ne pourra jamais accepter cette évidence que le destin ou la vie ou Dieu veulent lui faire avaler : non, tout cela n'a servi rien. Non, il n'est pas un type extraordinaire décidant du jeu, mais bien un type aussi talentueux que médiocre, éternellement esclave de l'engrenage dans lequel il a mis le doigt.

La formidable ironie de Vince Gilligan, c'est de détourner ce sentiment pour en faire un nouveau palier dans la trajectoire infernale du personnage : retrouvant sa frustration et sa peur de la mort, redescendant sur terre, d'une certaine manière, Walt parvient à s'arracher à cette situation et à s'épanouir encore un peu plus dans l'amoralité. Pour devenir l'égal de Gus, finalement, il n'y avait pas grand-chose à faire : il suffisait d'abandonner ses derniers scrupules. De laisser l'humanité qu'il lui restait au vestiaire, bien calée entre sa combinaison et son masque.


👍👍👍 Breaking Bad (saison 4)
créée par Vince Gilligan
AMC, 2011



30 commentaires:

  1. Difficile de ne pas être un poil déçu par cette saison, qui ne retrouve pas l'intensité de la précédente, ni la lenteur menaçante de la 2, ni l'humour corrosif de la première. Cependant, et comme tu le soulignes, on reste dans un très haut niveau d'exigence, où beaucoup de choses qui semblent inutile en amont prennent tout leur sens, en aval.

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  2. J'avais des réserves depuis le début, là j'ai vraiment eu du mal à accrocher. Les premiers épisodes sont assez lents et mauvais, le milieu est pas mal, la fin c'est un peu n'importe quoi (le nombre d'incohérences dans le dernier épisode est délirant, on se croirait dans Lost)

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  3. J'avais des réserves depuis le début, là j'ai vraiment eu du mal à accrocher. Les premiers épisodes sont assez lents et mauvais, le milieu est pas mal, la fin c'est un peu n'importe quoi (le nombre d'incohérences dans le dernier épisode est délirant, on se croirait dans Lost)

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  4. Oups ! désolée pour le doublon.

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  5. C'est une saison difficile à saisir. J'ai été lire l'article de Joris, et je comprends le parti de la couper en deux (même si, pour moi, il y a même trois parties distinctes). Disons que la fin rachète beaucoup un début cahoteux. On ne sait pas trop quel point de vue global en tirer, mais c'est aussi parce qu'une saison n'est pas exactement égale au chapitre d'un livre.

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  6. Les premiers épisodes m'ont quand même laissé perplexe. Ils sont bons, bien entendu, mais après "Open House" on pouvait légitimement se demander où on allait. Après, évidemment, quand on connait les scénaristes, on sait qu'ils aiment jouer à se faire peur. Mais tout de même, on avait été habitué à des départs un peu moins laborieux.

    Pour moi la saison décolle à partir de "Problem Dog", qui lance pour de bon une série d'épisodes sur lesquels il n'y a rien à redire. Avant, c'est surtout par petites touches, des réflexions sur Walt, un peu à la Mad Men. Enfin bref, je pense que de toute façon c'était la saison qui était la plus difficile à faire au niveau du scénario, et ça a été très bien réussi au final.

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  7. Ah, et excellent titre en passant.

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  8. Thom > Joli analyse de la figure de Walt (on a y a droit tous les ans mais on se lasse pas ^^)

    Jc > ben non, ce serait plutôt chapitre/épisode et saison/volume!

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  9. Ah, j'ai quand même oublié un bon point dans cette saison : l'évolution de Skyler. La psychologie de ce personnage est de plus en plus dense et complexe, ils ont vraiment cassé son côté "housewife castratrice" pour en faire une héroïne vraiment touchante. La qualité des personnages, c'est d'ailleurs la vraie qualité de Breaking Bad (parce les intrigues bon...)

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  10. Ce qui est un regrettable, et que l'on souligne peu, c'est que les ressorts de Breaking Bad demeurent très communs. Walt protège sa famille, Jesse protège sa famille, Mike et Jesse créent une relation filiale par-dessus la relation filiale entre Walt et Jesse...c'est un peu redondant, à la longue. Le retour de Walt dans le giron familiale c'est, pour moi, la vraie déception de cette saison. Ce qui implique que je ne sois pas complètement d'accord avec l'article : Walt n'est pas l'égal de Gus et tant qu'il continuera à "flipper pour ses proches", il ne pourra pas l'être.

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  11. Je fais sans doute partie des (semi-) illuminés ^^
    Mais bon, je persiste et signe : un début laborieux, un milieu fort plaisant voire génial et une fin (surtout le dernier épisode, si ce n'est le plan final qui en dit énormément) à nouveau décevante ...

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  12. Comme toujours sur Breaking Bad, des commentaires riches (et un peu prise de tête ;-)

    Lil' >>> tu sais ce que je pense des procès en incohérences... ça me fait la peine que, toi, tu tombes dans ce gros piège...

    Joris >>> départ laborieux, peut-être, mais en toute honnêteté je n'ai aucun souvenir des premiers épisodes des saisons 2 et 3, j'aurais donc bien du mal à être aussi catégorique. Je crois surtout que le découpage structurel est étrange (trois chapitres, comme le notait J-C), dans son choix de commencer par l'épilogue de la saison 3 plutôt que par le prologue de la saison 4. Les scénaristes se sont certainement pris les pieds dans l'énorme cliff de fin de saison 3 et ont dû mettre un peu de temps à s'en dépétrer, Breaking Bad n'étant pas, par définition, le genre de série où les conséquences d'un tel épisode se règlent en vingt minutes par un quelconque deus ex machina.

    (et merci pour le titre, ça fait plaisir de temps en temps que quelqu'un s'aperçoive du soin que j'essaient de leur apporter ;-))

    (autrefois on m'accordait le titre de "génie du titre"... c'était un autre temps, dans une autre vie, quand les lecteurs du Golb étaient gentils et chaleureux et postaient 300 commentaires par semaine :-( )

    C-U-L-P >>> tu n'as sans doute pas complètement tort dans ta conclusion. Je m'attendais, je l'avoue, à ce qu'enfin l'un d'entre eux se fasse dessouder (et j'aurais bien misé sur Marie).

    Thierry >>> sans aller jusqu'à parler de déception, je suis assez d'accord sur le côté un peu insatisfaisant du dernier épisode. En fait le onzième, "Crawlspace", était si magistral, si parfait de bout en bout qu'on était en droit d'attendre que les deux suivants soient encore plus forts, ce qui n'est pas le cas. Un truc qui m'a choqué, dans la dernière scène du final, c'est la nullité de la musique qui l'illustrait... et ça, c'est assez notable dans une série où l'illustration sonore a jusqu'ici toujours été de très bon goût.

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  13. C'est pas faux du tout, ce que tu notes sur la musique de la fin. J'y ai vu un côté parodique, tout comme dans la "victoire" très discutable de Walt...

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  14. Attends. Admets que le plan "machiavélique" de Walter est quand même et surtout, une succession de hasards et de coups de bol pas possibles ! Quand tu compares avec les plans de Vic Mackey y a pas photo quand même. Il y a des qualités dans Breaking Bad, mais la complexité scénaristique n'en est pas une...

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  15. J'allais juste commenter l'article et là je vois le dernier commentaire de Lil...franchement merci, enfin quelqu'un qui pense comme moi. BB c'est super pour l'ambiance, les persos, la réal, mais la partie thriller est vraiment lourde et mal fichue je trouve.

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  16. Florian U : je confirme, on est d'accord ;)

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  17. @Lil' et Florian : d'accord, le coup du muguet fait peut-être "retournement à deux euros", mais pour le reste, n'exagérez pas non plus, on n'est pas dans NCIS ou CSI...

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  18. Ca débat sec ici :-)

    Moi j'ai enfilé les quatre saisons d'un coup, j'ai pas vu vraiment de baisse de niveau énorme.

    C'était la contribution inutile du jour :-)

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  19. et même de la semaine à ce niveau d'inutilité ^^

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  20. oh my j'ai été traumatisée par la saison 1... et j'ai arrêté là, même si c'est une excellente série (du moins en ce qui concerne la saison 1 pour les autres je te fais confiance :-)

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  21. Lil' >>> c'est certain que le scénario n'est pas ciselé comme ailleurs, et je pense que ce n'est pas le but recherché.

    Florian >>> mais c'en est pas un, de thriller...

    Bloom >>> "n'exagérez pas non plus, on n'est pas dans NCIS". La voix de son maître :-D

    El-JAM >>> enfin un peu de bon sens.

    yueyin >>> "traumatisée" ? C'est-à-dire, en quoi ?...

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  22. C'est glauquissime, ça me fait froid dans le dos d'assister à cette descente aux enfers d'un homme ordinaire (enfin apparemment) brrrrrrrrrrr

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  23. Ah oui, ça pour être glauque, c'est vraiment glauque.

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  24. je n'ai pas dépassé la saison 1 mais tout ça me donne envie de m'y replonger !

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  25. C'est sûr que la saison 1 reste un peu à part dans le récit ; en dehors même de ses défauts (beaucoup de raccourcis narratifs du fait du faible nombre d'épisodes), la série commence réellement - à mon avis - lorsque le spectateur comprend que Walter White n'est pas "juste" un type malade du cancer qui fait n'importe quoi, mais un vrai criminel en puissance, ce qui se révèle surtout dans la seconde saison.

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  26. Malgré les péchés véniels de cette saison, ne boudons pas notre plaisir... Votre belle analyse me console - un peu - d'avoir à attendre des mois la saison 5.

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