mercredi 7 septembre 2011

AC/DC - Un petit groupe qui monte

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Lister les raisons pour lesquelles Let There Be Rock : The Movie – Live in Paris est un objet de culte depuis presque trente-cinq ans pourrait prendre des heures si le simple fait d’être un témoignage live et vidéo d’AC/DC avec le grand Bon Scott (mort étouffé dans son vomi 1 deux mois après ce concert) ne constituait déjà, en soi, une raison suffisante de faire de cette vieille VHS pourrie une pièce de collection. Laquelle ne le sera donc plus pour longtemps, puisque le concert se voit (enfin) réédité en DVD et Blu-ray dans un coffret pour le moins conséquent, à défaut d’être somptueux. Enfin vous avez le droit de trouver somptueux d’avoir un poster ou un médiator, mais à côté de la qualité du live lui-même, tout cela demeure au maximum anecdotique (même si l’on reconnaîtra qu’il était de toute façon difficile de trouver bonus à la hauteur de cette prestation mythique).

Rebaptisé simplement Let There Be Rock à l’occasion de ce retour dans les bacs (au risque qu’il y ait confusion avec l’album studio du même nom paru trois ans plus tôt ?), l’objet est devenu rond, gorgé de bonus (pas tous indispensables, quoique sympathiques) et pourvu d’un son à décorner veaux et vaches, mais dans l’ensemble c’est toujours ce bon vieux gig, dont on ne saurait dire à quel point on est heureux de pouvoir le regarder dans des conditions optimales 2. Entrecoupé d’images backstage et pourvu d’une set-list qui ferait baver n’importe quel groupe de rock en 2011, ce film a le mérite rare de capter un groupe à l’allure encore juvénile (vingt-sept ans de moyenne d’âge à l’époque, et Angus Young a l’air d’en avoir vingt) qui, en cet hiver 1979, est très précisément à la croisée des chemins. En l’espace de quelques mois, AC/DC a rompu avec l’habituelle production roots de la paire Harry Vanda/Malcolm Young pour se tourner vers Mutt Lange, celui qui les fera sortir de l’anonymat autant qu’il les transformera en monstres de stades. L’album paru en avril s’intitule Highway to Hell, et il est un succès mondial, premier de leurs disques à accrocher le Top 20 au Billboard US, ce qui au temps où les disques se vendaient constituait la preuve irréfutable qu’un groupe marchait vraiment (ou non, dans le cas contraire). Ces jeunes gens l’ignorent encore, mais ils sont en train de devenir plus que des stars : l’un des groupes les plus populaires de toute l’histoire du rock’n'roll.


AC/DC est donc en pleine mutation, s’éloignant de plus en plus du hard blues de ses débuts et optant pour un son autrement plus radio friendly qui, c’est le moins qu’on puisse dire, portera ses fruits. De toute évidence à en juger par les extraits d’interviews entre les morceaux, les cinq jeunes gens n’en ont absolument pas conscience – c’est ce qui rend la prestation délicieuse. Croisée des chemins ou non, le groupe n’a encore rien perdu de sa morgue, de son magnétisme ni de l’intensité de ses prestations. Tout cela sera pour plus tard, après la mort de Bon Scott, après l’introduction du sympathique Brian Johnson. Sans doute, avec Scott, le groupe n’aurait-il jamais publié des choses aussi couillonnes que Flick of the Switch (1983). Entendons-nous bien : il n’y a pas vraiment de mauvais album d’AC/DC. Il y a juste les six avec Bon Scott et les autres. Si vous vous demandez pourquoi, c’est que vous n’avez jamais (ou pas encore) jeté un œil à cette vidéo, ou une oreille à l’encore-plus-génial live If You Want Blood… You’ve Got It (1978). Sur l’une comme sur l’autre, on est subjugué par le charisme et la présence de Bon Scott, même à travers un écran de télévision. Sa voix a tout le vice, toute la malice qui font la différence entre le bon chanteur et le vrai chanteur de rock’n'roll. Sur "The Jack", il convoque purement et simplement les ténèbres (au propre comme au figuré – le lightshow est pour le moins minimaliste à ce moment du concert). Et plus le titre est bluesy, plus Scott provoque frémissements et transpiration (on ne regrettera jamais assez l’absence de la tracklist d’une chanson comme "Overdose"). Certes, le groupe ne joue déjà plus que des tubes ("Highway to Hell", "Hell Ain’t a Bad Place to Be", "Let There Be Rock" bien sûr), mais cet AC/DC-là n’est assurément pas celui que l’on va voir aujourd’hui en famille comme on irait à la fête foraine ou au Parc Astérix. Il suinte le danger et l’urgence (voir la prodigieuse version de "Sin City", ou ce "Rocker" presque punk), remue les tripes aussi souvent qu’Angus remue sur scène (ce qui n’est pas peu dire), en un mot : percute. Comme peu de groupes de rock savent encore le faire aujourd’hui.

Alors soit, cela reste du concert filmé, dans tout ce que l’exercice peut avoir de contradictoire et d’absurde. La qualité blu-ray la plus exceptionnelle et la restauration impressionnante effectuée pour l’occasion, si elles atténuent le côté très froid de ce genre d’objet, ne changent rien à l’affaire : qui peut bien avoir envie de rester assis dans son canapé pendant un concert d’AC/DC – et plus particulièrement de cet AC/DC-là ? Cependant, si vous êtes totalement réfractaire au concept et que vous ne deviez voir qu’un seul concert filmé dans votre vie… ce serait probablement celui-ci.


👑 Let There Be Rock 
Eric Mistler et AC/DC | Warner Bros, 1980 [2011 pour la présente édition]
Enregistré live au Pavillon de Paris le 9 décembre 1979
Avec AC/DC (figurez-vous), son public et son crew.


1. Dans une R5 de surcroît, ce qui achève donc d’en faire l’une des morts les plus pathétiques de l’histoire du rock’n'roll.
2. Rappelons que l’écouter était en revanche faisable depuis longtemps, puisque la version audio de ce (double) live avait été éditée dans l’incontournable coffret Bonfire en 1997.