jeudi 25 août 2011

R.J. Ellory - Crime in the City

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C'est sur une éclatante démonstration de virtuosité que s'ouvre A Quiet Vendetta : suivant à la trace le parcours d'un cadavre littéralement réduit en bouillie (on lui a même arraché le cœur), R.J. Ellory s'offre une remontée vertigineuse de toute la hiérarchie judiciaire. Encombrant et salissant, le dossier rebondit de service en service, horrifie les protagonistes les uns après les autres, jusqu'à échouer sur un bureau du FBI. Cinquante pages seulement, et Ellory a déjà adopté un nombre de points de vue impressionnant, tourné et retourné son affaire dans tous les sens. Et lorsque l'on croit tenir le fin mot de l'histoire - une affaire d'enlèvement de la fille du gouverneur, le dossier rebondit encore avec l'entrée en lice d'un ravisseur aux exigences particulières : il souhaite se confesser d'on ne sait trop quoi, et spécifiquement auprès de Ray Hartman obscur fonctionnaire de la justice spécialisé dans le crime organisé, qui pour sa part n'a jamais entendu parler de cet Ernesto Perez et préfèrerait rester à New York pour reconquérir sa femme et sa fille.

Au bout de cent pages, on est déjà essoufflé. Les enjeux (du moins leurs bases) se sont posés à un rythme effréné, les odeurs et les saveurs de la Nouvelle-Orléans nous ont collé au pif, et A Quiet Vendetta s'annonce comme un polar procédural de haute-voltige. Pourtant soudain, l’implacable machine à lire s'enraie. Volontairement, d'abord : lorsque l'improbable confession d'Ernesto Perez s'engage, le tempo se calme naturellement. Les immeubles gris disparaissent et l'atmosphère se colore - la fresque peut débuter.

Et elle est belle, cette fresque. Intrigante d'abord, elle révèle peu à peu sa nature singulière. Non seulement parce qu'Ernesto Perez s'avère être un individu hors du commun ; aussi et surtout parce que le projet prend au fil des pages les allures d'un défi mégalomane : c'est toute l'histoire du crime américain du vingtième siècle qu'Ellory, qui n'est pas un anagramme d'Ellroy pour rien, se propose de raconter. Mafia, tueurs à gages, truands de bas étage... tout y passe, éclairé par cette réflexion inaugurale, balancée au détour d'un paragraphe en apparence anodin : est-ce que d'une certaine manière, les criminels et les mafieux ne seraient pas plus loyaux, plus dévoués à leur cause que ceux qui les traquent ? La question n'a rien de nouveau - elle fascine la littérature et le cinéma américain depuis les années trente. Ellory l'explore avec les armes qu'on lui connaît : rigueur documentaire et goût prononcé pour les personnages psychologiquement désarticulés. Mais faute d'avoir une réponse à fournir, il tourne aussi pas mal autour du pot, multipliant les digressions - certes inévitables avec un tel parti-pris - qui sont autant de longueurs pour le lecteur. A la différence d'A Quiet Belief in Angels (qu'il précède de deux ans), qui utilisait la documentation comme une toile de fond conférant une force épique à son récit, il se laisse un peu aller ici à étaler sa culture, négligeant parfois légèrement l'aspect romanesque. Quand il touche au but, le résultat est chaque fois saisissant, réalité et fiction s'emberlificotant à merveille. Quand il échoue, le récit se retrouve écrasé par l'Histoire-avec-un-grand-H, et la dynamique narrative en prend un coup. Pas mortel, soit. Mais suffisamment fort pour que ce qui aurait pu être un grand livre se retrouve réduit au rang, il est vrai enviable, de bon petit (gros) roman.


👍 A Quiet Vendetta 
Roger Jon Ellory | Orion, 2005


On en parle également chez AMANDA, CUNE, GAËLLE...

11 commentaires:

  1. Je pense à peu près tout le contraire. J'ai beaucoup plus aimé Vendetta, que je trouve plus original dans son contenu, mieux maîtrisé (la fin d'Angels est assez pénible), plus captivant, aussi. H.

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  2. Plus original, peut-être. Mieux maîtrisé... je ne vois vraiment pas en quoi. Au contraire, j'ai le sentiment de beaucoup plus voir les ficelles dans celui-ci.

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  3. Pour moi "Seul le silence" est plus original que "Vendetta" (excuse moi de reprendre les titres en français, ils sont moins longs ;-)). Ceci dit, j'ai vraiment apprécié ces deux lectures, qui sont si différentes !!
    Je ne sais pas si tu continues sur ta lancée avec Ellory, mais ça ne m'étonnerait pas que tu finisses par te lasser quelque peu si c'est le cas...

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  4. Le Ellory peut-être le plus" ellroyen"?

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  5. Emeraude >>> je le laisse poser un peu pour l'instant. Je ne peux pas lire que lui, quand même ^^

    Voyelle & Consonne >>> sans aucun doute (bon, en même temps j'en ai lu deux).

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  6. Coupons court : aucun des deux n'est foncièrement original (Seul le silence, ce n'est qu'une histoire de serial killer, et d'enfants impuissants, rien que des choses vues et revues). C'est le traitement qui diffère, de ce que l'on voit d'habitude. Sur ce point, je trouve, effectivement, que Seul le silence a quelque chose de plus fort. Vendetta m'a un peu barbé, beaucoup même, par moments...

    BBB.

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  7. Personne n'en dirait pareil, c'est assez cocasse...

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  8. C'est-à-dire, il y a de la matière...

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  9. ça y est, fini. Merci beaucoup pour la découverte, même si j'ai quelques réserves.
    Un très bon bouquin quand il est dans l'action (exposition [effectivement, toute la 1ère partie est assez bluffante !], chapitres axés sur les "fins de journée" d'Hartmann, Schaeffer, Woodroffe).
    Un bon bouquin quand il se laisse (trop) aller au descriptif de la vie (la petite histoire dans la Grande Histoire) de Perez, aussi intrigant et fantastique soit ce personnage.
    En tout cas, je sais qui a tué Hoffa, maintenant, et l'affaire JFK semble quasi résolue ;-)

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