mardi 25 octobre 2011

K d'école

[Mes livres à moi (et rien qu'à moi) - N°50]
Le Château - Franz Kafka (1926)

S’il ne fallait en garder qu'un, parmi le foisonnement kafkaïen, ce serait sans doute celui-ci.

Comme tous les romans de Kafka, Le Château a été publié à titre posthume. En seconde position, un an après Le Procès. Mais en réalité, c’était son ultime projet, celui auquel il consacra les dernières années de sa vie, et cela se sent à nombre de points de vue au cours de la lecture : ce livre-ci est infiniment plus subtil, plus complexe et plus achevé que ses deux autres romans. C’est une incroyable mine d’or, un mælstrom de l’art kafkaïen... une splendeur à la fois très hermétique dans ce qu'elle donne de sens, et très généreuse dans le plaisir intense que procure sa lecture. K. débarque un soir dans un village. Qu’est-ce qu’il fout là ? On ne sait pas trop. Il cherche le Château. Il veut s’y rendre, il veut l’affronter. Qu’est en réalité ce château ? Existe-t-il même réellement ? Et si oui quelles sont les motivations de K. ?


Voilà pour la mise en bouche. La suite, c’est un brouillard total, un magma de mots et de phrases, un ensemble compact, étrange, fou, parfois à la limite du compréhensible. Le Château - le livre - porte bien son nom : il est plein de galeries souterraines, de pièges, de passages secrets sémantiques.

Il est extrêmement difficile, lorsqu’on s’intéresse aux trois romans de Kafka, de leur donner une chronologie correcte et de savoir quels étaient les buts poursuivis par leur auteur. Mais Le Château m'a toujours paru assez différent du Procès et de L’Amérique, par bien des aspects. En général, les critiques ont plutôt tendance à marginaliser L’Amérique, justement, qui pourtant est le plus typiquement kafkaïen des trois, dans le traitement de l'antihéros, sa déconstruction méthodique, sa quasi disparition, même. Alors que  Le Château… nous montre un protagoniste en quête de reconnaissance et d’accomplissement personnel, loin des engrenages destructeurs qui finiront par avaler Joseph K. ou Karl Rossmann ("finiront", façon de parler, puisque L'Amérique contrairement aux deux autres romans de Kafka n'a pas de fin. Du tout.) Cette reconnaissance viendra du Château et de ce qu’il en retirera, le cas échéant, mais on peut sans trop extrapoler supposer que cette reconnaissance-là est la même reconnaissance que Kafka n’a jamais su trouver de son vivant. Que les frustrations de K. sont des échos aux propres frustrations de l’auteur.

C'est évidemment là que se situe là divergence fondamentale entre les deux autres romans de Kafka et celui-ci. K. existe. Il a un caractère, un comportement, une attitude. Un but, aussi, surtout. Ok, on ne comprend pas toujours quel est ce but, mais but il y a. K n’est pas, comme Joseph K. (Le Procès) ou Karl Rossmann (L’Amérique) une victime… du moins pas tout à fait. Il est broyé, lui aussi, non par un système ou un pays mais par un château. Sauf que contrairement aux deux antihéros susmentionnés il est maître de son destin, et il se défend, et après tout c'est son choix, d'être broyé par le Château. Ce n’est pas une quiche, un flat character sur lequel Kafka se défoule, mais un authentique personnage qui essaie de survivre au lieu de se laisser porter par les évènements. Puisqu'il est le dernier des trois personnages à avoir été créé, peut-être même peut-il être vu comme une sorte de réponse aux deux autres.

Tout cela, évidemment, rend encore plus navrant le fait que ce roman ne soit pas achevé, quoique cette fin en suspens corresponde assez bien à l’atmosphère générale du bouquin. On peut toujours ergoter sur ce qu’aurait pu ou dû devenir Le Château… je connais même un type qui, très sérieusement, a décidé un jour d’en écrire la fin. Ou alors, on peut s’amuser en se disant que, peut-être, si les romans de Kafka avaient été achevés, les mystères auraient été élucidé au final. Et que du coup l’adjectif kafkaïen n’existerait peut-être pas aujourd’hui. Ce serait tout de même dommage.


Trois autres livres pour découvrir Kafka :

La Métamorphose (1915)
Le Procès (1925)
L'Amérique (1927)

10 commentaires:

  1. C'est évidemment un très grand livre, assez méconnu, en comparaison avec La métamorphose ou Le procès. Je ne sais pas si j'irai jusqu'à le mettre au-dessus de ce dernier, dont le volet politique, quand Le château m'a toujours semblé plus métaphysique. A voir, ou revoir, ayant lu tout ceci il y a fort longtemps.

    BBB.

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  2. ---> dont le volet politique me fascina, excusez-moi.

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  3. Ca fait tellement longtemps que j'ai envie de le lire ce livre... J'ai lu que La métamorphose, que j'ai adoré, mais celui là m'attire vraiment.

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  4. Je voudrais bien lire Kafka mais j'ai peur d'être dépassé ... j'avais bien accroché à La Métamorphose, mais il était doubler d'un délire mystico-psychédélique dont je me rappelle pas bien mais qui était vraiment trop pour moi, le protagoniste rencontrait un mendiant au bord d'une rivière et puis on se retrouvé dans une église en ville, bref tu vois de quoi je parle :-)

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  5. BBB. >>> eh bien relisez-le, vous verrez ;-)

    Joris >>> je comprends ce que tu veux dire, je me souviens que ce livre m'intriguait beaucoup avant même que je le lise... et justement, son grand talent est de continuer à intriguer après.

    Klak >>> oui oui, je vois bien ce que tu veux dire. C'est d'ailleurs à cette époque que tu as commencé à écouté Cheveu, c'est ça ? :-D

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  6. Vous êtes gentil, mais il me reste tellement de livres à lire (pour la première fois.)

    BBB.

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  7. Thomas > Oui ! Perdu pour perdu ... j'ai retrouvé le titre c'est "Description d'un combat" est ce que je peux m'attaquer aux romans de Kafka si ce texte me dépasse ?

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  8. Description d'un combat est le plus mauvais texte de Kafka, ou quasiment, alors tu peux y aller tranquillement...

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  9. Kakfa était un visionnaire. Je suis en train de terminer la lecture du château et cette quête improbable que l'on retrouve d'ailleurs dans les autres romans - la trilogie, devrais-je dire - nous montre bien que quelque part , nous-mêmes, nous vivons Kafka dans le present, au present.
    Groenendeal Carl.

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  10. Oui. On le dit souvent du Procès, sans doute parce que l'allégorie est plus "brute", mais cela vaut effectivement pour chacun de ses livres.

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