lundi 11 juillet 2011

Cowboy Junkies - Vain et touchant à la fois

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[Article paru en février sur Interlignage] Si l’exercice n’était pas devenu monnaie courante, ses amis ayant multiplié les tribute de son vivant afin de l’aider (en vain) à éponger ses dettes, l’idée d’un album entièrement composé de reprises de Vic Chesnutt pourrait presque sembler incongru. Difficile en effet, même avec du talent, de se substituer à la voix écorchée de l’auteur de "Sleeping Man" et de "Sewing Machine", tellement mésestimé de son vivant que son suicide au crépuscule d’une année l’ayant porté à son zénith 1 ne pouvait que lui garantir la gloire posthume.

Les Cowboy Junkies n’en manquent pas, de talent, qui décidaient donc de consacrer l’intégralité du second tome de leur Nomad Series au plus grand songwriter de sa génération. Ils ont de surcroît pour eux la légitimité, Chesnutt ayant été un de leurs compères (il a notamment participé à leur album Trinity Revisited). Est-ce assez pour faire un disque digne d’intérêt ? A cette question pourtant simple, on a envie de répondre oui et non (l’auteur de ces lignes, précision utile, est normand).

Oui, Demons est un bon album. Ce n’est pas une surprise : si même Madonna n’a pas réussi à foirer sa reprise de Chesnutt ("Guilty by Association", d’ailleurs présent ici parmi les bonus), il n’y avait aucune bonne raison pour que Margo Timmins et ses cowboys se viandassent. De fait, Demons propose onze titres (dix-huit en édition limitée) somptueux, dont quelques moments de grâce (au hasard, "Square Room", pourtant loin d’être le chef-d’œuvre de son auteur). Il faut mettre au crédit du groupe que d’avoir eu l’intelligence de ne pas aspirer à l’exhaustivité et de fonctionner au coup de cœur, délaissant sans regret opus mineurs (Left to His Own Devices, Dark Developments), autant que classiques (Little, Merriment), réduisant d’autres albums à la portion congrue (le magistral North Star Deserter, limité à un seul titre – et encore sur l’édition limitée) et en surprésentant d’autres (Is the Actor Happy? et At the Cut ont droit à trois titres chacun). On range cet aspect dans les avantages car il eût été tentant, motivé par de moins nobles intentions, de tenter de proposer un best of Chesnutt sans Chesnutt. Rien de cela ici, les Cowboy Junkies s’autorisant à reprendre certains morceaux de seconde division (façon de parler concernant une œuvre comptant infiniment plus de hauts que de bas), ce qui évite l’écueil des reprises imprenables en guise de figures imposées ("Cobbham Blues", "Coward", "New Town"… qui ne seraient pas grand-chose sans la voix de Vic). Avec en sus à une production intelligente, Demons trouve une unité de ton et s’approprie plutôt très bien certains chansons pas si évidentes ("West of Rome", par exemple), s’avérant un travail incontestablement supérieur au premier tribute venu.


Non, Demons n’a rien d’indispensable. Mais comment eût-il pu l’être ? Même en aimant les Cowboys et même en vénérant Chesnutt, il faut bien reconnaître que ce genre d’exercice n’apporte pas grand-chose au schmilblick, sinon une satisfaction un brin narcissique (quoique sans doute inconsciente) à ses auteurs. Même venant du Loner, Demons n’aurait qu’un intérêt limité, alors venant des Cowboys Junkies… A moins d’être immensément prétentieux – ce qu’ils ne sont assurément pas – difficile de prétendre faire découvrir le répertoire de Chesnutt à un nouveau public, ce serait d’un ridicule fini. On ne comprend donc pas vraiment où ils veulent en venir, sinon à se faire plaisir. D’autant que le parti-pris folk-rock très balisé ne rend pas forcément tout à fait hommage à l’éclectisme de l’artiste, qui passa toute la dernière décennie à essayer d’offrir justement autre chose que de bonnes chansons folk. En cela, son esprit ne hante pas, c’est le moins qu’on puisse dire, les pistes de Demons. Qui s’il tient la route sur les compos les plus roots de l'écorché d’Atlanta affadit en revanche totalement les titres de sa période Constellation, ces deux albums indispensables (North Star Deserter et At the Cut) dans lesquels Chesnutt embauchait Guy « Fugazi » Picciotto et Thee Silver Mt. Zion en guise de backing band et partait chasser sur des terres improbables, entre post-folk et jazz acoustique. A ce jeu, seule "We Hovered with Short Wings" s’en sort encore avec les honneurs.

Au final, Demons est un ouvrage intéressant, sympathique, contenant de belles réussites. Mais. Mais on ne voit pas trop à quoi il sert ni à quel public il s’adresse, une poignée de collectionneurs mise à part. Ceux-là y trouveront sans doute leur compte, puisque l’intérêt même du collectionneur réside plus dans la possession que dans le fond. Les fans de Chesnutt, eux, seront tour à tour et parfois même simultanément surpris, émus, conquis et ennuyés. Et retourneront aussi sec écouter Warm en pleurant. Mais pas à cause des Cowboy Junkies, tout de même.


The Nomad Series, vol. 2 : Demons 
Cowboy Junkies | Latent Recordings, 2011


1. A quelques mois de sa mort en effet, Chesnutt publiait un chef-d’œuvre (At the Cut) et un disque sublime produit par Jonathan Richman (Skitter on, Take off), sans oublier une contribution au sublime Dark Night of the Soul de son ami Mark Linkous.

4 commentaires:

  1. Le genre de fichier mp3 qu'on écoute 3 ou 4 fois par nostalgie et qu'on arrive même à beaucoup aimer avant de l'effacer pour ne plus y revenir et retourner vers les originaux.

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  2. Bonne vacances !

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  3. les cowboy junkies ne réussiront manifestement jamais à dépasser leur chef d'oeuvre de premier album^^

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  4. Thierry >>> "beaucoup l'aimer", c'est peut-être un peu fort, quand même.

    gmc >>> l'exercice est assez particulier dans ce cas précis mais effectivement, je doute que les CJ reviennent un jour à de tels sommets. Ce qui n'empêche pas de bien les aimer malgré tout.

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