vendredi 17 juin 2011

Fabrice Colin - Double ration

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Dans la longue listes des sujets de romans absolument proscrits pour tout auteur qui... hum... pour tout auteur, en fait, il en est un qui mérite tout particulièrement l'attention, dont l'essence-même relève de l'écueil : l'histoire de l'écrivain en mal d'inspiration. Le nombre de romans versant dans ce registre étant inversement proportionnel à l'intérêt qu'il suscite chez les lecteurs, on peut légitimement supposer que si je vous dit que Dreamericana, de Fabrice Colin, narre la déroute d'un auteur à succès incapable de pondre son prochain livre... vous aurez tous refermé cette page avant que j'aie eu le temps de préciser qu'il y a tout de même quelques grands auxquels on peut accorder sinon une dérogation, à tout le moins le bénéfice du doute.

Colin est de ceux-là, parce que tout auteur ayant écrit Or Not to Be mérite que l'on témoigne une relative bienveillance vis-à-vis de ses autres livres, fussent-ils articulés autour d'un sujet-repoussoir. Et puis son écrivain à lui est un peu particulier, puisqu'il se situe dans une merveilleuse uchronie (Kubrick y vit et crée toujours) et qu'il est un best-seller du steampunk (que l'on définira pour faire court comme de la SF du passé). Autant dire que dans Dreamericana, les notions de temps et d'espace sont assez particulières - à peine si l'on ne s'attend pas à voir débarquer Colin lui-même histoire de boucler la mise en abyme.

Plus linéaire, ou disons : plus aisément appréhendable qu'Or Not to Be, Dreamericana n'en est pas moins relativement similaire dans l'idée maîtresse : Hadès Shufflin, auteur mondialement connu d'une saga-fleuve à laquelle il peine à mettre le point final, se laisse progressivement avaler par son œuvre comme le Vitus d'autrefois se laissait absorber par celle de Shakespeare. A cette nuance près que ce n'est pas son identité qui se dissout mais son imaginaire qui contamine la réalité (concept tout relatif le cas échéant, vous l'aurez compris). Reclus, dépressif et hanté par le fantôme de la femme de sa vie, Shufflin perd peu à peu pieds, terrifié par l'avenir et mortifié par le passé - jusqu'au point de rupture. Pour le personnage comme pour le récit : parvenu au premier tiers, Colin se pique subitement d'insérer le nouveau roman de Shufflin dans le sien, en intégralité. Le procédé n'est pas si stupide ni artificiel qu'il en a l'air : jouant sur la bonne vieille loi de la porosité entre l'homme et l’œuvre, Colin continue d'en dire énormément sur Hadès Shufflin, ses obsessions et ses angoisses, sans jamais le montrer et par l'unique prisme de ses écrits fictionnels.

Pas si stupide ni artificiel, donc... mais le lecteur est tout de même cueilli à froid. Obsédé par Kubrick, Dreamericana, le livre de Colin comme celui de Shufflin, fait surtout penser à ces romans de Dick passionnants jusqu'à ce qu'ils partent en vrille dans leur seconde moitié. C'est que Dreamericana - celui de Shufflin - n'est pas, dans le fond, un roman très palpitant si le lecteur ne fait pas l'effort de garder à l'esprit ce qu'il sait déjà du fascinant Shufflin. Faute d'une maîtrise parfaite, ou peut-être pour avoir choisi la solution de facilité, Colin signe au final un (deux) texte(s) bizarre(s), un seul bon roman là où il avait, c'est une évidence, la possibilité d'en écrire deux géniaux.


👍 Dreamericana 
Fabrice Colin | J'ai lu, 2003

3 commentaires:

  1. Pas du tout d'accord concernant la qualité du roman dans le roman.
    L'auteur prend soin de planter le décor au préalable, développant l'univers d'Antiterra via les fausses coupures de presse, et pour moi, la pilule passe assez facilement.

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  2. en lisant cet article, j'ai bizarrement pensé à Hyperion, que je suis toujours en train de relire. l'impression diffuse que Simmons aurait pu, avec les diverses récits, faire plusieurs excellents romans. les liens qu'il développe entre les récits semblent parfois artificiels, ou du moins difficiles à suivre...

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  3. Les liens qu'il développe entre les récits ?... tu veux dire les transitions et les interludes ? C'est vrai, c'est assez schématique.

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